Dany, cet ami nous veut-il du bien ?

Daniel Cohn Bendit

Cher Dany, désolé de te casser les pieds, mais il faut que je fasse un peu le point avec mes camarades socialos sur le sujet de l’écologie.

Le sujet n’est pas nouveau pour nous, mais le moins que l’on puisse dire, c’est que nous n’avons jamais très bien communiqué sur le sujet. Du coup, pour rattraper le coup, certains d’entre nous ont semble-t-il l’idée de se lancer dans le plus écolo que moi tu meurs en se disant que l’année prochaine, les régionales se joueront en bonne partie à gauche sur ce sujet qui touche chacun dans son quotidien. Et figure toi qu’il ne nous a pas échappé que ce serait une excellente affaire, non pour le PS, mais bien pour les listes écologistes, tant il vrai qu’en matière de mangeons bio, récupérons l’eau et posons notre panneau photovoltaïque, les listes estampillées écolo-inside seront imbattables. Bien oui, ce n’est pas nouveau, en politique l’original est toujours préféré à la copie et vouloir te courir après serait surtout te pousser à la tête de nos belles régions. Vois-tu, nous avons beau être dans le brouillard en ce moment, nous n’en avons pas pour autant perdu notre lucidité et notre capacité d’analyse…

Alors, puisque tu es un ami et donc que tu ne peux que nous vouloir du bien, peut-être doit-on envisager de dissoudre le PS pour te rejoindre. Rejoindre qui pour quoi au fait ? Question importante parce que côté visibilité, finalement les écolos n’ont jamais franchement été plus clairs que le PS, même aujourd’hui.

Devrions-nous rejoindre l’écologie version paysan moustachu ? Franchement mon Dany, le côté conservateur réac à la sauce néo-jacquerie me rebute. Si être écolo c’est être anti-tout et retour à un monde paysan idéalisé reloocké à coup de toilettes sèches et de vieilles fermes mal chauffées, très peu pour moi, je laisse cela à quelques idéalistes sympathiques, mais prosaïquement entre allergie au lait, au gluten et rhume des foins, ma petite famille n’a aucune chance de survivre dans un monde pareil !

Devrions-nous rejoindre l’écologie version soixante-huitard qui a réalisé que le confort bourgeois avait son charme ? Où cela nous mènerait-il ? A vrai dire, je n’arrive pas très bien à décrypter ton message. Le coup de la décroissance comme mode de gestion des problèmes écologiques me paraît être être une ânerie pour madoffiser des gens qui n’ont pas eu la chance de recevoir assez d’éducation économique pour comprendre combien c’est absurde. Va expliquer au coiffeur ou à la femme de ménage qu’ils doivent moins travailler pour gagner moins (on dirait la politique de Sarko) dans le but de créer de la décroissance, seule façon pour eux de le faire puisqu’ils ne produisent que du service ! La situation économique actuelle est le parfait exemple de ce qui se passe lorsque l’on est en décroissance. Certes, je suis bien d’accord avec toi pour dire qu’il faut consommer moins d’énergie et moins gaspiller, mais il s’agit de gain de productivité, non de décroissance ! Je donne souvent une image pour illustrer ce qu’est l’économie : l’économie c’est l’énergie de la transformation. Plus il y a de croissance, et plus on a les moyens de transformer le monde, la vraie question est alors de le changer en mieux, avec la plus grande efficacité. Mais il nous faut le maximum d’énergie (de croissance) pour le faire, c’est à dire aujourd’hui à l’heure des ruptures climatique et énergétique, le maximum de croissance utilisée avec la plus grande intelligence possible pour sauver notre civilisation. Et ceci ne peut se faire que par un projet commun mené au sein d’une société réformatrice et solidaire, ce qui est presque la définition de la gauche n’est-ce pas ?
Alors non, Dany, je ne te rejoindrai pas, et je vais même te dire maintenant en quoi la refondation social-démocrate que nous sommes en train de mener, à besoin de gauche mais aussi dans tous les courants socialistes qui finiront bien par se retrouver, est fondamentalement différente de ta vision écolo.

Nous refusons de nous soumettre à une vision idéalisée de la nature, mère nourricière et protectrice parce que nous n’avons pas oublié qu’un individu soumis à la loi naturelle ne vit pas très longtemps : la déesse nature tue l’homme hors de la société, que ce soit à coup de paludisme ou de tsunami.

Nous avons compris combien il était important d’arrêter le désastre en marche, mais nous voulons chercher à équilibrer au juste niveau la pression de nos sociétés sur les écosystèmes et en aucun cas renoncer à construire une société protectrice au profit d’une mystique née d’un replis malthusien, d’une peur de l’avenir, d’une perte en l’espoir du progrès.  Alors oui, nous allons tout faire pour retrouver cet équilibre, mais la société que nous allons construire ira bien au-delà d’une taxe carbone, de légumes bios et d’une définition morale mais peu fondée de ce qui est du ressort du développement durable et de ce qui ne l’est pas.

Notre idéal reste de construire une société meilleure, plus juste, et oui, plus respectueuse des écosystèmes, mais l’homme reste au centre de notre idéologie, et l’écologie n’est qu’un élément de plus que nous ajoutons à ceux d’humanisme, d’émancipation, de liberté, d’égalité, d’universalité. Je veux que mes camarades socialistes reprennent pied sur la tribune pour, à nouveau, être fiers de présenter aux Français un projet de progrès social où chaque citoyen vivra en harmonie avec les autres et son environnement, ou chacun d’entre nous retrouvera le chemin qui guidera ses enfants vers un monde plus juste, plus sain, plus serein.

Alors Dany, certes les écologistes ont pendant des années sonné un tocsin que nous aurions dû écouter plus tôt, mais en aucun cas vous n’êtes porteur d’un projet de société, car votre projet est celui de la peur et de la domination de la nature, non de la confiance dans le progrès et le génie des hommes. La prise en compte des écosystèmes dans notre idéologie va générer des révolutions, comme celle de la notion de propriété, dont nous ne faisons qu’entre-apercevoir les lignes, mais ce sont les héritiers du socialisme et de la social-démocratie qui porteront ce projet, car nous seuls avons un héritage compatible avec la définition et les objectifs de ce projet.

Une réflexion sur « Dany, cet ami nous veut-il du bien ? »

  1. #

    C’est un point de vue tranchant. J’avais été plus soft. Mais je partage ce point de vue sans retenue, ou une peut-être : l’écologie politique est un bien nécessaire.

    Comment by Eric Bothorel — 21 July 2009 @ 3:15 pm
    #

    […] Par le passé, j’ai déjà exprimé ma différence avec les écologistes sur les motivations différentes qu’il existe en eux et nous. Mais sur la mise en place rapide d’un mécanisme qui réoriente avec force le trajet d’une société qui va droit à sa perte, alors je suis en total accord avec eux. Et si l’on doit combattre ici pour plus de justice, c’est pour veiller à ce que les mesures prises pèsent sur chacun à hauteur de ses moyens, et en aucun pas pour trouver une façon cynique de trouver un moyen de détruire un mécanisme permettant (peut-être) de nous en sortir. Et si vous doutez de l’urgence, si vous doutez de l’incroyable irresponsabilité des vieux conservateurs de la Vème République, je vous invite à visionner ce petit reportage de France 3 sur le retour de Tara après sa mission au pôle. Selon les scénarios le plus pessimistes évoqués nous n’aurions même pas quatre ans pour constater la bascule climatique de façon spectaculaire. […]

    Pingback by Bloggy Bag » Réfondation ou rénovation ? — 7 September 2009 @ 9:28 am

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