Février 2008. Papy Marx nous a légué une réflexion sur le capitalisme qui a chatouillé le XIXème siècle et mis le XXème sans dessus dessous, mais qui au final, s’est révélée inefficace pour corriger les excès de ce monde, et fort douloureuse pour les peuples.
Parmi les erreurs de conception qui ont mené à l’échec, j’en retiendrai ici deux : une pensée newtionienne totalement déterministe (action implique prédiction de réaction, de ce principe découla nombre de théories économiques et d’outils inadaptés telle que la planification et le collectivisme), et second élément, l’idée qu’une analyse est indépendante de son environnement, de la structure même des sociétés. Or les sociétés de la fin du XIXème siècle, jusqu’à la 1ère guerre mondiale, étaient des sociétés très figées, stables (même dans leurs conflits et le colonialisme en fut un des résultats), faite d’optimisme sur ce que sera demain. Toute la fin du XXème siècle fut l’illustration du décalage entre le monde selon Marx et le monde réel fait de mouvement, d’émergence et de renaissance. Le mouvement n’est probablement pas fini et la mondialisation n’en est que la plus flagrante illustration.
Du coup, papy Marx étant renvoyé aux erreurs de l’histoire, le capitalisme s’est libéré du frein marxiste pour n’avoir d’autres horizons que… lui-même. Il me vient cette image : nous sommes passé d’un monde d’intérêts (a priori) opposés entre le salarié de Germinal et le patron repus dont le capital s’exprimait en usines fumantes, à un monde où une partie du capitalisme s’est détaché pour devenir antagoniste et du salarié, et du patron.
Cette excroissance du capitalisme, c’est le capitalisme financier qui partant du mécanisme boursier destiné à construire les usines de notre patron du XIXème siècle, en est arrivé à s’abstraire totalement de la réalité et à s’auto-alimenter spéculativement en pariant sur la rapidité des échanges et sur ce que sera demain. Ce capitalisme là profite à plein de la mondialisation, mais en tant que parasite, pas en tant qu’acteur construisant une nouvelle réalité ; dans cette sphère, l’argent n’est plus lié à la valeur des choses (en l’occurrence des entreprises, de leur marché, de leur savoir et savoir-faire) et réussit à imposer une logique qui souvent implique de tuer une entreprise, simplement parce qu’elle ne génère pas assez de mouvement, de possibilités spéculatives. C’est la fuite en avant des invasions dévastatrices de criquets.
Dans nos sociétés devenues mouvantes et sans visibilité sur l’avenir, le capitalisme financier est devenu à la fois l’adversaire du salarié (à moins qu’il ne tire ses revenus de la finance) et de l’entrepreneur (dont le projet peut à la fois être viable et pas suffisamment rentable pour mériter d’être financé). Le cas des chausseurs de Roman ou du jouet français illustre très bien cet état de fait : une marque peut temporairement avoir plus de valeur que ce sur quoi elle s’appuie. Dans cette optique, vendre la marque et liquider l’entreprise a un sens. Dans le vrai monde, c’est simplement une tragique stupidité.
En bout de course, on peut quand même se demander si la sphère financière qui détruit notre présent, a un intérêt qui compenserait le désastre immédiat. Difficile d’être catégorique, mais c’est peu probable, d’une part parce que ce qui est détruit ne peut facilement se reconstruire et que si on veut le faire, ce sera extrêmement plus couteux que ce qu’a rapporté la destruction, et que d’autre part, le mouvement de fuite en avant de la sphère financiaire est régulièrement stoppé par l’éclatement de bulles spéculatives (la réalité est têtue, on ne crée pas de la richesse avec rien). Rien qu’au mois de janvier, on estime par exemple à 5000 milliards de dollar les dégâts causés par la crise des subprimes (qui sont de la spéculation sur le financement des habitations).
A l’arrivée, si notre monde n’est plus déterministe, causal, si la réflexion ne peut plus se concevoir une fois pour toute et détachée des sociétés humaines, mieux vaut envisager des politiques économiques qui s’ancrent dans la réalité et combattre sans relâche les mécanismes qui s’en détachent en gardant la possibilité de la détruire. La sphère financière doit être contrôlée par des mécanismes qui expriment l’intérêt des peuples.