Tant qu’on perd ils jouent !

Dans la litanie des mauvais résultats économiques, les chiffres du chômage de ce mois marquent le passage d’un seuil tristement symbolique : la France compte à nouveau plus de 2 millions de chômeurs.

Naturellement, inénarrable Christine Lagarde s’est fendue de quelques déclarations de nature à nous rassurer : après avoir affiché pendant un an et demi une sérénité digne de bouddha, elle fait aujourd’hui dans le “c’est inévitable”. Inévitable avec ce gouvernement, c’est incontestable, mais rêvons un peu, et imaginons deux minutes que nous ayons un vrai gouvernement avec des gens un minimum raisonnables et compétents.

D’abord, il est facile de tout mettre sur le dos de “la crise”. Crise il y a certes, mais d’une part rien n’a été fait pour contrer par avance les effets de cette crise, et d’autre part les mesures qui ont été prises en matière d’emploi allaient en fait à contre-courant de ce qu’il était souhaitable de faire.

Tout vient d’une double erreur de ce gouvernement, Sarkozy en tête. D’abord l’erreur de croire que la démographie allait résoudre toute seul le problème. Il est vrai que cette démographie est historiquement favorable mais ce n’est pas en appliquant la décidément stupide théorie libérale du “laissons-faire le marché” que l’on résout les problèmes. Ayant cru que cela allait aller mieux tout seul, ce gouvernement s’est dans un premier temps dispensé d’accélérer la diminution du chômage par des mesures volontaires. Pourtant, les années Jospins avaient largement démontré combien une politique énergique de lutte pouvait être bénéfique.

Deuxième erreur concomitante, idéologique cette fois. La droite n’a jamais compris la force des 35h est n’a eu de cesse de les tuer. C’est bien le sens des mesures prises sur les heures supplémentaires défiscalisées et sur l’allongement de la durée de cotisation pour la retraite. La première mesure est purement dogmatique, la seconde aurait eu un sens si le taux de chômage avait été ramené au niveau du quasi plein emploi. Mais ces mesures ont été prises à contre-courant de l’évolution économique et n’ont non seulement pas eu d’effet positifs, mais ont accéléré le retournement de tendance, réussissant même à annuler les effets positifs de la démographie. Comment ?

En période difficile, les entreprises ont bien sûr besoins de moins d’heures de travail. L’ajustement peut se faire de différentes façons : vacances “forcées”, chômage technique, renvoi des intérimaires, renvoi de salariés permanents. Le choix du dirigeant se fait à la fois sur sa conscience (il s’agit de personnes), sur les facilités légales et le temps de réaction en cas de reprise. Or l’aubaine des heures supplémentaires permet une très grand flexibilité : il peut parfaitement se “débarrasser” d’un peu plus de personnel qu’il ne faudrait car en cas de reprise, il peut facilement compenser par le recours aux heures supplémentaires ; il est plus facile de ne pas employer d’interimaires lorsque l’on sait que sa propre main d’oeuvre sera prête à réagir si besoin est. Cela a donc un effet accélérateur et amplificateur de tendance pour ce qui est de la hausse du chômage et a contrario retarde la baisse.

La situation est encore aggravée par l’allongement de la durée de cotisation aux caisses de retraite. D’un côté, cet allongement est nécessaire pour des raisons de financement (à moins de trouver un autre moyen), mais dans le cas présent, non seulement cela ne va pas permettre de boucher les trous (les vieux cotisants ayant toutes les chances d’être aussi de vieux chômeurs, les rentrées seront faibles), mais cela accélère le déséquilibre du chômage. Parce que cette mesure est prise à contre-cycle, elle va échouer sur son but premier et amplifier le problème du chômage. Tout faux !

Depuis son arrivée, ce gouvernement a accumulé les choix à contre-emploi (paquet fiscal, chômage, pouvoir d’achat, retraite), c’est presque devenu sa marque de fabrique. Alors certes la crise est arrivée en plus, mais lorsque l’on accumule l’incompétence et la poisse, on entraine forcément le pays dans le gouffre.

Petits dessins contre longs discours

Août 2008. Ces derniers temps, chaque mois voit tomber sa mauvaise statistique, les dernières en date étant l’effondrement de la confiance des ménages et la remontée confirmée du chômage. La communication étant généralement faite par rapport au mois précédent ou au mieux sur la tendance, il est difficile d’en tirer autre chose qu’un sentiment immédiat. Je me suis donc posé la question de savoir si ce gouvernement était aussi mauvais que le sentiment que nous en avions, et parallèlement, quelle période des 20 dernières années avait été la meilleure. Pour le savoir, je suis allé collecter du côté de l’INSEE un certain nombre d’indicateurs macro-économiques dont voici la synthèse graphique.

Balance commerciale :
secu
Indice de confiance des ménages :
indice de confiance
Taux de prélèvements obligatoires :
impots
Déficit budgétaire :
budget
Taux d’inflation :
inflation
Taux de chômage :
chomage
Croissance du PIB :
croissance

Il n’y a pas photo : oui les années 2002 à aujourd’hui ont été particulièrement mauvaises, et en aggravation ces deux dernières années. Quant à la meilleure période, on la trouve un peu avant 2000 alors qu’au gouvernement nous trouvions certains Strauss-Kahn, Aubry et autres Moscovici sous la houlette de Lionel Jospin. On trouvera également un certain nombre de faits qui contredisent les bonniments actuels dans cet article d’Agoravox.
Si les élections étaient basées sur les résultats et la compétence, la France serait gouvernée fort différemment…

Le lac a commencé à prendre feu

Juin 2008. La rupture énergétique, que j’ai à de nombreuses reprises évoquées, est clairement arrivée dans sa première phase pathologique avec les symptômes évidents que sont les manifestations maintenant régulières des professionnels dont les coûts d’activité incluent une part pétrolière importante : pêcheur, routiers, taxis, agriculteurs.

Aurions-nous pu éviter cette première crise ? Je le crois, mais il aurait fallu pour cela réagir il y a deux ans lors que le seuil des 75 dollar le baril a été crevé. Il est vrai qu’à l’époque, beaucoup préféraient n’y voir qu’une poussée passagère de fièvre et que l’horizon des 100 dollars n’apparaissait que comme une lointaine possibilité. Par ailleurs, il est possible qu’une erreur d’analyse ait été faite par pas mal de décideurs en raisonnant sur les problèmes de production du pétrole (et du Peak Oil) au lieu de raisonner sur la fin du marché de l’essence consommée. Or aujourd’hui, on constate bel et bien une décorrelation entre le prix du baril payé en dollar et le prix payé à la pompe : en 2000, un baril à 60$ pour un dollar à 1,20€ donnait un litre d’essence à 0,82€, aujourd’hui un baril à 130$ pour un dollar à 0,64€ devrait donner un litre à 0,80€ au lieu des 1,40€ payés. On peut invoquer la spéculation, l’augmentation des bénéfices en prévision de restructuration du secteur pétrolier, mais on peut surtout suspecter une mutation structurelle du marché qui crée une décorrelation entre la matière brute achetée et le produit vendu. Le problème ne se situe pas au niveau du produit, mais bel et bien au niveau du marché de l’énergie lui-même. Erreur, imprévoyance hier, catastrophe aujourd’hui.

Peut-on s’en sortir ? Oui, tout comme il y a deux ans, mais dans l’urgence et la douleur et avec encore moins de droit à l’erreur. Car si à ce jour, aucune solution technique ne peut remplacer le pétrole, il en existe de multiples qui peuvent arriver à réaliser au moins trois objectifs :

  • contenir l’impact de l’augmentation du prix à la pompe
  • nous donner du temps pour mettre au point la technologie qui résoudra nos problèmes
  • mobiliser et redonner une perspective d’avenir positive

Il y a d’abord ce qui marche tout de suite. Le plus simple est tout simplement de compléter le litre d’essence par autre chose. Les bus à aquazole ont été testés, la solution fonctionne même si elle n’offre pas une avancée définitive (on utilise un carburant à 85% de gasoil, et 15% d’eau et de stabilisant, avec une augmentation de consommation de l’ordre de 10%). Dans la même veine des mélanges carburant/eau d’autres système plus « exotiques » comme le sytème pantone semblent eux aussi capables de diminuer la part de pétrole consommée mais ici pour des moteurs plus rustiques.

Viennent ensuite les biocarburants avec une sérieuse restriction : ils sont autant une menace qu’une solution puisqu’ils entrent en concurrence directe avec l’alimentation. Cependant, il semble raisonable d’estimer qu’une part de 5% à 10% de biocarburant dans notre essence réussirait à concilier nos besoins alimentaires et notre contrainte sur le pétrole. Pour arriver à cela, il aurait cependant fallu que nous puissions récolter suffisamment de colza cette année. Imprévoyance toujours.

Plus marginal dans le domaine des transports, il existe un véhicule électrique déjà totalement satifsfaisant aujourd’hui: le deux roues, qu’il soit vélo ou scooter. Pourquoi hésiter ?

On le voit, à court terme, il est possible de diminuer de 5 à 10% nos besoins. Pas suffisant pour tout résoudre, assez, bien assez pour gagner du temps.

En dehors des transports, le remplacement de tous les chauffages au fuel serait simplissime à effectuer, la technologie est prête, rentable et performante : ce sont les pompes à chaleur. Plutôt que de financer une prime à la cuve qui ne fait que prolonger l’agonie (et les bénéfices des pétroliers), finançons totalement le remplacement de ces chauffages !

Deuxième étape, les nouveaux moteurs avec en tête les moteurs hybrides gasoil / électricité. Ils sont annoncés pour 2010. Cette fois, c’est 50% de la consommation des véhicules qui serait la cible. Un pas de géant. Autre espoir, le moteur pneumatique, sans doute réservé dans un premier temps aux véhicules ne nécessitant pas une grande puissance.

Enfin, dernière étape, la fin définive du pétrole. Et bien pas forcément. Si les 2 étapes précédentes étaient franchies, le marché se stabiliserait probablement à un niveau assez bas, permettant de conserver le pétrole là où il est le plus performant, avec une technologie encore meilleure.

Nous avons les solutions, mais notre imprévoyance ne nous laisse pas le temps de nous tromper encore et encore. La rupture énergétique peut être une menace, mais paradoxalement, une extraordinaire chance également. Il suffit d’être volontaire, réfléchi et audacieux.

De la myopie à l’aveuglement

Ces derniers temps, alors que je ramais pour faire progresser l’idée que les régions voire les collectivités locales en général pourraient elles aussi combattre efficacement la crise financière et de confiance des subprimes (par le biais de relais de trésorerie auprès des PME sur quelques semaines), je me suis vu opposer un certains nombres d’arguments, certains assez prévisibles, d’autres assez étonnants.

Dans les prévisibles on trouve l’objection sur la difficulté qu’il y aurait pour les régions à agir rapidement et de façon souple sur des finances privées, en relais des banques qui s’annoncent frileuses, sinon cloitrées dans leurs coffres forts. Il est exact que les fonctionnaires régionaux n’ont, pour la plupart, jamais eu à décider rapidement en fonction d’éléments financiers ne relevant que du secteur privé, et que la prise de risque nécessaire à la gestion d’une telle crise leur est très étrangère. Pourtant, à crise exceptionnelle, réponse exceptionnelle, et je pense qu’en l’absence prévisible d’actions pertinentes et préventives du pouvoir central, une telle implication des régions représenterait une ligne défensive efficace car au plus près des difficultés des PME, qui plus est, dans la droite ligne des actions faites à un autre niveau par le FMI et les banques centrales. On verra bien.

Côté étonnement, il y tout simplement un argument de déni : notre économie est déconnectée de l’économie américaine, nos fondamentaux sont solides, rien ne se passera ! En sommes, après la ligne bleue des vosges qui avait arrêté les radiations, nous devrions nous reposer sur la crête flamboyante des monts d’Arets bretons pour stopper le tsunami venant d’Amérique. Une telle volonté de nier la réalité (en l’occurrence la difficulté croissante qu’il y a à obtenir des prêts pour les PME autant que pour les particuliers) me parait tout simplement surréaliste. Elle n’est hélas pas sans rappeler le déni qui freine la mise en place de mesures efficaces contre le réchauffement climatique, pas sans rappeler l’immobilisme médusés de ceux qui ne voient pas arriver la fin de l’ère du pétrole en tant qu’énergie abondante et souple.

Qu’en conclure ? Finalement, le plus grave n’est pas le problème lui-même, mais l’incapacité qui semble avoir été développée de comprendre un risque, de l’assimiler et d’agir. Il est normal de rencontrer des crises, comme il est normal de les affronter. Or nous sortons d’une époque où il fallait choisir entre le credo “l’état peut tout pour vous” et le credo “ne faites rien, le marché s’occupe de tout”. Non, la solution réside dans notre capacité à entreprendre collectivement les actions nécessaires pour résoudre un problème réel et potentiellement mortel. Le danger ne doit pas nous paralyser, le péril ne doit pas nous conduire à nier et la réalité, et nos capacités à nous surpasser dans une période exceptionnelle.

Bulles et boulettes

Février 2008. Papy Marx nous a légué une réflexion sur le capitalisme qui a chatouillé le XIXème siècle et mis le XXème sans dessus dessous, mais qui au final, s’est révélée inefficace pour corriger les excès de ce monde, et fort douloureuse pour les peuples.

Parmi les erreurs de conception qui ont mené à l’échec, j’en retiendrai ici deux : une pensée newtionienne totalement déterministe (action implique prédiction de réaction, de ce principe découla nombre de théories économiques et d’outils inadaptés telle que la planification et le collectivisme), et second élément, l’idée qu’une analyse est indépendante de son environnement, de la structure même des sociétés. Or les sociétés de la fin du XIXème siècle, jusqu’à la 1ère guerre mondiale, étaient des sociétés très figées, stables (même dans leurs conflits et le colonialisme en fut un des résultats), faite d’optimisme sur ce que sera demain. Toute la fin du XXème siècle fut l’illustration du décalage entre le monde selon Marx et le monde réel fait de mouvement, d’émergence et de renaissance. Le mouvement n’est probablement pas fini et la mondialisation n’en est que la plus flagrante illustration.

Du coup, papy Marx étant renvoyé aux erreurs de l’histoire, le capitalisme s’est libéré du frein marxiste pour n’avoir d’autres horizons que… lui-même. Il me vient cette image : nous sommes passé d’un monde d’intérêts (a priori) opposés entre le salarié de Germinal et le patron repus dont le capital s’exprimait en usines fumantes, à un monde où une partie du capitalisme s’est détaché pour devenir antagoniste et du salarié, et du patron.

Cette excroissance du capitalisme, c’est le capitalisme financier qui partant du mécanisme boursier destiné à construire les usines de notre patron du XIXème siècle, en est arrivé à s’abstraire totalement de la réalité et à s’auto-alimenter spéculativement en pariant sur la rapidité des échanges et sur ce que sera demain. Ce capitalisme là profite à plein de la mondialisation, mais en tant que parasite, pas en tant qu’acteur construisant une nouvelle réalité ; dans cette sphère, l’argent n’est plus lié à la valeur des choses (en l’occurrence des entreprises, de leur marché, de leur savoir et savoir-faire) et réussit à imposer une logique qui souvent implique de tuer une entreprise, simplement parce qu’elle ne génère pas assez de mouvement, de possibilités spéculatives. C’est la fuite en avant des invasions dévastatrices de criquets.
Dans nos sociétés devenues mouvantes et sans visibilité sur l’avenir, le capitalisme financier est devenu à la fois l’adversaire du salarié (à moins qu’il ne tire ses revenus de la finance) et de l’entrepreneur (dont le projet peut à la fois être viable et pas suffisamment rentable pour mériter d’être financé). Le cas des chausseurs de Roman ou du jouet français illustre très bien cet état de fait : une marque peut temporairement avoir plus de valeur que ce sur quoi elle s’appuie. Dans cette optique, vendre la marque et liquider l’entreprise a un sens. Dans le vrai monde, c’est simplement une tragique stupidité.

En bout de course, on peut quand même se demander si la sphère financière qui détruit notre présent, a un intérêt qui compenserait le désastre immédiat. Difficile d’être catégorique, mais c’est peu probable, d’une part parce que ce qui est détruit ne peut facilement se reconstruire et que si on veut le faire, ce sera extrêmement plus couteux que ce qu’a rapporté la destruction, et que d’autre part, le mouvement de fuite en avant de la sphère financiaire est régulièrement stoppé par l’éclatement de bulles spéculatives (la réalité est têtue, on ne crée pas de la richesse avec rien). Rien qu’au mois de janvier, on estime par exemple à 5000 milliards de dollar les dégâts causés par la crise des subprimes (qui sont de la spéculation sur le financement des habitations).

A l’arrivée, si notre monde n’est plus déterministe, causal, si la réflexion ne peut plus se concevoir une fois pour toute et détachée des sociétés humaines, mieux vaut envisager des politiques économiques qui s’ancrent dans la réalité et combattre sans relâche les mécanismes qui s’en détachent en gardant la possibilité de la détruire. La sphère financière doit être contrôlée par des mécanismes qui expriment l’intérêt des peuples.