En ce 11 novembre, le flux des conversations électroniques a produit un étrange résultat.
Sur son blog, Pierre Moscovici a posté un article embrassant l’histoire du XXème siècle suite aux 20 ans de la chute du mur de Berlin. Jusque là rien d’exceptionnel mais je lui ai fait remarquer que son texte oubliait un épisode particulier et pourtant au combien marquant, celui de la décolonisation:
“Sur le texte de Pierre, j’y vois un sacré manque, l’amputation de l’identité coloniale européenne, amputation générant l’amnésie, amputation générant un progrès moral mais aussi laissant l’Afrique, l’Asie et le moyen Orient dans des situations douloureuses. Même si nous n’en sommes pas les premiers responsables, comment voir les génocides Rwandais, Kmer, Arménien comme totalement détachés d’un passé lié aux colonies européennes (j’y inclus la Turquie – tiens petit retour – pour la partie arménienne), comment oublier ce moyen-orient dont les frontières ont été largement façonnées par les Européens (Churchill n’a-t-il pas délibérément construit un moyen orient instable pour se protéger d’un monopole pétrolier d’état ?).
Comment ne pas voir dans l’Europe coloniale du XXème, une Europe aux ambitions souvent nobles, confrontée à ses contradictions, la domination et l’intérêt confrontés à l’universalité des droits de l’homme ? Sommes-nous si sûr d’avoir dépassé ces contradictions et si oui, pourquoi sommes-nous si mauvais lorsque nous cherchons à convaincre les autres que nos valeurs sont bonnes, justes et universelles.
J’ai l’intuition que dans notre marche pour la refondation, nous devons explorer également nos plus profondes certitudes à travers le prisme négatif des échecs du siècle passés. Qu’est-ce qui a freiné Mitterrand lorsqu’il a eu l’occasion d’ouvrir grand les bras pour accueillir le monde d’au-delà du mur dans celui de nos valeurs triomphantes. Pourquoi a-t-il été grand à Sarajevo et si petit à Berlin ?
Nos valeurs sont-elles européennes ou universelles ? Dictées par nos intérêts ou par nos aspirations philosophiques ? Est-ce que les sociaux-démocrates ont quelque chose de fort à opposer aux joueurs matérialistes anglo-saxons et à ces étranges chinois ?”
Ce commentaire en entrainant un autre, Baillergeau a répondu à ma remarque en ouvrant lui-aussi quelques-uns de ces vieux tiroirs poussiéreux, tiroirs qui contenaient des noms comme Camus, Mimouni, Feraoun. Toute une culture un peu lointaine et pourtant tellement en nous.
Et ce flux électronique rencontre aujourd’hui une date, celle du 11 novembre où nous nous souvenons de la première des grandes guerres du XXème siècle. Mais qui se souvient de celles de la décolonisation ?
Mon père a fait l’Algérie comme soldat. Pas de faits héroïques à son actif ni d’amour particulier pour l’armée, juste le devoir d’un Français qui est allé en Algérie pour garder ce département de l’autre côté de la Méditerranée dans le giron de la République. Étrange pays que l’Algérie d’ailleurs, pays qui n’a eu, avant son indépendance, comme seule unité que celui d’un département Français.
Mon père ne parlait que très rarement de son service là-bas, mais alors qu’il voyait venir sa mort, une part du non-dit de cette époque est ressorti sous une forme simple et digne : en mettant de l’ordre dans ses affaires, il a pris soin de ne pas oublier cette époque en se rapprochant des anciens d’Afrique du nord. Mon père, cet homme qui n’avait d’autre gloire que celle d’avoir eu la vie d’un honnête homme, a eu droit aux honneurs du drapeau de la République sur son cercueil pour avoir fait une guerre dont il ne parlait presque jamais.
Pour moi, la décolonisation du XXème siècle c’est cela : la pudeur sur un épisode fait de contradictions, probablement de regrets, mais un épisode qui porte en lui-même beaucoup d’humilité et de dignité. Cette partie de notre histoire ne mérite pas d’être oubliée.