Cela fait plusieurs semaines que je souhaitais faire un billet sur la situation de la Poste, mais une campagne électorale ne laisse pas toujours assez de place à un billet qui va au-delà de la simple actualité. La situation en Iroise me donne aujourd’hui l’occasion, à partir d’une situation particulière locale, de donner quelques éléments de réflexion sur la situation de la Poste, mais au-delà sur cette dérive épouvantable qu’est la conception actuelle du management des grandes entreprises, management étant en l’occurrence un bien beau mot pour ce qui est en fait pratiqué et qui mène obligatoirement certains au suicide.
La situation nationale
La loi de privatisation de la Poste de mars 2010 a transformé la société en SA et a introduit une orientation managériale vers la productivité.
La culture du personnel est elle historiquement et toujours celle du service du public.
Ce constat de départ est fondamental pour comprendre les problèmes qui vus de l’extérieur pourraient se résumer à un conflit entre « des salauds de financiers » et des « faignants qui abusent du système ». Non, au-delà de la caricature facile, il s’agit d’une incompatibilité entre des méthodes de management qui n’arrêtent pas de montrer leurs limites et le sens qu’un employé donne à son travail. Ces méthodes de management sont basées sur une culture du chiffre (management par objectif), qui si elle a un sens lorsqu’il s’agit de disposer d’éléments de gouvernance, n’en n’a aucun lorsque l’on confond la carte et le territoire, ou ici lorsque l’on confond un élément de mesure (qui ne représente que très partiellement la réalité) et la mission de l’entreprise, ce qu’elle apporte à ses clients, le sens du travail effectué. Ce décalage est déstructurant et induit des troubles liés à une forme d’injonction paradoxale entre la réalité de ce que l’on est obligé de faire et la mission que l’on a reçu. Il est à noter que j’énonce là un avis de professionnel, non de militant.
Les objectifs ne pouvant être atteints, la Poste se lance dans un classique management du changement par des réorganisations quasi permanentes. La consigne est donnée aux managers de réorganiser tous les 18 mois leurs territoires. L’objectif étant de réduire progressivement la voilure, les bureaux voient leurs horaires d’ouverture ou leurs positions de travail diminuer. Faire autant en diminuant les moyens, voilà un raisonnement aussi simple qu’en l’occurrence erroné.
La situation en Finistère nord et en Iroise
Au pays d’Iroise, l’Enseigne La Poste se compose de 8 bureaux de poste, 8 agences postales communales, 1 relais poste commerçant. Consigne a été donnée aux managers de ne pas toucher en 2012 au « volume » d’heures d’ouverture des bureaux classés en zone rurale, selon la définition INSEE. Le Conquet est en rural, Plougonvelin en urbain. Plouarzel en rural, Porspoder en urbain.
Ainsi dans le cadre de cette réorganisation la commune de Plougonvelin perd un quart d’heure (ce qui n’est rien sauf significatif de la volonté de faire) et celle de Ploudalmezeau un guichet le matin. L’important étant que progressivement la poste se retire, les horaires diminuent, les clients viennent moins. Ainsi arrive le moment où le trafic ne permettant plus de maintenir la présence d’un bureau géré en direct, le manager proposera au maire concerné une convention de partenariat public (agence postale communale) ou privé (relais poste commerçant). A noter que dans les deux cas, une délibération du conseil municipal concerné est indispensable. Cette convention est signée pour une durée de 1 à 9 ans reconductible 1 fois, et la messe est dite.
Le mécontentement des agents outre le fait que des emplois sont supprimés, provient aussi du fait que la poste les oblige a faire plusieurs bureaux dans la même journée : Milizac à Plougonvelin, Lampaul et Plouarzel au Conquet et Plougonvelin, etc… en fermant des bureaux le matin ou l’après-midi.
Une situation qui n’a rien de particulier
In fine, on remplace ainsi la mission de la poste par un contrat commercial ce qui est le moyen le plus simple de donner un objectif financier simple et de n’avoir plus qu’à considérer des éléments administratifs et financiers. La Poste, service public postal se transforme ainsi en une simple entité commerciale sans mission autre que d’être rentable. Ceci est d’ailleurs le même mécanisme que l’on retrouve à France Télécom, mais aussi de façon plus sournoise à travers le développement de la sécurité privée dans des services publics régaliens comme la police.
Que faire ?
La première chose à faire est de prendre conscience que ce management et ces orientations vont à l’encontre de l’intérêt des clients, des salariés et de l’entreprise. Le cas de la Poste est vraiment symptomatique. Si je prends un outil d’analyse stratégique telle que la matrice BMG, l’élément fondamental, à savoir ce qui a de la valeur pour le client, est le lien privilégié représenté par le facteur. Cas probablement unique, la seule société qui va à la rencontre des Français 6 jours par semaine par tout temps est la Poste (cette image du facteur est bien ancrée dans l’imaginaire collectif). Au-delà du courrier déposé, ce lien a une valeur considérable, est un avantage concurrentiel unique. Or c’est ce lien que la société est en train de détruire ! Dit autrement, pour être plus rentable, la société détruit ce qui fait sa valeur !
Autre élément, comme je l’ai évoqué, cette situation d’injonction paradoxale entre respecter les objectifs chiffrés et la mission de l’entreprise est une situation épouvantable qui fragilise nombre de salariés. C’est une situation où l’on peut prédire de façon quasi certaine qu’elle mènera à des dépressions voire des suicides. Nous devons trouver des moyens d’agir au-delà de la dénonciation, ce qui me permet de soumettre à la réflexion de mes lecteurs et de nos futurs députés l’idée d’une réforme particulière en matière de crimes et délits : je propose de réfléchir sur l’idée d’un crime ou délit devant l’histoire. L’idée est que dans une situation telle que celle que j’ai décrite avec la Poste, on puisse par avance déposer une plainte préventive caractérisant un crime ou délit potentiel à venir. En cas de réalisation de ce crime ou délit, cette plainte préventive serait transformée automatiquement en instruction pour savoir si oui ou non, les personnes concernées ont tenu compte du risque et fait tout ce qui était rationnellement possible de faire pour éviter le pire.
Je ne suis pas un juriste mais je ne crois pas que cette gestion particulière par anticipation du risque existe dans l’arsenal légal préventif. Il doit être travaillé pour mettre des garde-fous, mais c’est une idée à creuser.
En attendant, je souhaite bon courage à nos postiers dans leur lutte.
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Sources :
- Rapport de la cours des comptes
- Merci à René Pelleau pour son éclairage
- Le problème traité par B. Seys
- Le problème traité par Chris Perrot
- Le problème traité par le Télégramme
- Le problème traité par Ouest France