Le parlement a adopté début mars une loi sur la nouvelle carte d’identité biométrique, loi qui incluait la création d’un fichier des éléments biométriques de chacun (taille, couleur des yeux, empreintes digitales et photographie).
Fidèle à son idéologie sécuritaire et contre l’avis de la gauche, ce fichier pourra être utilisé dans le cadre des recherches sur une affaire judiciaire en cours ce qui transforme de facto tous les citoyens disposant de la future carte d’identité en suspect potentiel liés de près ou de loin à n’importe quelle affaire.
Au-delà de cette loi, et sans hélas pouvoir aller trop loin dans la réflexion d’un débat aussi technique, que philosophique ou encore culturel, il me semble nécessaire de réfléchir sur ce qu’est l’identité (au sens de la loi) dans ce monde qui subit une mutation gigantesque.
Jusqu’ici, l’identité d’un individu comme vous et moi, était en synthèse liée à trois choses : sa personne, une mention dans un registre officiel (généralement l’acte de naissance) et un lieu physique où l’état pouvait le trouver en cas de besoin. La nouvelle loi sur la carte d’identité biométrique avait pour but originel de résoudre le problème de l’usurpation d’identité légale (éviction d’une personne au profit d’une autre pour une identité donnée).
Oui et alors me direz-vous ? Et bien je vous dirai tout de go que cette notion d’identité est aujourd’hui totalement obsolète et que cette obsolescence découle directement de l’entrée de notre société dans l’ère de l’information numérique.
Dans le monde numérique, il faut d’abord comprendre que les propriétés de l’identité numérique et physique sont différentes.
D’abord, une personne numérique peut mourir et naître plusieurs fois (avec la charge émotionnelle afférente). La mort numérique est parfois utilisée par certaines vedettes du show biz pour défendre telle ou telle cause (ou juste à des fins marketing personnelles).
La notion d’individu numérique n’a par ailleurs pas réellement de sens, car une personne physique peut avoir plusieurs identités numériques distinctes (sans pour autant être schizophrène). Inversement, une identité numérique peut être liée à plusieurs acteurs physiques, peut-être transmise d’un acteur physique à un autre, peut survire au-delà de la mort d’un acteur physique.
Une identité numérique a des caractères d’ubiquité, une présence qui n’est pas synchrone avec son pendant physique (vous me lisez alors je je ne suis peut-être pas connecté, certains automates numériques peuvent répondre à ma place).
Tout ceci n’est pas qu’un jeu intellectuel et il serait très hasardeux de considérer que notre définition actuelle de l’identité physique est « supérieure » à l’identité numérique. Ce que chacun laisse paraître à travers son identité numérique a autant de valeur que son identité du monde physique, sinon plus. Elle peut être totalement irréelle certes (« le prince des elfes ») mais aussi bien plus profonde et réelle que ce qui peut transparaître de nos interactions du monde physique. Le numérique transcende les distorsions de notre physique, de notre couleur de peau, de notre timbre de voix, mais aussi des étiquettes culturelles qui nous ont été collées par notre histoire et nos activités.
Enfin, la loi a tout intérêt à s’intéresser de façon précise et pertinente à cette aspect numérique, car le monde numérique a au moins un point en commun avec le monde physique, à savoir la capacité et l’envie de certains de porter préjudice aux autres. Il est nécessaire de réfléchir à ce qu’est la loi est la justice dans cet univers étrange et déstabilisant.
L’identité numérique doit être comprise, pensée, intégrée à la loi de notre société. Mais c’est un monde radicalement nouveau, un choc aussi puissant que celui qu’un aveugle pourrait avoir en acquérant la capacité de voir. Un vaste chantier pour notre futur gouvernement et surtout pour ses futurs législateurs.