Défi Générationnel
Le défi générationnel est à la fois celui qui nous préoccupe le plus facilement à travers la problématique des retraites et celui que nous avons le plus de mal à appréhender.
Quel est au fond le problème : notre société a été, pour sa plus grande partie, définie structurellement après-guerre, et même si la société de cette époque n’a plus grand-chose à voir avec celle d’aujourd’hui, des choix ont été faits et s’appliquent toujours alors que les fondamentaux structurant la société ont changé.
Ces choix se basaient entre autres sur un modèle de séparation des rôles hommes / femmes (modèle très largement remis en cause depuis pour tendre autant que se faire se peut sur une équivalence au sein de la société), sur une économie de reconstruction, sur un espoir puissant de bâtir un monde meilleur après avoir connu le pire, sur une place claire des générations au sein de cette société et sur une certaine vision de la solidarité inter-générationnelle. Nous avions une vision d’un l’État protecteur et planificateur (finalement à la fois largement hérité de la pensée du XIXème siècle et de la conduite de la guerre) : ne trouve-t-on pas là une des racines profonde de l’État providence, celui qui doit nous sauver des désastres (la guerre), planifier l’avenir (la reconstruction) et nous aider à tout au long de notre vie (sécurité sociale, retraite, …) ?
À ces éléments sociétaux s’ajoutait un élément majeur bien que silencieux : la démographie. Si l’on découpe la pyramide des âges en trois groupes liés au travail, celle des « jeunes citoyens », celles des citoyens productifs et celles des citoyens seniors, on peut tout de suite comprendre visuellement les problèmes de financement (a priori ce sont les citoyens productifs qui finance le plus l’économie de l’ensemble), mais au-delà se douter que les équilibres comportementaux sont forts différents. En caricaturant un peu :
les « jeunes citoyens » représentent un groupe qui conteste la société pour y faire sa place
les citoyens actifs sont ceux qui construisent la société
enfin, les citoyens seniors font classiquement partie des éléments conservateurs, plus spectateurs qu’acteurs
La césure entre groupes est nette, elle est marquée par le premier contrat de travail et le premier versement de la retraite.
En 1945, la société était poussée fortement au changement, à la fois par la nécessité de reconstruire mais aussi par la tendance naturelle de sa démographie.
Puis lorsque la classe des baby-boomers (qui va en gros de 1949 à 1970) est arrivée à l’état de citoyens productifs, elle n’a eu qu’à se pré-occuper marginalement des seniors et ayant fait peu d’enfants, n’a que peu été contestée par les « jeunes citoyens ».
Le chômage a longtemps été son « seul vrai soucis ».
La pyramide des âges se changeant en « cylindre avec un petit couvercle » et plus une pyramide, nous devrions logiquement passer à une autre ère démographique, un autre rapport entre les âges, un autre rapport avec l’organisation de production des richesses (d’où le défi générationnel), à ceci près que la génération des seniors, a priori conservatrice, a toujours un poids démographique très important et possède une bonne partie de la richesse sous forme patrimoniale. Il faut donc s’attendre à ce que le poids des populations naturellement conservatrices s’oppose au changement normalement mené par les classes actives sous l’impulsion des classes « juniors », et ceci au moment où la société affronte des défis majeurs.
Qui plus est, les circuits naturels de la solidarité financière inter-générationnelle sont complètement désorganisés : les classes productives ayant du mal à assurer à elles seules le financement des trois groupes (rôle qui leur était historiquement assigné), le groupe le plus âgé est sollicité pour aider les deux autres, ce qui accroît encore son poids et renforce le besoin de conservatisme et l’économie de rente néfaste à l’évolution positive de la société.
Le «cylindre démographique » de 2010 est psychologiquement et financièrement déséquilibré au regard du modèle de 1945 : c’est le découpage même de la société en trois groupe définis par rapport à la production de richesse (le travail) qui est à remettre en cause !
Nous sommes donc en face d’un formidable défi générationnel : comment remettre les responsabilités et les circuits économiques dans le bon sens, comment redéfinir les rôles ?
La dématérialisation ou l’émergence d’une nouvelle idée de la propriété
Le dernier défi est plus pour l’instant une intuition qu’une certitude, il est d’origine technologique. Le point de départ de cette partie de la réflexion vient de trois remarques.
La première, totalement économique, est de constater que la nature de beaucoup de produits vendus est en train de changer. En effet, à force de progrès et de baisses de coût de production, certains produits ne sont plus vendus pour eux-même, mais donnés (ou peu s’en faut) et liés à un paiement d’usage d’un ou plusieurs services associés. Le produit physique ne vaut plus rien (ou presque), ce qui est vraiment vendu c’est le service que peut rendre ce produit.
Deuxième remarque liée à la dématérialisation des systèmes d’information (l’informatique) des entreprises. Là aussi, nous sommes en train d’assister à une rupture majeure qui consiste à passer de la possession de logiciels et de machines utilisés pour produire les services informatiques nécessaires à l’entreprise, au paiement de l’usage de ces services produits par des tiers. Or en faisant cela et en prolongeant l’idée jusqu’au bout, l’entreprise de demain pourrait ne plus être réduite qu’à une ou deux fonctions stratégiques (le cœur de métier), le reste n’étant que la meilleure agrégation possible des services du marché. Je suspecte même que dans certains cas, il ne pourrait rester aucune fonction détenue en propre. Or ceci a une autre conséquence immédiate : le besoin en capitaux est drastiquement diminué puisque les besoins d’investissement sont réduits à pas grand-chose et qu’il ne reste que des dépenses de fonctionnement, qui plus est en grande partie proportionnelles à l’activité. La performance du capitalisme aboutirait à ne plus avoir besoin de capitaux, Marx va être content….
Dernière remarque, fort différente dans son origine des deux premières. Si l’on admet que nos problèmes écologiques sont issus d’un conflit entre nos sociétés et les écosystèmes dans lesquels nous vivons, on en vient à admettre que nous n’avons pas une liberté absolue dans l’utilisation des ressources de ces écosystèmes. Or jusqu’ici, il suffisait d’avoir un titre de propriété pour faire à peu près ce que l’on voulait de son bout d’écosystème, la seule limite étant de ne pas léser les propriétaires voisins.
Or ne plus avoir « une liberté absolue » se traduit en fait par une sorte de démembrement de la propriété : nous avons le droit d’usufruit, mais plus un droit complet de nu-propriété. Ici aussi, le « matériel » nous échappe, seul l’usufruit reste.
Il en découle accessoirement une conséquence assez déroutante : il n’est de propriété vraie et entière que la propriété intellectuelle, le reste n’étant que propriété d’usufruit. Le côté déroutant découle du fait que l’œuvre originale est difficile à protéger et largement pillée et que parallèlement sa vraie valeur se mesure à son partage : pourtant la valeur de l’œuvre de Proudhon reste bien liée à son auteur pas à ceux qui l’ont exploitée ensuite.
Tout cela serait bien beau si nous n’étions profondément, viscéralement formaté pour posséder les choses. Posséder nous rassure, posséder fait partie de la base de notre construction personnelle. Nous avons d’un côté une rupture technologique et philosophique qui semble pousser à la dématérialisation et de l’autre un référentiel mental profondément ancré dans des racines séculaires qui nous poussent à posséder le matériel.
Si tout ceci venait à se confirmer, nous serions devant un défi incroyablement déstabilisant.
Un dessein pour la République, l’Union Européenne, L’humanité
Climat, énergie, déséquilibre démographique et dématérialisation, quatre défis plus que complexes, quatre raisons majeures de nous mobiliser.
Mais n’en doutons pas, il faut des défis de cet ordre pour que nous ayons une chance de refonder le parti socialiste, propager cette refondation à notre pays et au-delà de la France. Les pressions extérieures qui nous forcent à évoluer sont bien là et à l’exception de la démographie qui ne s’exprime pas de la même façon partout, ces défis s’imposent à toute l’humanité.
Il y a naturellement quelque chose d’assez prétentieux, naïf ou incongru (chacun choisira son qualificatif) à vouloir tutoyer l’universalité, mais ni plus ni moins que de vouloir refonder un parti dont la pensée est plus que centenaire.
Et pourtant, avons-le choix, avons-nous une autre alternative que celle de nous dresser devant les cataclysmes, de ne pas croire à la fatalité, de lutter contre le renoncement, de lutter pour l’espoir les mains armés d’outils forgés par une idéologie forte, les yeux rivés vers l’horizon de l’utopie du monde que nous voulons construire ?
Voilà donc pour les défis.
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