Même en vacances, les réalités sociales vous rattrapent toujours.
Cet été, je suis parti à Madère avec ma petite famille. Douceur de vivre sous les Alysées, du calme et enfin du temps à accorder aux enfants et à mon épouse, loin, très loin de l’agitation stérile et du stress permanent de la vie parisienne.
Un jour, alors que nous nous baladions sans autre but que de se laisser surprendre par l’atmosphère de l’un des villages de la côte nord, je tombe sur une des petites maisons triangulaires typiques de Madère. La maison ayant un charme un peu différent de ce que j’avais pu voir jusque là (ce genre de petite maison a souvent été transformée en petit musée familial à faire visiter par les touristes), je me fais discret pour la prendre en photo (j’avais aperçu un couple qui discutait devant l’entrée).
Discrétion inutile : la femme m’aperçoit et envoie en vitesse son mari à ma rencontre. Un grand gaillard usé s’avance vers moi et m’invite à rentrer. Pas de fuite possible… Fort gêné de ne pas avoir réussi à passer inaperçu, je me décide à le suivre en devinant que j’en serais quitte pour une pièce…
En arrivant à l’entrée, je me sens soudain très mal à l’aise car à l’évidence je me retrouve avec des gens qui vivent dans la misère : la femme est pieds nus et a les jambes couvertes de poussière, quant à l’homme, les dents qui lui manquent en disent long sur son état de santé. Je m’aperçoit d’ailleurs bien vite qu’il n’est pas loin d’être aveugle. La minuscule maison si jolie que je venais de photographier était bel et bien leur habitation, refuge de leur extrême pauvreté. Le couple m’invite à visiter leur intérieur qu’un simple coup d’œil suffit à découvrir.
Deux minuscules lits, une petite étagère et une sorte d’autel religieux. La propreté, trop souvent le seul orgueil des pauvres, est frappante et contraste avec la saleté dont la femme est couverte.
Ils m’invitent à les photographier et alors que je dois m’y reprendre à deux fois pour faire cette photo, j’ai l’impression pendant quelques secondes d’avoir été transporté dans les terres du milieu, dans la maison d’une Hobbit qui aurait épousé un géant. Je fais un sourire et je balbutie des remerciements à l’homme qui me montre fièrement le bouton électrique qui allume ce qui semble être la seule ampoule de la maison (j’en déduis à sa fierté qu’il a dû faire l’installation lui-même).
Quittant ce couple après m’être acquitté d’une obole trop symbolique, une autre image me vient soudain à l’esprit : celle de ce SDF que je croise parfois endormi dans un coin des sous-sols de ce temple de la finance qu’est La Défense. D’un côté ces Hobbits qui dans leur misère ont au moins un toit, et de l’autre ce spectre, sous un sac de couchage, qui est obligé de dormir dans un escalier de sortie du temple de la finance française.
Les situations n’ont rien de comparables et pourtant, ce sont les mêmes. A quoi ont donc servi nos efforts de redistribution, de correction des inégalités, de lutte contre la pauvreté ?
Si la misère est sans doute moins pénible au soleil, l’injustice n’est que plus criante au pied de la richesse.
Une affiche d’un parti de gauche de Madère annonçait quelque chose comme : “Madère, 350 riches, 53000 pauvres”.
Et en France, la proportion est-elle différente ?