J’aime à regarder le théâtre politique avec des yeux romantiques, à replacer les actes de chacun dans un décor sombre ou grandiose, le destin des acteurs comme écrit pour une pièce dont ils ignorent la trame.
Et il se trouve qu’Eric Besson est un excellent prétexte pour exercer ma vision romantique de la politique. L’homme est tout désigné pour interpréter le rôle de l’ombre des basses œuvres agrémenté du panache tragique du traitre. Comme il doit être complexe et tortueux le chemin qui mène un homme ou une femme à trahir son camp et ses engagements, à trouver en soi le ressort qui transcende ses propres contradictions morales pour justifier, sans doute au nom d’un intérêt personnel supérieur qui restera à jamais inexpliqué aux yeux du monde, le crime de trahison, acte de courage et de honte, sans espoir de gloire ou de rédemption.
Comme devient-on un traitre ? Certains le deviennent parce qu’ils croient servir ainsi la cause de leur engagement, mais cause qui à leurs yeux, par quelques circonstances rampantes, s’est altérée, pervertie car servie par des hommes et des femmes qu’ils jugent indignent de la grandeur espérée. Peut-être est-ce là le chemin suivi par cet homme, entré au PS sans doute plus poussé par la magnificence espérée de son service de l’État, et désespéré de ne pas y arriver car non reconnu et laissé seul face à ses faiblesses, à ses doutes : un homme qui n’est pas forgé avec l’acier des convictions se perd facilement lorsqu’il est englué dans un marais de doutes.
Splendide trahison en tout cas, à l’instant pré-climaxique d’une bataille d’apparences, une bataille pour le seul pouvoir et non pour la gloire ou les idéaux. Champ de bataille idéal pour sonner l’heure de la trahison. En cela, Eric Besson est un traitre magnifique.
La suite pourtant ne peut que gâcher l’heure de gloire du félon. En le prenant à son service sous les lumières de son gouvernement, Nicolas Sarkozy a commis une faute théatralement incroyable. Le traitre est par essence haït par son ancien camp et forcément méprisé par le nouveau. Mais la honte bue de l’acteur, dans des circonstances qui lui sont propres, ne peut être partagée avec ses nouveaux amis. En le prenant comme ministre, Nicolas Sarkozy impose à l’UMP le blason de la félonie et donne à voir aux yeux des Français, la récompense de l’immoralité, immoralité encore accentuée par d’autres personnages de ce gouvernement, Frédéric Mitterrand arborant fièrement l’image d’une mauvaise vie qu’il juge lui-même immorale ou encore Brice Hortefeux donnant celle de la bêtise intolérante. Et pour parachever la pièce, les couloirs sont balayés par le souffle glaçant des passe-droits filiaux, des assassinats politiques par voie judiciaire et des mensonges ordinaires.
Étonnante vitrine des vanités honteuses que celle de ce gouvernement dont les fondements moraux vont à l’encontre des valeurs que nous voulons enseigner à nos enfants et qui ne peut même pas se prévaloir d’une fin qui justifie les moyens tant ses échecs sont retentissants et sans précédents.
Eric Besson a opportunément introduit un débat sur l’identité nationale. Ne faut-il pas y voir là aussi l’esprit du traitre qui consciemment ou pas, nous oblige à réfléchir sur des valeurs, nos valeurs, dont le gouvernement auquel il appartient est l’exact contre-exemple.
Être Français est un état d’esprit, un rêve de grandeur, l’esprit combatif qui permet à l’équipe de France de battre les All Blacks en coupe du monde, l’esprit noble et généreux de Cyrano qui par amour et grandeur d’âme renonce à recevoir les fruits mille fois mérités de cet amour, l’admiration que nous pouvons susciter par notre conduite et nos improbables réussites. Voilà ce qu’être Français veut dire. Voilà tout ce que n’est pas Nicolas Sarkozy, l’homme qui récompense la trahison.