Un beur et un aristo font du foin dans l’Etaples

Ces derniers temps, les médias et internet (pour une fois en phase, 67200 liens rien que pour google sur la recherche “PS Etaples”) relaient une histoire d’investiture du PS intéressante. En substance, l’histoire raconte que les instances nationales du PS ont investi un candidat énarque et qui plus est à particule contre la décision de la section locale d’Etaples qui avait elle choisi un candidat du quartier et qui plus est, à consonance exotique. D’où moult commentaires sur un PS autoritaire bafouant ses engagements envers la classe ouvrière, les faibles, les minorités “visibles”. Bel exemple permettant de déclamer à qui veut l’entendre tout le catéchisme d’une gauche historique et quelque part perdue.

Comment ne pas se révolter en effet devant une telle injustice. Comme je suis curieux et que l’expérience m’a appris depuis longtemps à me méfier des révoltes journalistiquement boostée, j’ai essayé d’en apprendre un peu plus sur le sujet. Après quelques échanges, l’histoire telle qu’elle est vraiment se révelle assez différente et finalement très instructive.

En fait, notre particulier formé à l’ENA, Antoine de Rocquigny, n’est pas exactement un parachuté parisien puisque sa famille est depuis longtemps implantée à Etaples et s’est déjà illustrée au service de la ville. Notable incontestablement, mais parachuté parisien certes pas. En terme de légitimité locale, il n’est donc pas en reste face à son concurrent Bagdad Ghezal.

L’autre élément intéressant est apporté par les analyses pré-électorales. Depuis la regrettable aventure présidentielle de 2007, les socialistes ont largement appris à se méfier des projections de votes mais on ne peut totalement les ignorer sous peine de continuer la même erreur, en l’inversant cette fois. Que disent ces projections ? Elles disent que la ville pourrait être gagnable pour la gauche si l’ami Antoine se présente alors que pour l’instant, la tendance serait fortement défavorable si c’est l’ami Bagdad. Ce n’est qu’une projection, mais cela fait cependant un second point fort pour conforter la décision de présenter Antoine de Rocquigny. Si on en juge par les éléments factuels, la décision est cohérente. Alors qu’est-ce qui ne tourne pas rond ?

Eh bien, derrière ce battage de bons sentiments, on retrouve finalement tout le malaise du PS et son problème pour se remettre en phase avec la réalité.

– Une partie du PS se veut encore un parti de classe, un parti ouvrier, un parti des petits en lutte contre les gros. La réalité est que la notion de classe tient plus de la rhétorique que d’une réalité économique ou sociale, que le parti ouvrier manque d’ouvriers et qu’il devrait plutôt se référer aux salariés, gros et petits, largement plus en phase avec la réalité, utile et cohérent. Du coup, investir un aristocrate a autant de sens qu’investir un travailleur social du moment que son engagement militant est sincère, utile et cohérent. C’est l’engagement qui doit définir le sens militant moderne au PS, pas l’origine sociale. Sur ce point, les deux militants apparaissent irréprochables et il est d’autant plus regrettable que cette histoire les oppose alors que leur combat est commun.
– Autre aspect qui cette fois est lié au combat pour l’intégration. Finalement, c’est le vrai argument pour choisir Bagdad plutôt qu’Antoine : montrer que politiquement, le PS fait de réels efforts pour promouvoir des militants dont le travail est par ailleurs exemplaire. Certes, mais d’une part cela est un combat national et d’autre part cela ne semble pas passer localement. A quoi cela servirait-t-il d’avoir une tête de liste symbolique mais perdante. Sans cette mousse médiatique, il est plus que probable qu’Etaples aurait été perdue dans l’anonymat le plus complet. Doit-on reprocher au PS de se remettre en phase avec l’électorat local qui semble préférer une famille aristocratique locale reconnue à un descendant d’une immigration qui n’est toujours pas digérée après 40 ans ? Le café du commerce ne plébiscite pas les beurs (rien que le nom est d’ailleurs discriminatoire), c’est plus que regrettable, il faut travailler encore et toujours pour l’intégration, mais ce n’est pas en perdant une élection que l’on a une chance d’y arriver. Le PS doit mettre ses ambitions en phase avec la réalité française et gagner intelligemment pour changer les choses.

Au final, le réalisme social et politique impliquent de choisir Antoine de Rocquigny, mais il serait au combien nécessaire que Bagdad Ghezal soit à ses côtés, en première ligne. Je déteste l’idée de la discrimination positive : c’est un passage en force, non négocié, qui se fait forcément au détriment d’autres personnes quelles que soient leurs qualité. En ce sens, les quotas électoraux sont a minima un renoncement. Mais cela ne doit pas nous empêcher de travailler encore et toujours sur l’inclusion de tous, à tous les niveaux, mais l’inclusion par l’acceptation naturelle, pas par des assauts à la hussarde, à rebrousse-poil du sentiment populaire.

C’est le sens du combat social-démocrate : négocier, sur la durée, par le contrat, pas à pas, échelon par échelon, pour changer la société, l’améliorer.

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