Le puzzle du monde est en train de se recomposer. Peut-être que pour nos yeux déconnectés de l’urgence de la survie et blasés par tant de bruits et et fureurs télégéniques, l’aventure russe en Ossétie n’est-elle qu’une distraction estivale pour militaires en mal de revanche, mais je crois pour ma part qu’il s’agit là d’un soubresaut très symptomatique du rééquilibrage géopolitique en cours.
Quand ce rééquilibrage a-t-il commencé ? En 1989 à la chute du mur de Berlin ? Symboliquement sans doute. Mais cette date correspond à la fin de l’erreur communiste, pas à celle du bloc qui lui faisait face depuis tant d’années. Ce fut la fin de l’affrontement du modèle collectiviste dictatorial contre un modèle jusqu’alors libre et globalement démocratique.
Non, la bascule est sans doute à trouver quelque part dans une des guerre d’Asie occidentale, entre Irak et Afghanistan, guerres étranges s’il en est, entre cynisme mercantile, fanatisme religieux partagés et plus ou moins avoués, ou peut-être simplement guerre de remplissage du vide laissé par la fin de la guerre froide. L’Amérique devenue en apparence omnipotente par manque d’un adversaire à sa taille, s’en est inventé un, Al Quaïda, chimère ou ectoplasme que l’on voit en chaque endroit mais dont la substance est aussi insaisissable que son icône barbue. Al Quaïda, le mister Hide de l’Amérique… Depuis elle s’épuise dans un combat qu’elle ne peut pas gagner, ni militairement ni idéologiquement. Depuis l’URSS redevenue Russie s’est adaptée au monde et forte de ressources qui manquent à ce dernier à l’heure de la rupture énergétique, a repris confiance et s’enhardit à reconquérir les confetti perdus de sa gloire passée
Qui sera à même d’arrêter la charge des cosaques russes ? L’Amérique militairement dispersée, économiquement au point d’équilibre entre déroute et rebond, ne fera rien pour sauver quelques vallées à la frontière de l’Europe.
L’Europe sans cap politique renouvelé, sans identité réaffirmée, sans leadership efficace, sans figure emblématique, ne pourra pas faire beaucoup plus que ce qu’elle a fait en se précipitant à Moscou pour signer un texte de cesser le feu qui donne quitus au vainqueur, qui ignore la conscience viscérale du danger ressenti par les pays de l’Europe de l’Est. Étrange parfum de Munich pour un Daladier réincarné et expéditif…
La Russie remplit le vide que nous n’arrivons pas à combler. Finalement, elle ne nous menace pas vraiment, elle révèle les menaces que nous avons nous-mêmes laissé prospérer en ne prenant pas politiquement la mesure de la chute du mur de Berlin, en laissant flotter l’Europe sur sa lancée technocratique, en nous berçant d’illusions sur un parfum de gloire passée, en ne forgeant pas un nouveau destin, un nouveau citoyen européen irrigué d’un passé certes conflictuel, mais politiquement et intellectuellement brillant, et surtout un citoyen demandeur d’avenir commun, d’un projet à la hauteur de l’ensemble de son histoire.
Le Tsar Poutine ne s’arrêtera que si nous sommes capables de l’éblouir à nouveau. Il n’a que faire des faibles.