Le ciel d’Iroise a beau être bleu en cette fin de semaine, je suis d’humeur ronchonneuse.
Et ce ne sont pas les condamnations de justice de la semaine qui me chagrinent. La justice passe sans entrave et je tiens à rassurer nos concitoyens. Avoir un gouvernement de gauche n’induit pas de protection et de traitement de faveur pour la droite : leurs élus qui auront fauté d’une façon ou d’une autre auront eux aussi droit à leur procès en bonne et due forme. Même si en face on semble avoir plus de mal à avouer ses fautes, il est de l’intérêt de tous les Français que la probité soit garantie à gauche, mais aussi à droite. Aidons donc l’opposition dans cette tâche difficile…
Non ce qui m’énerve c’est la reculade sur l’encadrement des salaires du privé. Et comprenons-nous bien là aussi. Il ne s’agit pas d’un réflexe paléo-gauchiste mais bien d’une position réfléchie dans l’intérêt général. Les dérives constatées sur les plus hauts salaires sont tout à la fois indécentes, injustifiables et scandaleuses.
Tout d’abord, en matière de rémunération (ce qui inclut plus que le salaire), je suis contre l’idée de plafonner le montant lui-même. Dans une audace libérale débridée, je défends l’idée de salaires les plus hauts possibles. Gagner un million d’euro par an ? Merveilleux ! Oui mais à une petite condition : puisque l’on parle de rémunération en entreprise et que les rémunérations distribuées sont le fruit du travail de tous, ce fruit doit être équitablement réparti. Si celui ou celle qui gagne le plus a 1 million alors cela doit vouloir dire que tous les salariés à temps plein touchent au moins 100 000 € (et comme je suis socdem, je suis prêt à discuter de l’échelle pour trouver un compromis).
Ne pas avoir d’encadrement des rémunérations et permettre le versement de sommes exorbitantes ressemble de plus en plus à du détournement de fonds légalisé. Et si cela ne peut pas être géré rationnellement par un encadrement réfléchi alors cela finira forcément au tribunal un jour ou l’autre. Dans un système de conseils d’administration incestueux, dans un système qui couillonne les actionnaires minoritaires (souvent avec leur bénédiction), dans un système qui a démontré une aliénation dramatique du sens moral et de l’intérêt général, il est inacceptable de s’en remettre à de vagues engagements. Voilà pour l’indécence et le scandale.
Mais en plus, cela est injustifiable. Il est faux et largement démontré comme tel par l’économie comportementale, de prétendre qu’une forte rémunération est nécessaire pour récompenser la performance des hauts dirigeants. C’est même très exactement le contraire : l’incitation financière rend idiot (cf. la vidéo ci-dessous).
Lorsque le cerveau humain doit prendre une décision, contrairement à ce que nous aimerions croire (ou que le libéralisme voudrait le faire croire), une décision est rarement rationnelle, logique, objective. Il en est de même pour la fixation du montant des rémunérations. Dans ce cas, notre cerveau va naturellement chercher un « ancrage » et va s’ancrer vers ce qui le séduit, ici les plus hauts salaires existants. C’est ce mécanisme qu’il faut casser avec l’encadrement salarial, car au lieu de creuser l’écart de rémunération au détriment des plus bas salaires, l’encadrement par rapport aux plus basses rémunérations permettra de tirer tout le monde vers le haut. Si le patron progresse, alors il entraîne tout le monde avec lui et du coup il sera vu positivement comme une locomotive au lieu d’apparaître comme celui qui fait main basse sur les fruits du travail de tous !
Le système actuel est celui du divorce cupide au sein de l’entreprise. Le système de l’encadrement des revenus sera celui de l’équipe qui partage équitablement les fruits du travail. Aussi bien du point de vue moral qu’économique ou managérial, il faut faire passer la loi sur l’encadrement des rémunérations.
Il faut en finir avec le discours schizophrène sur l’entreprise et cela commence par ce qui est le plus scandaleusement visible : la rémunérations des (quelques) patrons de grandes entreprises. À l’égal des traders qui ont construit le naufrage de 2008 par pure cupidité, l’image de ces patrons salit tous les dirigeants d’entreprise (dont certains ne se paient même plus en ce moment pour essayer de sauver leur entreprise et leurs salariés !) et humilie les salariés.
Une loi qui arrimerait les bas salaires au plus haut revenu d’une société est une loi qui construirait une solidarité de destin au sein des entreprises. Nous avons tous besoin d’une telle loi.