Ce mal qui ronge notre société

Nous n’allons pas bien. L’état de l’économie est relativement bon, le taux de chômage a tendance à baisser, nous sortons d’une élection censée redonner un nouveau départ, c’est l’été et pourtant, notre société semble être dans un étrange état de flottement, sans punch, sans espoir.

Outre cette atonie qui peut sembler subjective, l’actualité dramatique d’un nouveau suicide chez PSA est une nouvelle alarme qui devrait faire réagir nos esprits apathiques. Six suicides depuis février dans les usines PSA (dont cinq à Mulhouse), trois en quatre mois au Technocentre Renault à Guyancourt, six en trois ans chez EDF dont 4 dans les 2 dernières années à la centrale de Chinon (Loiret). Le Conseil économique et social évalue entre 300 et 400 suicides liés au travail par an (estimation jugée “optimiste”).
En France, nous recensons un suicide toutes les quarante minutes, soit 11 000 morts chaque année, mais 160 000 personnes par an font une tentative (18 par heure !).
Dans un pays recordman des médicaments destinés à traiter la “déprime”, c’est un constat tout simplement catastrophique.

Pourtant, le soir de l’annonce du sixième suicidé de PSA, le journal de 20h ouvrait sur un problème de TGV en retard et sur les discussions parlementaires autour du projet de loi visant à réduire le droit de grève. Aveuglement ? Indifférence ? Pudeur ? Tabou ?

Tout le monde s’accorde à estimer qu’il est difficile de trouver une cause précise à cette épidémie. Il est vrai qu’entre le salarié de l’automobile, sa culture ouvrière, ses pressions économiques et les menaces de délocalisation liées à la mondialisation, son rythme de travail décalé et le salarié d’EDF, sa culture de service public, la sérénité et la protection liées à son domaine d’activité et l’absence de menace sur l’emploi, tout devrait aboutir à des conditions de travail qui, si elles sont anxiogènes pour l’un, devraient protéger l’autre. Mais ce n’est pas le cas.
Si ces suicides sont liés aux conditions de travail, alors il s’agit d’éléments communs entre ces deux secteurs d’activités. Type moderne de management, critères de rentabilité à courte vue en conflit direct avec le maintien d’une solidarité, d’un échange, d’une construction de relations interpersonnelles ? Absence de dialogue véritable au profit d’un verbiage vide de sens, d’avenir et de réconfort ? Rythmes de travail ayant franchis un seuil physiologique ou psychologique ?

Peut-être faut-il aussi élargir le strict cadre du travail pour comprendre les racines du mal.
Notre vie moderne semble s’être orientée vers un renforcement de l’individualisme, que ce soit un choix ou la conséquence d’un long processus de déliquescence. La dernière campagne électorale en était un flagrant exemple : on y célébrait la réussite de “celui qui se lève tôt”, celui qui travaille beaucoup, celui qui est fier de sa réussite et de sa richesse. Les salariés de Peugeot se lèvent très tôt lorsqu’ils sont de la tournée du matin, ils travaillent beaucoup et à des rythmes soutenus, mais dans une culture individualiste, ils perdent la notion de réussite sociale associée à la culture ouvrière en usine, ils perdent la cohésion créée par la solidarité et la fierté d’appartenir à une microsociété qui vit des fruits de son travail.
Dans l’usine, le travail est dur. A l’extérieur, quelle est la source d’espoir ? Où est le courant d’air frais qui vous donne confiance en l’avenir ? L’école républicaine apparait de plus en plus en échec dans sa mission égalitaire d’ascension sociale (ne faut-il pas envisager de recourir systématiquement aux cours particuliers ou aux écoles privées pour espérer voir nos enfants réussir ?) : l’avenir est compromis pour les plus jeunes. La France se désindustrialise au rythme des intérêts de la sphère financière qui semble ignorer la notion de projet industriel, de la fierté du travail bien fait : l’avenir est compromis pour ceux qui sont censés construire le présent.
Et de quel espoir politique sommes-nous porteur ? Marx est mort parce qu’il a échoué, mais ce faisant, il a entraîné dans la tombe tous les autres projets qui visaient à changer la société et nous nous retrouvons avec un message politique limité à la gestion passive du quotidien, le tout enrobé d’un miel marketing qui endort les consciences, mais certes pas les douleurs.

Les suicides au sein des entreprises ne seraient-ils pas finalement le dernier acte de contestation de citoyens à la recherche de solidarité et d’attention ? En allant mourir sur le dernier lieu de réussite que notre société nous reconnaît, ne revient-il pas à exprimer toute la douleur que génère une telle société, une société qui se désagrège à grande vitesse et ne donne aucun espoir à ceux qui ne sont pas des surhommes bénis des Dieux.

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