Le mardi, pour moi, c’est le jour des courses. Et ce mardi, alors que j’examinais les mérites comparés du quinoa et du riz thaï estampillé commerce équitable au rayon bonne conscience de mon hypermarché, j’ai été abordé par une jeune fille en noir.D’une voix mal assurée, elle m’a demandé si je voulais bien… lui payer ses courses. Je ne sais pas si c’est la fatigue de la journée, ou le fait que quelqu’un vienne faire la manche d’une façon si inattendue qui m’a quelque peu assommé et donc empêché de fuir à toute jambe, mais toujours est-il que je me suis retrouvé soudain face à l’expression de la misère dans sa nudité la plus crue.Jusqu’ici, je savais que des bidons-villes s’étaient reconstituées en France et je manque peu d’occasions de dénoncer la politique de logement de notre riche pays, mais là, la misère venait taper à mon porte-monnaie avec un degré supplémentaire : il ne s’agissait plus de ne plus dormir dans des taudis, mais de manger. Tout simplement. Quel décalage entre les envolées pseudo-lyriques sur la politique de civilisation, les milliards budgétisés pour des réformes qui n’aboutissent pas, la mise en scène de carrières politiques qui ne valent même pas un classement en série B et cette jeune fille (20 ans peut-être) aux dents gâtées et qui ne demandait que de pouvoir manger des nouilles, quelques saucisses, et luxe suprême, avoir un peu de lessive.J’ai lu dans ses yeux l’abattement de ceux qui ont moins que rien, le courage qu’il faut pour surmonter la honte de n’être que moins que rien, mais aussi la peur d’être prise par les vigiles. Vu son accent, elle était probablement en situation peu régulière et en filigrane j’ai ressenti comme un étrange sentiment de traque venue d’un autre âge.Je crois que si nous réussissons à en sortir, nous aurons honte de l’époque que nous vivons actuellement.