Même si l’heure n’est pas encore tout à fait à la liesse, la deuxième révolution tunisienne qui a évincé Zine el-Abidine Ben Ali président depuis 1987 de la Tunisie est un évènement tout à la fois heureux et inattendu pour le voisin d’en face que je suis.
Ben Ali n’était peut-être pas le pire des présidents du genre, mais nous ne savons décidément pas comment faire avec ce genre de situation, hésitant entre un renoncement un peu lâche se satisfaisant de quelques points positifs et l’alibi de se dire que ce pourrait être pire, ou l’opposition critique frontale et stérile n’amenant que crispations et aucun progrès.
A l’évidence, Ben Ali a échoué sur une évolution vers une société politiquement plus libre et démocratique. Mais est-ce tout ?
Du point de vue économique, le web a buzzé ces derniers jours sur une déclaration d’il y a deux ans du directeur du FMI qui disait en substance que les choix économiques de la Tunisie étaient les bons. Avait-il raison et si oui, pourquoi alors les Tunisiens n’y ont-t-ils pas trouvé leur compte.
Factuellement, DSK avait raison et la courbe ci-dessous le montre sans aucun doute :
La Tunisie a eu depuis des années une croissance qui a été le plus souvent supérieure à la croissance mondiale (et à celle de la France). Oui, mais voilà, l’économie n’est pas tout.
D’abord la démographie de la Tunisie montre une forte pression de la génération arrivant à l’âge d’entrée sur le marché du travail
Or les événements tunisiens ont montré que cette population était dramatiquement désespérée. Souvent qualifiée mais sans emploi porteur d’avenir, cette jeunesse a condamné le régime tunisien sans parfois hésiter à donner volontairement sa vie pour cela. Un pays qui ne donne pas d’avenir à ses jeunes n’a lui-même aucun avenir, et aucune richesse ne protégera un pouvoir ou une caste de privilégiés contre le désespoir. J’aime bien l’image qui définit l’économie comme une énergie de transformation : j’espère que la leçon aura été retenue et que les premières réformes du futur régime feront en sorte de ré-allouer massivement les bénéfices de la croissance tunisienne, de cette énergie, à la construction d’un avenir pour ces jeunes.
J’espère que la deuxième révolution tunisienne gardera les acquis (dynamisme économique, éducation, laïcité, égalité des sexes), voire que ces acquis serviront de base à la construction d’une nouvelle république, plus équitable pour chacun et égalitaire pour tous, plus démocratique.
J’espère également que la France proposera autre chose que d’envoyer des renforts et son « savoir-faire » policiers (quelle honte pour nous !), et que nous serons assez inventifs pour construire vraiment un pacte euro-méditerranéen qui renouera avec l’histoire millénaire et glorieuse du bassin méditerranéen.
J’adresse enfin mes salutations et mes encouragements au peuple tunisien qui a montré ces dernières semaines qu’en ces temps de renoncement, il est encore possible de renverser la table au nom de la justice, de la liberté, et de l’espoir de construire un monde meilleur.
Quelques éléments complémentaires :
2010 : http://www.imf.org/external/french/pubs/ft/scr/2010/cr10282f.pdf : « La Tunisie aura besoin d’identifier des sources de croissance plus dynamiques pour faire durablement reculer le chômage, qui demeure particulièrement élevé, notamment chez les jeunes »…
Novembre 2010, à Agadir http://www.imf.org/external/french/np/speeches/2010/110110f.htm : « une bombe a retardement démographique »
Alger http://www.imf.org/external/french/np/speeches/2010/110410f.htm : « le défi le plus fondamental est-il celui de veiller à ce que la richesse tirée des ressources naturelles soit utilisée à bon escient et partagée de façon équitable entre toutes les couches de la société »