J’ai assisté cette semaine à une conférence d’Emmanuel Todd pour la présentation de son dernier livre “Après la démocratie“. L’homme est un intellectuel pétillant, direct, un rien gamin riant de ses blagues, non sans une certaine (auto)dérision.
La conférence m’a été d’autant plus agréable que je me trouvais face à un homme exprimant sans ambages la condamnation de tant de choses que j’ai pu combattre ici et ailleurs, au premier rang desquelles une vacuité totale du message politique de la dernière présidentielle (et de la suite), si ce n’est la capacité de dire ce que les gens veulent entendre sans y ajouter une once de contenu, de projet politique.
Mais au-delà de la critique des personnes, Todd nous interpelle sur un nécessaire protectionnisme économique s’insérant certes au sein des lois du marché, mais s’opposant au libre-échangisme, l’argument étant que si le libre-échange mondialisé génère des richesses, il permet surtout une montée des inégalités à un niveau inconnu dans l’époque contemporaine occidentale. Le libre-échange est “égalitaire” dans le sens d’une diffusion mondiale d’une hyper-richesse pour très peu, de la généralisation d’une classe d’ultra-pauvreté et d’une baisse moyenne de la richesse pour la plupart ; une sorte d’égalité internationale des hyper-inégalités planétaires. De fait, c’est bien ce que disent les études démographiques, et en particulier, les jeunes générations européennes bien que mieux formées que leurs aînés, bien que disposant de moyens technologiques supérieurs, bien que bénéficiant d’un plus haut niveau de productivité, sont condamnés en l’état à avoir une vie financièrement inférieure à leurs parents. C’est une hérésie de l’histoire.
Le protectionnisme est-il fondamentalement en opposition avec la social-démocratie ? Je crois, et c’est un avis très personnel, que cela va dépendre des critères idéologiques que l’on y applique, et donc des bornes et des objectifs que l’on se fixe. Si l’on décrète que certains éléments fondamentaux comme l’auto-suffisance alimentaire, énergétique, médicale, intellectuelle, financière ne peuvent être livrés au libre-échange puisqu’ils représentent des éléments vitaux pour notre société alors nous pouvons entrer dans une logique de service public non-concurrentiel avec des arguments recevables (peut-on confier un élément vital à une mécanique aveugle sans but identifiable, ou à la mystique de la main invisible du marché ?). Je crois que dans le cadre du critère “vital pour notre société”, le protectionnisme a un sens et qu’il est acceptable pour les sociaux-démocrates.
Doit-on aller plus loin et faire comme Obama qui a promis d’appliquer une politique protectionniste pour par exemple aider Boeing dans son combat contre Airbus ? Discutable, mais je crois que non : dans ce genre de cas, l’aide de l’État est une chose défendable, mais elle ne doit pas verrouiller les échanges. Boeing n’est pas vital pour le citoyen américain même s’il est clair que cette société est une source de richesse.
Le débat libre-échange vs protectionnisme doit être arbitré par l’idéologie. Nous, socdems, nous donnons pour objectif de donner un sens à notre action en regard des objectifs de notre société (notre identité individuelle s’inscrit dans un destin collectif, pas dans une concurrence d’individus isolés agissant selon la loi du démerde-yoursel). Cela est applicable sur ce problème économique et je crois que nous pouvons nous construire un discours et une politique cohérente sur ce sujet, en acceptant sans problème les lois du marché mais sans tomber dans le piège tendu par les ultra-libéraux : nous voulons des lois et des principes pour réguler le marché, ce qui veut dire que dans certains cas l’État n’a pas à intervenir, mais dans d’autres, jugés vitaux pour la société, il doit le faire et peut aller sans se renier jusqu’au protectionnisme.
Un petit regret a l’issue de cette conférence : lorsque je lui ai demandé son pronostic sur la manière dont allait finir notre République (remise en cause institutionnelle par les parlementaires bafoués, sursaut idéologique des partis ou révolution des chômeurs jetés dans la rue), il m’a fait une réponse sur ce qu’il jugeait souhaitable (modification au sein du système institutionnel) et non sur ce qu’il jugeait probable. Mais peut-être faut-il interpréter cela comme le fait que le probable n’est pas souhaitable…
Article publié le 19/01/2009