Ce texte est la première partie d’une réflexion sur la refondation du PS et peut-être au-delà sur le futur du socialisme et de la social-démocratie ; il essaie d’analyser les défis auxquels nous sommes confrontés. La seconde partie tentera de donner des pistes de réponse à ces défis.
Il s’insère naturellement dans le travail du PS dont une partie de la réflexion collective a déjà abouti à plusieurs contributions et synthèses mais il cherche, autant que faire se peut, à trouver de nouvelles façons d’explorer les problèmes dans l’espoir de réussir à dépasser nos formatages qui sont une des causes qui nous ont mené à l’impasse.
Changer : nécessité, impossibilité
Il y a au PS peu de choses qui font l’unanimité, mais la volonté d’un changement semble faire partie de ces choses.
Derrière cette volonté se cachent cependant bien des définitions du « changement » : changement de méthodes, changement de personnes, changement de génération, changement d’outils, changement profond du corpus idéologique, ou encore changement comme expression de la peur de devoir changer vraiment…
L’expression de cette volonté traduit également tout à la fois un refus, parfois encore un déni, et de plus en plus souvent maintenant, un espoir, la recherche d’un souffle nouveau, la crainte autant que l’espérance de la transcendance des anciennes idées.
Si changer est généralement une nécessité, c’est très rarement un choix pour chacun d’entre nous. Cela est encore plus vrai pour une organisation ou dans notre cas, un parti politique. Les groupes constitués fonctionnent selon des règles tacites ou explicites qui les stabilisent, qui les font avancer et leur évite d’exploser. La stabilité d’un groupe, bonne ou mauvaise, résulte d’une alchimie entre la volonté d’être ensemble et la réalité de forces antagonistes qui se neutralisent, se stabilisent de façon généralement non consciente, sur un équilibre aussi stable que possible.
Il en résulte une conséquence, un obstacle majeur à quiconque veut ou doit conduire un projet de changement : un groupe n’est généralement pas en mesure de trouver de lui-même et en lui-même les forces pour mener à bien ce changement, car s’il existait un chemin vers une meilleure situation pour ce groupe, cela aurait été déjà fait, et que dans le cas contraire cela signifie que le nouveau but à atteindre n’est pas optimal pour ce groupe, en l’état.
Un groupe ne change que suite à des perturbations extérieures fortes qui le contraignent à évoluer, ou des départs internes qui redistribuent les forces et permettent de retrouver un autre point optimal, que l’on espère meilleur que le premier.
Terrible défi alors pour nous : si les contraintes extérieures existent et ont été perçues et douloureusement ressenties avec nos échecs de 2002 et 2007, elles marquent une impérative nécessité mais n’insufflent pas forcément en elles-même une force capable de nous éloigner durablement d’une situation que nous savons pourtant perdante, voire destructrice si elle reste en l’état.
Parallèlement, 2002 et 2007 furent des échecs nationaux auxquels ont répondu en écho des succès locaux dont le dernier fut un des plus éclatants (les régionales 2010), ce qui peut laisser croire à une partie du PS que la situation est non seulement tenable, mais qu’elle pourrait peut-être même être souhaitable.
Faire un tel raisonnement condamnerait tout simplement le PS, et au-delà une partie de l’espérance qu’il porte ; en effet, si ce sont nos erreurs et nos échecs qui nous questionnent aujourd’hui, la cause profonde qui légitime un changement radical me semble être fondamentalement celle d’un découplage entre les fondements même de notre combat politique et ce dont a réellement besoin la société française, et au-delà ce qui légitime notre combat au nom de l’Humanité. Les victoires locales n’ont de sens que par rapport à une légitimité idéologique nationale, voire internationale dans le cas d’un parti internationaliste comme le notre. Sans cette légitimité nationale, nous sommes dans le cas de baronnies qui agoniseront avec leurs chefs.
Les motivations réelles de la refondation sont donc externes au PS et le parti n’a qu’un nombre restreint de possibilités quant à son avenir :
soit il lutte contre cette pression externe pour demeurer en l’état, et il finira par s’épuiser avant de disparaître,
soit il lutte contre cette pression externe sans arriver à maîtriser ses forces antagonistes internes et il se transformera en essaimant (ce qui s’est produit une fois de façon marginale avec le départ d’une partie de l’aile gauche radicale conduite par Jean-Luc Mélanchon)
soit il se nourrit de cette pression externe, utilise les dangers qu’elle induit comme moteur de sa mutation et le parti socialiste refondé pourra devenir le premier grand parti politique du XXIème siècle.
Dans le premier cas, l’agonie peut s’étaler sur plusieurs très longues années.
Dans le second l’essaimage sera sans doute aussi rapide que violent.
Dans le dernier cas que j’appelle de mes vœux, la mutation se fera sans doute sur quelques années, probablement en trois étapes :
une phase préparatoire qui nous permettra de gagner les présidentielles de 2012
la phase de réelle mutation pendant ce quinquennat qui parachèvera le travail fait pour 2012,
enfin, à l’issue de ce quinquennat la refondation définitive et le basculement vers une nouvelle République qui sera la première grande œuvre de cette refondation.
Si ce schéma s’avère exact, il est peu probable que le président élu en 2012 se représentera pour un second mandat. L’élection de 2012 devra permettre d’élire un président « pivot » maîtrisant le système actuel mais intellectuellement suffisamment ouvert pour permettre d’accoucher d’un nouveau monde ; le président de 2012 ne peut pas à mon sens être un pur produit de l’énarquie socialiste, le formatage étant il me semble trop structurant pour aller au-delà d’une amélioration, même forte, de l’existant.
Quelles que soient les qualités de notre candidat en 2012, il est a priori peu probable qu’une seule et même personne soit en capacité intellectuelle et culturelle d’être le meilleur pour être à la tête de deux modèles de sociétés tout en réalisant la transition de l’une à l’autre.
Rénovation ou refondation ?
La question n’est pas anodine et sa réponse résultera du niveau de conservatisme du PS.
Rénover signifie que nos problèmes sont des problèmes de procédures démocratiques, intellectuelles, finalement administratives.
Rénover est l’expression d’une confiance dans un système qui a finalement perduré pendant des dizaines d’années et nous a mené plusieurs fois à la tête du pays, ce qui n’est pas si mal.
Rénover signifie avoir toujours confiance dans le modèle des élites dirigeantes formatées par quelques grandes écoles de pensée.
Il y a des arguments pouvant justifier une telle position, mais il y a surtout le poids des habitudes et des formatages éducatifs et culturels des individus, éléments qui sont vilipendés par les militants à travers des termes différents généralement peu aimables : solférinesque, éléphant(e), énarque, aristocratie, apparatchik, baron(ne)…
Lorsque l’on a été formé pour faire fonctionner un système, lorsque ce système est le support du combat de votre vie, lorsque ce système vous fait vivre, vous êtes forcément conservateur vis-à-vis de ce système et lorsqu’à l’évidence ce système doit changer, il n’est pas possible de dépasser son propre formatage et le changement se limitera à une réforme, non à ce cataclysme que représente la refondation. Cela est humain et légitime, mais à l’évidence il est des situations où ceci va à l’encontre de l’intérêt et de la volonté collective : il faudra aux cadres du PS un immense sens de l’intérêt collectif et des convictions très solides pour passer cet obstacle.
Refonder n’est pas un choix, pas un désir, c’est une nécessité qui promet du bruit et de la fureur, c’est un acte fondateur autant qu’un acte de survie, c’est un acte qui tue le présent pour donner une chance à une naissance à venir.
Refonder c’est questionner chacune de ses certitudes, chacune des briques qui nous façonnent individuellement et collectivement.
Refonder, finalement et ironiquement, c’est mener le combat révolutionnaire que nous avons accepté d’abandonner, mais une révolution sur nous-même, pas une révolution imposées à la nation à l’issue d’un combat sanglant.
Peu d’entre-nous sont à même d’envisager un tel bouleversement et de choisir délibérément cette voie, c’est à nouveau une affaire de personnalité, de formatage culturel mais aussi de hasard de vie. Alors si nous devons nous y engager, soyons sûr de nos motivations et de nos forces.
Les défis décrits ci-dessous seront donc à appréhender à l’aune de nos capacités à rénover ou à refonder. Et pour que l’un ou l’autre des chemins puisse aboutir, ces défis solliciteront également notre capacité d’écoute et de compréhension auprès de ceux qui seront sur le chemin minoritaire du changement. C’est ensemble que nous changerons, ou dans la fureur de la désunion que nous sombrerons avec nos espoirs.
(a suivre)