Je souhaiterais commenter deux actualités de ces derniers jours.
Tout d’abord, le retour en fanfare de DSK, dans deux registres très différents.
Celui de l’ascenseur sondagier qui l’a placé dernièrement dans une situation surprenante, celle d’avoir une majorité d’opinions favorables… à gauche. Jusqu’à présent, Dominique Strauss-Kahn faisait partie du groupe (plutôt nombreux d’ailleurs, voir Delors et autres Rocard) des “apporte-moi tes compétences mais mets-la en veilleuse”) et le voici soudain vu d’une manière beaucoup plus favorable. Il est vrai que lorsque le bâteau risque de sombrer, on se moque du côté sympa, sexy et amuseur de foire du capitaine et que les matelots demandent d’abord qu’il soit solide, compétent et capable d’amener le rafiot à bon port…
Autres éléments, nettement moins amusant, que sont les déclarations économiques du directeur du FMI. Il appelle, une nouvelle fois à plus de responsabilités des banques en leur demandant de finir leur ménage. Comment ne pas être d’accord à l’heure où les criquets ayant échappé au premier naufrage semblent vouloir repartir dans leur sinistre logique. Je craints fort que les seules mesures qui puissent leur faire peur sont d’ordre judiciaire et qu’il va falloir inventer un crime d’abus de bien sociaux contre l’humanité pour les arrêter.
Autre élément préoccupant relevé par DSK, le chômage, désastre dont nous n’avons manifestement pas pris en compte toute l’ampleur, le gouvernement Sarko II en tête, malgré la sortie de Darcos ces tous derniers jours. Eh oui, je craignais il y a quelques temps un horizon de 3 millions de chômeurs, nous y allons tout droit, et comme nous ne pourrons pas financer de front les retraites des baby boomers et un chômage de masse, il va falloir trouver des couillons, beaucoup, beaucoup de couillons pour recoller tout cela. Mais l’important est de préparer l’après-crise et de paraître optimiste devant les caméras n’est-ce pas ? Cela ne pourra aller mieux que lorsque nous aurons un gouvernement responsable, compétent et travaillant pour l’intérêt général.
Dernier élément sans rapport direct, le retour du travail le dimanche. Voilà une fixette qui si elle n’allait pas détruire de valeur, serait amusante tant elle est ridicule.
Ridicule sur tous ses aller-retours parlementaires. La droite ne veut tellement pas aller travailler le dimanche (ben oui, à droite on est plutôt catholique pratiquant, et le dimanche est quand même connoté “jour du seigneur” – ce dont se moque Sarko comme de son dernier tapoti sur son portable…).
Ridicule car la justification avancée (consommer plus) est en contradiction avec la volonté affichée de ne pas relancer la consommation. Dommage, car les quelques mesures de relance (prime à la casse par exemple) aident effectivement bien les producteurs, alors que le travail du dimanche qui n’est qu’une extension de plage horaire, n’a aucune chance d’augmenter cette consommation, tout simplement parce que le problème n’est pas un problème d’opportunité d’achat (internet est déjà ouvert 24h/24h, 7j/7) mais un problème de pouvoir d’achat. Pire, comme le travail du dimanche est plus coûteux qu’en semaine, globalement les marges seront plus faibles et le déplacement d’activité induit (vers les grands centres) va accélérer le mouvement de faillites en court ! Cette mesure n’est justifiée que par le lobbying de quelques grandes enseignes qui veulent gagner des parts de marché en tuant les concurrents qui seront trop petits pour ouvrir le dimanche. Le résultat prévisible est donc : faillites induites, hausse supplémentaire du chômage, hausse des prix pour compenser le surcoût. Et ceci n’est pas de l’anti-sarkozysme primaire, mais de l’anti-sarkozysme appuyé par la réflexion et un minimum de bon sens économique.
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Chômage?
Nous, les gens d’une gauche moderne qui avons de bonnes raisons de penser que nous pourrions exister encore demain, pourquoi ne prenons nous à bras le corps ce que DSK nous dit ?
La seule certitude que nous avons, c’est que notre société aura à gérer durablement un énorme «problème» de chômage.
Je mets entre guillemets le mot chômage car ça ne peut plus être un problème mais une part d’un ensemble à chiffrer et à financer.
Outre les personnes sur le carreau ou sur le point de l’être, l’ensemble comprendrait leur accompagnement en formation et en motivation vers les secteurs en montée d’emploi. Les employeurs futurs feraient partie intégrante de l’ensemble constitué et les laissés pour compte définitifs ne devraient pas en être exclus mais se situer, soit en soins, soit à la périphérie des entreprises ou des collectivités dans des activités limitées à leurs moyens.
De la réussite de cette opération naitrait l’alimentation des entrées déficitaires et la décrue de nos déficits.
Ton avis ? Merci
Comment by Jean Rambert — 12 July 2009 @ 4:41 pm
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D’abord un immense regret, le chômage aurait pu être résolu avec l’aide historique de la démographie. Certes la crise aurait de toute façon menacé cette chance, mais de 2007 à aujourd’hui, Sarko a cru qu’il pouvait se laisser aller à la paresse intellectuelle et que tout allait aller dans le bon sens, comme par magie. Résultat, au lieu d’affronter la crise avec un chômage à 5% et une réforme profonde du système, on prend tout en pleine figure et des déficits non maîtrisés, peut-être désormais non maîtrisables.
Sur ta question.
Le modèle des 30 glorieuses c’est en substance : je te forme ce qu’il faut pour te donner un métier, tu bosses, tu prends ta retraite et tu meurs juste après.
Ce modèle a évolué vers : tu fais des études les plus longues possibles même si cela ne te donne pas un métier, tu bosses lorsque c’est possible, tu prends ta retraite et tu meurs 20 ans plus tard.
L’expression est un peu rude, mais illustre les problèmes :
– problème d’identité sociale puisqu’on passe de 3 grandes “fonctions” dans la société (étudiant, travailleur, retraité) à un chapelet de situations qui ne s’enchaînent plus de façon prévisible et rassurante, si ce n’est la dernière étape qu’est la retraite (ce qui n’est pas un idéal très moteur !)
– problème pour construire la société puisqu’il n’y a plus de liant, de dynamique. Les étudiants ne peuvent pas éprouver une “envie” d’intégrer les entreprises puisqu’il n’y a pas de perspectives raisonnable pour leur destin (est-ce la source du comportement de la génération Y ?). Les entreprises fuient leur rôle de citoyen puisque ce système est intrinsèquement déficitaire et non-viable. Quant aux retraités à part culpabiliser sur une situation qu’ils ont vu se dégrader, je ne vois pas ce qu’ils peuvent faire.
Comment reconstruire du liant ? Comment faire de ce chapelet d’incertitudes un parcours où chacun peut se projeter dans l’avenir. Peut-être en atténuant les frontières entre stade d’emploi et de non-emploi, entre emploi productif privé et soutien collectif.
Finalement, de quoi chacun a-t-il besoin. D’être sûr de donner à manger à sa famille demain, de la loger, d’être en sécurité. L’entreprise a elle besoin de s’adapter au marché, mais aussi, surtout, de retrouver une place positive dans la construction de la Société.
Il faut revoir notre système d’aides pour qu’il garantisse, en nature et sans condition, les besoins fondamentaux. Cela assurera la sécurité.
Il faut revoir notre notion de chômage qui doit sortir du domaine de l’assurance (donc de l’évènement exceptionnel) et entrer dans une imbrication plus forte de périodes travaillées en entreprises et non-travaillées en dehors (formation, congés, projet de création d’entreprise, autre ?). Sur ce point, le rôle des syndicats doit profondément changer : les syndicats actuels doivent mourir pour se redéfinir et reprendre une place majeure dans notre société.
Enfin, la notion même de retraite doit disparaître au profit d’un rôle social plus constructif : il faut là aussi reconstruire du liant : ce n’est pas parce que l’on ne va plus à l’usine que l’on n’est bon qu’à prendre le car pour aller de restaurants en boutiques pour touristes, ou si l’on n’en n’a pas les moyens, de rester à contempler le pot de fleur sur la fenêtre !
Sera-ce plus facile à financer ? Oui, je le crois parce que les besoins fondamentaux sont en grande partie des besoins marginaux fournis par des infrastructures (l’électricité par exemple) : ils peuvent être payés en gain de productivité. Par ailleurs, à quoi sert d’être payé en numéraire si votre besoin c’est l’écoute, le soutien, les soins, la formation ?
Ces quelques réflexions sont lapidaires, j’en suis conscient. Mais acceptons quelques minutes de faire exploser tous nos mécanismes de pensée, et voyons ce que nous serions, dans l’absolu, capable de reconstruire. Faisons-nous violence pour briser nos schémas de pensée et ouvrir notre horizon. Si nous ne le faisons pas, nous en resterons à vouloir changer.
Comment by Bloggy Bag — 13 July 2009 @ 12:06 pm
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@Bloggy Bag
Merci pour la qualité de ta réflexion.
Comment en faire valoir l’intérêt dans les sinuosités des conventions et autres forums soporifiques ?
Comment by Jean Rambert — 13 July 2009 @ 1:50 pm
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Je te fais un mot supplémentaire après avoir réfléchi à ton texte du 13 courant, apprécié par beaucoup.
Dans un pays de tradition révolutionnaire «l’aide historique de la démographie». ne peut pas marcher. La gauche est-elle en mesure de mettre en place des dispositifs pour lutter contre cette fatalité ? J’en doute, il faudrait du temps et nous n’en avons pas beaucoup.
Pour ta comparaison entre «les 30 glorieuses» et la période qui les a suivies, tu ne soulignes pas l’individualisation progressive des parcours de vie. Pour toi, c’est un faux nez ou une réalité statistiquement incontestable ?
L’idée de fluidifier les situations aujourd’hui figées (Etudes / Chômage / Retraite) permettrait sans doute de les faire évoluer et de leur donner une image positive. Cette idée n’est pas souvent développée et je pense que devrait s’y ajouter l’analyse des revenus, du patrimoine et des impôts des retraités qui ne me semblent pas utilisés au mieux, le secteur bancaire ne jouant qu’avec les défauts de cette catégorie de population dont je fais partie !
Encore merci pour ton analyse.
Comment by Jean Rambert — 17 July 2009 @ 9:03 am
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Ah, l’individualisme !
Je crois que l’homme est un individu (terme qui chez moi s’oppose à citoyen) lorsque :
– soit il n’existe pas de société pour l’intégrer (le sauvage)
– soit il a les moyens d’exister seul, en dehors ou contre la société
Fondamentalement, la droite libérale défend le second point alors que nous défendons l’idée qu’il faut construire une société qui intègre car c’est finalement la meilleure stratégie d’avenir.
Les 30 glorieuses ont produit de fait une formidable croissance des moyens individuels, et 68 est dans cette continuité : le système pré-existant était formidablement figé mais fondamentalement solidaire (on avait souffert ensemble pendant la guerre, on avait reconstruit ensemble). Les enfants de cette génération ont eut les moyens de l’émancipation économique, mais leur erreur a sans doute été de croire que, ayant les moyens de vivre sans les contraintes du groupe qui doit imposer une norme pour fonctionner, ils pouvaient vivre en individu libre et sans contrainte, sans projet commun de société (je ne considère pas les communautés hippies comme un projet de société).
Or je crois que c’est une erreur formidable que de croire que la liberté de l’individu c’est la même chose que l’émancipation du citoyen : ce n’est pas parce que l’on a les moyens de vivre seul qu’il est souhaitable de s’affranchir d’un projet collectif. Je ne prendrai qu’un seul exemple pour illustrer cela : la révolution de la société a rendu acceptable la famille monoparentale. Mais le statut de mère ou de père célibataire est-il enviable, est-il un progrès ?
PS : en relisant ce commentaire, je me dis que finalement les vrais héritiers de 68 sont les libéraux, ce qui ne manque pas de piquant, n’est-ce pas Dany et Nicolas ?
Comment by bloggy bag — 18 July 2009 @ 12:23 pm