Deux actualités nous invitent à réfléchir sur des questions de droits essentielles à l’identité de notre société : le droit de la mort, à travers la tragique guerre d’Afghanistan qui a tué ces derniers jours dix de nos militaires et la parution au journal officiel de deux articles permettant de donner une identité à des enfants mort-nés (que je traiterai dans un second article).
Sur la guerre d’Afghanistan d’abord, à travers nos morts, la légitimité de leur action et du fait qu’une action militaire en terre étrangère n’est jamais un acte anodin se résumant à quelques décisions prises par un myope trop pressé.
Grâce à la détermination de Robert Badinter la France fait partie des pays qui peuvent s’enorgueillir d’avoir aboli la peine de mort pour les actes commis par des individus en temps de paix sur son sol. Même si à quelques occasions, l’actualité traitée de façon émotionnelle fait ressurgir le débat pour telle ou telle catégorie de criminels, une grande majorité des citoyens réussit à faire la part des choses entre une pulsion immédiate de vengeance qui peut saisir tout un chacun suite à un acte au-delà du dramatique, et les principes qui doivent guider les juges pour construire une société cherchant à contrôler ses démons pour se construire un avenir de progrès. Nobles sont les principes de l’abolition de la peine de mort même si je jugement a parfois du mal à passer.
Mais il serait un peu rapide en besogne de s’arrêter à ce point de satisfaction, car si nous reconnaissons effectivement l’abolition de la peine de mort pour nos criminels, nous passons sous silence d’autres cas. Le droit français et international ne statue pas par exemple sur la mort donnée en service commandée par les services secrets (là cela tient du « droit coutumier ») et ne statue que faiblement sur le droit de tuer dans une opération militaire.
Comment faire évoluer le droit sur ces points ? La nature extranationale de ces cas impose de disposer à la fois d’un organe législatif et d’un tribunal mondial. Si les TPI ,TCI, CIJ font l’affaire pour ce qui est du tribunal (encore faudrait-il qu’ils soient reconnus par tous), on a plus de mal à trouver une assemblée législative votant les lois du monde de façon démocratique et représentative. Par ailleurs, le cas des opérations de guerre pose un problème particulier dans le sens où la responsabilité est celle d’un pays (ou d’un groupe sociologiquement cohérent) sur un autre ; si l’on veut être cohérent, il faut juger la culpabilité d’un ensemble et pas des individus pris séparément, en général le chef et ses adjoints directs. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’en droit international, nous sommes loin de cela et que nous avons généralement droit à la justice du vainqueur vis-à-vis de ceux qui sont considérés comme individuellement responsables de tout, ce qui est plus simple et plus rapide. Nous sommes hélas plus dans une logique de vengeance et d’apparence qu’une logique de justice permettant de faire progresser la société, ce qui conduit à des dérives, pour ne pas dire crimes, du type de Guantanamo.
En guise de conclusion, je vous propose une question. Voteriez-vous aujourd’hui la mort de Louis XVI ? Question exotique, mais qui permet de réfléchir sur la relation entre individu et société dans le cas du droit sur la mort. Louis XVI était probablement un brave type qui n’a pas, dans son esprit, trahi la 1ère République, mais il avait ceci de particulier qu’il incarnait l’ancien régime et que pour exister, la nouvelle société française que voulait mettre en place la révolution devait d’abord tuer symboliquement la royauté, c’est-à-dire éliminer physiquement Louis XVI. Dans un tel cas, un républicain, même fervent défenseur de l’abolition de la peine de mort, pouvait difficilement faire autrement que de condamner le roi. Il est des cas où le progrès collectif passe par un conflit de conscience et de principes, au dépend de l’individu. Mais la résolution de ce conflit ne doit jamais être arbitraire.
Nous sommes loin d’avoir fait tout le chemin nécessaire.