Pour la troisième fois cette année, la France de ceux qui ne demandent qu’à travailler mieux pour gagner décemment leur vie est redescendue dans la rue. Par trois fois cela a été un réel succès, pour des raisons d’ailleurs à chaque fois différentes.
La première des manifestations marquait le retour de la mobilisation et des syndicats et de la gauche politique dans la rue, dans un rendez-vous réussi avec les Français alors que le gouvernement Sarkozy avait largement claironné son mépris de tous ces gens que plus personne ne remarquait.
La deuxième fois, le succès était celui tout à fait impressionnant du nombre de manifestants.
Aujourd’hui, il s’agit surtout d’une unité inédite des syndicats associée à une présence marquée des politiques de gauche, mais aussi ce qui est plus surprenant, du modem. Bien qu’encore très symbolique, cette présence marque un jalon vers une alliance d’intérêts objectifs pour battre la droite sarkozyste, à défaut d’une alliance idéologique qui ne peut pas avoir de sens sur un certain nombre de points.
Tout cela me réjouirait sans retenue si ces succès menaient quelque part. Mais cela me rappelle de plus en plus Napoléon à Moscou attendant que le Tsar veuille bien venir négocier les termes de sa reddition : seul l’hiver pointa son nez. Il ne sert à rien de gagner des batailles si l’on n’est pas en mesure d’écrire et de faire signer les traités de paix ! Or ce gouvernement est tellement à la ramasse que l’on peut être certain qu’il ne pense pas pouvoir nous entraîner plus bas et que cela ne peut qu’aller mieux demain (ce en quoi il se trompe) ; il est tellement dénué de tout honneur et intérêt pour la France et les Français qu’il s’accrochera au pouvoir sans bouger d’un iota tel un pique-assiette accroché au buffet d’une réception mondaine. Quoi qu’il se passe dehors, le peu d’estime pour soi-même ne vous incline pas à vous intéresser à ceux qui crient leur colère dehors, au contraire : engloutissons les petits fours et on verra quel jour sera demain…
Cette situation est typique d’une partie où les joueurs ne jouent pas avec les mêmes règles. Or depuis le début, Nicolas Sarkozy ne joue pas selon les règles qui sont celles de la Vème République et celle-ci a déjà été trop malmenée dans le passé pour ne résister qu’épisodiquement à la sarkocratie. Le climat est-il insurrectionnel pour autant ? Il me semble qu’il l’est moins qu’après le constat des déboires de la politique sarkozyste et que les défis lancés au pouvoir restent dans la marginalité très classique de l’action syndicale et législative : on menace le préfet, on prend en otage des cadres, on réussit quelques coups spectaculaires au parlement… avant de rentrer chez soi.
La gauche pourrait-elle renverser ce gouvernement ? Oui, mais elle ne le veut pas car cela n’est pas dans l’esprit de la République : il faut attendre les élections.
Les syndicats peuvent-ils renverser ce gouvernement ? Oui, mais ils ne le veulent pas car ils sont structurellement trop faibles et que cela n’est pas dans l’esprit de la République : les syndicats s’occupent de social, mais pas de faire ou défaire les gouvernements.
Les Français peuvent-il renverser ce gouvernement ? Oui, mais de façon révolutionnaire et cela n’est pas dans l’esprit de la République : couper la tête d’un roi est une chose, couper celle d’un président que l’on a élu en est une autre, même si ce président n’a jamais pu se hisser à la hauteur de la fonction.
Sommes-nous donc condamnés à attendre que Nicolas Sarkozy veuille bien partir de lui-même ? Pas sûr, De Villepin et Copé vont rapidement être propulsés au rang des hérauts d’une droite qui elle aussi a été bafouée sur ses valeurs, sur son identité. Pour destituer le liquidateur de la République, il faudra toute la mobilisation et la révolte de la gauche, ce qui est fait, mais aussi l’orgueil de la droite, ce qui ne devrait pas tarder tant l’échec est patent et les couleuvres de plus en plus dures à avaler.
Ce sont les valeurs profondes de la République et de la France qui peuvent mettre fin à l’incroyable égarement débuté en 2007. Ou un effondrement total.