Les élus face à la révolution numérique

Jean-Luc Bleunven, député de la troisième circonscription du Finistère, m’a récemment sollicité pour une réflexion sur le numérique. Je l’en remercie, et c’est avec plaisir que j’ai rédigé un texte qu’il vient de publier sur son blog et que je relaie à mon tour ici.

carte d’identité Facebook : ce joli projet est l’oeuvre d’un artiste allemand, Tobias LeingruberMM. Colin ont rendu dernièrement un rapport sur la fiscalité de l’économie numérique[1]. L’État se penche à juste titre sur ce pan émergeant de l’économie qui se révèle chaque jour un peu plus comme une évolution disruptive. Mais l’économie numérique n’est pas qu’un modèle macroéconomique global, c’est aussi une réalité qui nous touche au cœur de nos territoires, au plus proche de chacune et chacun. C’est donc également un sujet majeur dont tous nos élus doivent s’emparer.

Les trois aspects du changement numérique

Le numérique englobe trois réalités :

  • une évolution accélérée des outils et appareils de notre quotidien,
  • un changement parfois radical de leur usage,
  • et in fine une explosion des paradigmes aboutissant à l’émergence de nouveaux modèles économiques certes, mais aussi sociétaux et humains.

Pour ne prendre qu’un exemple, les capacités accrues des smartphones ne permettent pas seulement de communiquer mieux, elles apportent plus de connaissances à leurs utilisateurs, plus d’interactivité, plus de possibilités d’agir… Ceci peut se traduire par de nouvelles façons de préparer ses voyages (l’outil), d’utiliser les moyens de transport avec le partage de véhicule  (l’usage), et au bout du compte pose la question de l’utilité de la propriété de l’objet au profit de la possibilité d’en faire un usage à la demande (le modèle).

Ceci est possible car les nouveaux objets sont peu chers, ouverts en matière de programmation créative, et surtout connectés à l’espace numérique planétaire.

Le rôle des élus

assemblee-nationaleSi le phénomène ne se limitait qu’à une simple évolution commerciale des outils et, à la rigueur, d’un changement progressif des usages, les élus n’auraient pas un rôle majeur à jouer. Mais le phénomène est d’une part d’une rapidité qui n’a aucun équivalent historique, et d’autre part il entre en conflit violent avec des certitudes qui structurent les individus depuis très longtemps : la connaissance est devenue universellement accessible et gratuite, les frontières entre vie publique et privée sont devenues floues et impossibles à défendre, le rapport à la propriété est profondément impacté…

Les élus se doivent de comprendre les changements en cours pour pouvoir encadrer et préparer correctement la population au choc sociétal, social et économique que cela représente.

Ils se doivent de les comprendre pour adapter la société à ces changements (et cela ne se limite pas à la fiscalité bien sûr), ce qui inclut :

  • de faire les investissements utiles à cette nouvelle économie (le plan numérique de la région Bretagne est d’ailleurs exemplaire),
  • de faire un effort équivalent à ce que la République a fait jadis pour l’alphabétisation (il s’agit ici d’alphabétisation numérique de l’ensemble de la population, y compris des élites),
  • et enfin d’ouvrir les débats de société sur les changements profonds qui en découlent.

Ceci doit se faire à tous les niveaux, de la mairie à l’assemblée. Par exemple,

  • le maire gérait jusqu’ici ses places de marché, il doit évoluer et faire de même dans l’espace numérique
  • le conseil général gérait une partie de l’enseignement, il doit préparer le basculement vers une nouvelle forme d’enseignement
  • la région traitait des problèmes économiques, elle doit prendre la mesure de la non-territorialité de l’espace économique numérique et préparer l’entreprise locale (y compris les plus petites) à un marché et une concurrence planétaire
  • enfin nos députés se doivent non seulement d’adapter les lois, mais au-delà de préparer l’arrivée de la République 2.0. Nous n’en connaissons pas les contours, mais lorsque le fruit sera mûr il est probable que son arrivée sera irrépressible.

Conclusion : « connecto ergo sum »

Il est rare d’avoir conscience d’être dans une époque révolutionnaire. Mais l’homme nouveau, « poucette » comme l’appelle Michel Serres[2] est bel et bien là. Sa nouveauté découle de sa connectivité au numérique, qui décuple son savoir, lui apporte l’ubiquité, brouille les frontières de l’individu au profit du partage au sein du groupe, le libère de la lourdeur de l’économie matérielle pour le faire entrer dans l’économie quaternaire[3] où le matériel n’est que le support au service rendu, …

Et c’est bien dans une époque révolutionnaire que l’homme politique prend la mesure de l’ampleur de sa mission au service de ses concitoyens. C’est dans une telle époque que chacune et chacun attend qu’on lui donne un horizon là où tout est brouillard, qu’on lui donne espoir et confiance là où le doute et l’effondrement des certitudes veulent s’imposer.

Le changement est là, il s’impose à tous. Plus que jamais, les enjeux obligent le politique à être grand dans l’action au service de tous.

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Pour approfondir :

 


[1]    « Mission d’expertise sur la fiscalité de l’économie numérique », janvier 2013

[2]    « Michel Serres : bienvenue à l’homme nouveau », le point, 14/06/2012

[3]    L’économie quaternaire est un concept créé par Michèle Debonneuil. Le marché des FAI avec leurs box ADSL en est un bon exemple.

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