Marylise Labranchu a bien du mérite, elle qui doit mener à son terme sa mission de réforme de l’État, et plus particulièrement donner un contenu à la promesse de François Hollande concernant la décentralisation.
Il n’y a pas pour l’instant matière à faire une analyse du texte (puisqu’il est très loin d’être bouclé), mais je veux juste revenir ici sur une idée autour de ce texte, idée que je croise régulièrement sur le net depuis quelques mois et qui intrigue par son originalité.
Cette idée c’est la possibilité de créer des élections avec un système binomial paritaire. J’entends d’ici remonter cette angoissante question : « qu’est-ce donc que ce système binotruc par terre ? »
Il faut tout d’abord préciser que l’on peine à trouver quelque part sur la planète (et au-delà d’ailleurs) un pays qui aurait mis en place ce système. Mon ami google à qui j’ai posé la question m’a renvoyé sur le Chili, sans que pour autant le système Chilien ne permette d’appréhender la profondeur iconoclaste du génie français en matière électorale. Heureusement d’ailleurs que le système binomial chilien (mis en place par le bon général Pinochet) n’est pas l’idée présentée ici, cela eut pu faire mauvais genre au rayon référence démocratique.
Pour les matheux, l’idée n’est pas non plus une tentative d’introduire la stochocratie via la loi binomiale. Que nenni, il s’agit de voter non pour une personne ou une liste, mais un binome (deux personnes donc). Un côté chabada ayant été ajouté avec le mot parité, nous arrivons donc à un audacieux mode de scrutin où nous aurions à voter en même temps pour deux personnes (plus deux suppléants), un homme et une femme (idem pour les suppléants). On l’aura compris, le but ultime étant d’aboutir à coup sûr à un pourcentage d’élues qui soit en phase avec leur place dans la démographie (bien que techniquement elles soient un peu plus nombreuses que les hommes d’ailleurs).
Idée qui surprend, interpelle, mais qui à mon avis n’a aucune chance d’aboutir (désolé Marylise), pour des raisons assez incontournables.
La première de ces raisons est qu’une des règles de bonne gouvernance d’une assemblée élue, est d’avoir un nombre impair d’élus pour ne pas risquer d’avoir un blocage 50/50 à l’issue d’une élection trop serrée. Le cas est rare mais il s’est déjà produit. Il est facile de l’éviter en créant un nombre impair de sièges.
Oui mais voilà, à moins que l’académie ne vienne à me contredire, un binôme c’est pair par nature et un multiple d’un nombre pair a une furieuse tendance à vouloir rester pair. On peut certes envisager de passer un amendement pour changer cette fixette de mathématicien obtus, mais ce n’est pas gagné. Soit on maintient le binôme et il faudra expliquer aux Français pourquoi dans certain cas on paie des assemblées qui ne sont pas en mesure de dégager un vote majoritaire et donc de faire leur travail, soit on se résout à oublier le binôme.
Si suite à un geste de bonne volonté des mathématiciens nous sortaient un théorème de l’imparité binomiale paritaire, nous pourrions espérer maintenir ce mode d’élection. Mais nous tomberions sur un autre os scientifique, cette fois du côté des biologistes. Figurez-vous que, sans doute quelque peu troublé par les derniers débats sur le mariage pour tous, je suis saisi d’une angoisse existentielle : mais qu’est-ce qu’un homme et une femme en matière électorale ?
Imaginons que Jacques et Jacqueline après une brillante campagne menée en binôme soient élus. Passées les félicitations méritées et leur prise de fonction, Jacques ou Jacqueline décide… de changer de sexe. Chirurgie, hormone, état civil et psychologie, la totale, Jacques devient Jacqueline ou vice-versa. Devra-t-on invalider l’élection du binôme puisque la parité n’est plus de facto respectée ? On voit mal au nom de quel principe ce serait le cas, pourtant plus de parité visible dans l’hémicycle…
Ah, j’entends d’ici mon ordinateur bruire à nouveau de protestations : « y a les chromosomes m’sieur ! Un homme c’est XY, une femme c’est XX !« . Sauf que les personnes atteintes du syndrome de Klinefelter sont… XXY. Ces personnes ne seraient-elles pas des citoyen(ne)s ? J’éviterais pour ma part, si j’étais le législateur, de m’aventurer sur le terrain de la génétique en matière électorale…
Ce deuxième aspect du vote binomial paritaire est sans doute le plus profond dans le sens où il aboutit à se poser la question de la définition des hommes et des femmes aux yeux de la loi et de la citoyenneté. Il ne me semble pas souhaitable de l’aborder sur un coin de feuille de projet électoral et, sur le fond, j’en reste pour ma part à l’idée que, comme pour les anges, les citoyens n’ont pas de sexe, leurs élus non plus du point de vue de leur mandat et de l’exercice de leur fonction.
Nos assemblées doivent absolument tendre vers une représentation des femmes (au sens béotien du terme) qui ne sente pas l’apartheid sexuée. Mais c’est à la société et aux partis de faire le travail. Le PS finistérien y a bien réussi, il n’y a aucune raison qu’ailleurs ce soit impossible.