Les régions avancent là où Sarkozy échoue

Une fois n’est pas coutume, ce post sera honteusement pompé d’un texte écrit par Michèle Sabban, présidente de l’Assemblée des régions d’Europe et vice-présidente (PS) du conseil régional d’Ile-de-France.
Je pense qu’elle me pardonnera de la relayer sans lui avoir demandé ; je le fais car son avis éclairé montre bien comment nos élus savent travailler de façon moins ostentatoire et infiniment plus efficace que ce gouvernement qui aura décidément échoué sur tout ou presque.

Voici son texte que vous pouvez retrouver sur besoin de gauche.


Michele SabbanLa souris dont a accouché la médiatique montagne de Copenhague n’aura finalement surpris que ceux qui avaient choisi d’ignorer les dissensions entre les chefs d’Etat du monde entier depuis deux ans. Aujourd’hui, ces nouveaux déçus nous disent que la conférence de la convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique est un échec. Echoué, le beau rêve des citoyens du monde entier d’un tournant ambitieux et équitable sur la question du changement climatique. Emportée avec lui la chance historique de faire avancer l’humanité et, pour ainsi dire, d’assurer durablement sa survie.

En réalité, ces constats-là n’engagent que celles et ceux qui choisissent d’ignorer d’autres mutations en cours. S’ils ne sont pas encore en mesure de pallier toutes les déficiences d’une gouvernance mondiale livrée aux mains des seuls Etats, ces changements permettent néanmoins d’aborder l’année 2010, décisive à bien des égards, avec plus de sérénité et d’optimisme.

Sait-on suffisamment que, d’après les mesures établies par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), ce sont entre 50 % et 70 % des mesures d’atténuation et d’adaptation au changement climatique qui seront mises en oeuvre par les régions du monde ? Sait-on aussi qu’à l’issue de la conférence de Copenhague et forts de ce rôle-clé dans la lutte contre le changement climatique, certaines des régions et des Etats fédérés les plus importants de la planète ont décidé de s’affranchir des pesanteurs des règles onusiennes en fondant un R20 qui sera opérationnel dès l’automne 2010 ?

Les régions, les territoires et leurs citoyens n’attendent plus en effet pour s’organiser, ou pour prendre des engagements fermes en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, qu’une feuille de route leur soit adressée. Ils n’attendent plus que les Etats s’accordent au préalable sur les principes minimaux d’une politique climatique mondiale, au travers de déclarations dont les historiens du futur moqueront probablement l’inanité. Les régions et les Etats fédérés ne se contentent plus d’un rôle d’opérateur, d’exécutant.

Ils entendent au contraire être leaders. L’urgence climatique appelait un changement d’ampleur, un changement de paradigme. Voilà qui est fait en partie. A l’Assemblée des régions d’Europe (ARE), le plus grand réseau de régions de la grande Europe, ce sont par exemple plus de 78 % de nos 270 membres qui ont, à ce jour, mis en place leur propre politique climatique, qui mènent d’eux-mêmes leurs territoires vers une économie décarbonnée. Autrement dit : la révolution qui était attendue à Copenhague est heureusement déjà en cours, mais pas là où on l’attendait. Elle ne l’est pas dans les déclarations du G20, mais dans les villes et les territoires.

Aujourd’hui donc, on voudrait nous faire passer quelques menus engagements pour des avancées significatives. Ce serait oublier que la limite des 2 °C est, depuis longtemps, reconnue comme le seuil au-delà duquel les dégâts entraînés par le changement climatique deviendront irréversibles. Cette limite avait même été adoptée comme référence par les chefs d’Etat des dix-sept pays les plus émetteurs de la planète, à l’occasion du sommet du Forum des économies majeures à L’Aquila, en juillet. Au passage, notons que cette référence ignore superbement que les petits Etats insulaires, au-delà d’une élévation des températures moyennes de 1,5 °C, seraient exposés à des risques de disparition.

Sur la question du financement de l’effort d’adaptation des pays du Sud, dont on sait qu’elle est à l’origine de l’échec des négociations, des annonces ont été faites, vraisemblablement dilatoires, et dont on se demande bien quel pourra être le contenu réel au vu de la difficulté qu’ont déjà les Etats à tenir leurs engagements d’aide publique au développement.
La vérité est qu’en matière de coopération Nord-Sud, ou si l’on cherche les traces d’une véritable “vision partagée”, c’est bien du côté des collectivités qu’il faut se tourner désormais, puisqu’elles mettent chaque jour en musique l’idée de développement durable.
Là où les Etats ignorent leur responsabilité, ou s’en défaussent au risque de laisser la situation empirer, les régions posent avec urgence une exigence de solidarité. Le rapport Brundtland de 1987 le remarquait déjà : “Notre incapacité à oeuvrer en faveur du bien commun dans le cadre du développement durable est souvent le produit de notre indifférence relative pour la justice économique et sociale, dans un même pays et entre les nations.”

Conscientes de l’inertie qui prévaut aujourd’hui, les régions n’attendent plus que la gouvernance mondiale intègre des exigences d’équité et de solidarité entre les pays industrialisés et les pays en développement. Elles oeuvrent d’ores et déjà entre elles, et par-delà les frontières Nord-Sud, à la diffusion des moyens, des idées et des pratiques.
Elles n’hésitent pas non plus à apporter l’indispensable soutien financier dont ont besoin les territoires du Sud pour mettre ces idées et pratiques en oeuvre, en s’associant par exemple au PNUD pour engager des plans climat territoriaux dans les pays en développement.

Mais à l’Assemblée des régions d’Europe, nous savons également que la transformation d’ampleur qu’appelle la lutte contre le changement climatique exige de s’associer à tous ceux qui peuvent produire cette transformation. La mobilisation de l’industrie, des acteurs privés, est indispensable pour transformer nos modes de production.

C’est pourquoi les membres de l’Assemblée des régions d’Europe ont décidé de partager leur expérience avec GE Energy, afin d’initier un dialogue entre les collectivités et les acteurs économiques, de trouver ensemble des solutions pour l’innovation technologique, l’emploi et, in fine, pour le développement durable. Cette nouvelle logique partenariale trouvera notamment à s’exprimer dans le cadre d’un action tank qui, là encore, visera à rompre avec tout un fonctionnement bon à produire des discours, mais non du changement.

Car il n’est plus temps de rappeler aux parties des négociations à Copenhague qu’elles aussi, à plus forte raison, sont les porteuses d’une responsabilité à l’égard de leurs citoyens et des générations futures. Il n’est plus temps d’attendre en spectateurs que ces parties s’extirpent de leur sieste aussi dogmatique que mortifère dans ses conséquences. Il n’est plus temps, pour reprendre la belle idée de Michel Serres, d’attendre que la vie et la Terre puissent enfin siéger dans les instances de décision, nationales et internationales.

En attendant une improbable Organisation mondiale de l’environnement, en attendant que la gouvernance mondiale fasse une place à la notion de “biens communs” de l’humanité, les régions et les Etats fédérés du monde construisent ensemble des stratégies responsables pour l’avenir.

Elles construisent un modèle de société, mais aussi de relations internationales, dont les principes sont d’abord la coopération, la responsabilité et l’équité, et non plus la concurrence, le rapport de force et l’égoïsme.

Michèle Sabban est présidente de l’Assemblée des régions d’Europe et vice-présidente (PS) du conseil régional d’Ile-de-France.

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