Depuis le début du mouvement anti CPE, je me dis qu’il y a un parfum de continuité, un événement de plus à mettre à l’actif du “front du refus” (élections, référendums, émeutes, …) sans arriver à en préciser la nature.
Le cas du CPE apparaît à première vue sans rapport avec des élections ou la révolte des laissés pour compte ; il s’agit au départ d’une loi de plus créée par quelques petits marquis à l’esprit aussi supérieur que profondément marqué par l’autisme, et prétendant apporter de la flexibilité au marché de l’emploi en ajoutant un texte supplémentaire à la bonne trentaine de contrats déjà existants.
L’affaire aurait pu en rester là et tomber dans l’anonymat de la bureaucratie, mais cela n’a pas été le cas pour deux raisons au moins :
– d’abord, en voulant traiter le problème, réel, de la difficulté qu’ont les plus jeunes à trouver un emploi (stable ou pas), cette loi a rendu encore plus visible, voir institutionnalisé, l’absence de perspectives professionnelles pour un jeune (diplômé ou pas). Qu’il soit bon, motivé, dynamique ou pas, le CPE permettait de dénier la plus élémentaire considération au nouvel embauché (pas d’explications à donner en cas de licenciement, allongement injustifiable de la période “ d’essai ”).
– ensuite parce que, comme je l’ai indiqué, nous sommes dans la continuité d’une contestation qui dure depuis plusieurs années. Mais contestation contre quoi au juste ?
Je me suis laissé aller à croire que nos contestataires valaient l’image renvoyée d’eux : petits jeunes frileux, voire pusillanimes, aspirant à entrer dans une case douillette, sans énergie, sans rêve. Survivre et ne rien changer. Et je me suis dit, qu’avec un peu moins de 20 ans de décalage, ce jugement aurait pu m’être aussi appliqué, lorsque moi aussi je manifestait contre des gouvernements qui voulaient m’appliquer des lois tout aussi idiotes. Pourtant, j’avais des rêves et de l’énergie que je ne crois pas encore avoir perdus ; il n’y a donc aucune raison qu’il en soit différemment pour cette génération.
Et puis, en écoutant un représentant syndical d’une confédération patronale, cela a fait tilt : “ embaucher un jeune pour une entreprise est un risque ”. Economiquement exact, mais ce problème économique est un prétexte car il a existé de tous temps. Le vrai problème me semble intergénérationnel. La génération des baby boomers a brisé la solidarité entre générations, elle n’a en fait jamais assumé comme normal de préparer sa propre relève, au bénéfice de ses enfants d’abord, puis maintenant pour ses petits enfants. De manière général, le père a perdu le réflexe de préparer la place professionnelle de son fils avant de s’effacer, phénomène encore plus brouillé par la progression de la place des filles dans la vie professionnelle. L’exemple du personnel politique est flagrant, mais à l’heure où la démographie aurait déjà dû commencer à créer un appel d’air partout, on constate que la partie “ bénie ” de cette génération prolonge volontairement ses activités professionnelles, en sachant pertinemment que c’est au détriment des générations plus jeunes. Le risque n’est pas tant pour l’entreprise que pour celui qui ne veut pas laisser la place à ses descendants, peut-être parce qu’il a peur d’un avenir qu’il ne pourrait plus verrouiller.
L’argument alibi avancé est que du moment que ces jeunes générations ont eu droit à un diplôme et que la société leur a laissé la liberté de vivre sans contraintes sociales (négation du modèle des décennies avant la rupture de 68), l’obligation intergénérationnelle devait être remplie. D’où la croyance naïve que le diplôme assure une place dans la société, et le même droit à la sécurité que se sont bâtis les grand-parents. Ce qui s’avèrent totalement faux, à l’évidence du point de vue économique, mais aussi du point de vue social : la construction de l’avenir de la nation n’est pas dans les mains de ses forces vives qui restent sur le quai.
J’en arrive à cette conclusion : le refus systématique exprimé envers la classe politique est d’abord une sanction contre un modèle de pouvoir verrouillé par la pensée d’une seule génération (refus, paradigme de ce que l’on rejette), les émeutes de décembre et les manifestations d’aujourd’hui sont l’expression du désarroi de classes d’âge qui n’ont finalement pas été acceptées dans le cycle normal de la vie de notre société.
En tant que père, je cherche comment je pourrai aider mes enfants d’ici vingt ans, mais la seule solution qui s’offre à moi, c’est le refus aujourd’hui. Or je veux construire, non détruire. Je veux leur donner la possibilité de bâtir leur vie, non leur imposer mon choix d’héritage. Et je suis même prêt à garantir à mes prédécesseurs la sécurité qu’ils ont refusé à leur descendance.
Cette génération vieillie s’est trompée et elle se trompe encore si elle continue de croire que l’héritage qu’elle lèguera sous forme d’un placement en assurance vie et une maison à la campagne remplacera les rêves et l’énergie perdus d’une jeunesse.
Il n’est pas trop tard pour recoller le fil générationnel, mais pas loin.
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