Déclaration de principes du PS : analyse critique de l’article I

Cette série de posts continue une petite parenthèse personnelle à la réflexion collective qui est la marque de fabrique de la pensée social-démocrate. Ceci est dû à des impératifs de temps et de disponibilité ; cependant, cette parenthèse s’insère entre les travaux pour le manifeste social-démocrate, la déclaration de l’université d’été de La Rochelle, la déclaration de principes elle-même et donnera si l’analyse est un tant soit peu pertinente, une base de questionnement sur des points délicats ou à approfondir. Cette réflexion ne conteste bien sûr pas le travail remarquable qui a été jusqu’ici mené pour la refondation de l’idéologie socialiste, ni bien évidemment la qualité des hommes et femmes remarquables comme Alain Bergougnioux qui y ont participé.

Article 1

Être socialiste, c’est ne pas se satisfaire du monde tel qu’il est. L’idée socialiste relève, à la fois, d’une révolte contre les injustices et de l’espérance pour une vie meilleure. Le but de l’action socialiste est l’émancipation complète de la personne humaine et la sauvegarde de la planète.

Voici en peu de mots tout à la fois l’affirmation d’une vision optimiste, positive et volontaire de la société, et mine de rien, une rupture intellectuelle majeure. Oui, nous sommes fondamentalement et radicalement réformateur, oui nous travaillons pour un idéal décliné, ici, en deux parties : émancipation de l’individu et sauvegarde de la planète.

Je comprends et adhère au sens cette phrase, mais pourtant, je conteste radicalement la formulation de « sauvegarde de la planète » qui relève d’une vision sentimentalisme qui n’est pas la réalité, qui est source de confusion, voire de détournement. Incidemment, cette phrase introduit sans le dire une rupture avec la pensée marxiste, ou plus exactement celle du XIXème siècle.

D’abord, pourquoi réfuter la notion de « sauvegarde de la planète ». Tout simplement parce qu’à ce jour, nous n’avons heureusement pas la capacité de détruire la vie sur terre (même s’il n’est pas exclus que cela arrive un jour !). En synthèse, l’action de nos sociétés modifie l’environnement, la chimie de l’atmosphère, des eaux et des sols. Ceci a un impact puissant sur les écosystèmes et sur leurs équilibres actuels. Mais si les écosystèmes sont globalement et temporairement « stables » (homéostatiques), sur la durée, ils sont en constante évolution. Notre action ne fait que les orienter vers une évolution qu’ils n’auraient peut-être pas suivi en notre absence. Et c’est cette évolution non voulue (par nous) et non maîtrisée qui est problématique, car si la planète s’en accommodera, l’histoire a montré qu’une telle évolution pouvait détruire des sociétés mais aussi des espèces, dont nous faisons partie. Aussi notre combat ne doit pas tant être de chercher à préserver un hypothétique état stable idéal des écosystèmes, mais bien de ne pas les modifier de façon irréfléchie, incontrôlée, non pérenne. Les écosystèmes, comme la société que nous voulons construire, sont des entités qui se « réforment » naturellement, constamment, pour s’améliorer c’est à dire trouver un état optimal de garantie de survie.
Le parallèle n’est pas ailleurs pas gratuit. Société et écosystèmes relèvent du même modèle comportemental, modèle qui induit la rupture avec la pensée newtonnienne qui eut son apogée au XIXème siècle ; nous ne pouvons plus comprendre le monde en ne portant notre attention que sur des éléments isolés sur le mode action / réaction. Une telle approche est impuissante à décrire l’avenir d’un système de plus de 2 entités, et encore à conditions de connaitre parfaitement toutes les données de départ avec une précision infinie. La compréhension d’un monde purement déterministe a échoué, nous devons nous tourner vers une approche systémique (beaucoup d’échanges rétroactifs entre beaucoup d’éléments), structurelle (un tout avec ses lois), probabiliste (pas de résultats isolés certains).
Pour la société, il y a au départ l’individu, « bon sauvage » libre de toute contrainte et libre de choisir son avenir (monde totalement « libéral », ceci est «une société sans société»). En liant des relations avec ses semblables, cet individu passe au stade de « citoyen », c’est à dire qu’il se met à avoir des liens de rétroaction avec les autres citoyens (droits et devoirs). Ces liens vont constituer un tissu, stable à court terme mais en évolution sur la durée, qui va donner une identité à la société de citoyens (en fonction de conventions, d’héritage de coutumes, d’éthique commune, etc…). On notera au passage, que ces liens s’exercent à des échelles différentes : famille, groupes amicaux, associations en tous genres (sportives, culturelles, travail, …), que des micro-sociétés se forment avec leur identité et se mettent à échanger entre sociétés de même niveau (cultures régionales, professionnelles, nationales, continentales). La citoyenneté est un système identitaire d’échanges (boucles de rétroactions multiples qui créent une identité culturelle) qui s’expriment à des échelles différentes ; la citoyenneté est à l’image d’une poupée russe. Une telle vision permet également d’éclairer les rapports entre individu et destin collectif, d’améliorer la compréhension des raisons du clivage entre une droite libérale individualiste et une gauche socialiste solidaire, d’éclairer les raisons des approches conservatrices ou réformistes.
Maintenant, quel est le lien avec les écosystèmes ? Il est double : analogie et interaction. Si l’individu n’a pas d’impact à long terme sur l’écosystème, une société en a, et c’est bien notre problème : toute société d’importance est en interaction avec son ou ses écosystèmes, elle consomme des éléments et en produit, elle échange avec ses écosystèmes. Par ailleurs, un écosystème est également un ensemble complexe d’entités qui trouve son équilibre par ces échanges (production primaire, prédation, maintient d’un équilibre chimique, …).

Si l’on se donne un modèle des écosystèmes et des sociétés, on pourra les décrire de façon analogue, avec un point de vue systémique, cybernétique, sociologique, d’automate mathématique ou toute autre variation du même genre.
Enfin, il faut également bien comprendre que la « non-action » n’existe pas dans un système où tous les éléments interagissent entre eux. Ne pas faire quelque chose (pour « sauvegarder la planète ») revient à faire laisser-faire, c’est à dire à ne pas chercher à empêcher ou amortir des changements que l’on évalue comme néfastes. Nous reviendrons sur ce point lors de l’analyse de l’article introduisant l’illusoire principe de précaution.
Au final, ce premier article déclare notre ferme et optimiste volonté de progrès vers un idéal de justice. Il introduit la question écologique au plus haut niveau de nos ambitions politiques, et incidemment, introduit une nouvelle façon de penser notre monde et notre société, non plus d’une façon simple, causale, mécanique et déterministe, mais d’une façon globale imbriquant profondément les choses, structurelle et probabiliste.

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