La réforme sur la décentralisation portée par Marylise Lebranchu continue à avancer à petits pas, mais à avancer. L’idée générale (qu’on me pardonne le raccourci trop synthétique) et de rééquilibrer les pouvoirs et compétences entre les différentes collectivités et institutions de la République, conseils régionaux, conseils généraux (désormais appelé conseils départementaux), EPCI, communes, communautés de communes, métropoles, …
Il me semble que sur le fond, c’est une excellente chose et que cette orientation est en phase avec les attentes de l’époque et des évolutions de la société. Je ne suis pour ma part ni jacobin ni indépendantiste et je suis convaincu que la République se porte bien lorsque ses citoyens ont le sentiments que les décisions et leur application sont faites au bon niveau de connaissance et d’écoute de leur vie. Il faut trouver le meilleur équilibre entre la vision et les grandes orientations politiques sans lesquelles rien n’est possible et la vie quotidienne de chacun sans quoi rien n’a de sens.
Je dois pourtant confesser un certain malaise avec les discussions en court. Le fond des travaux n’est pas en cause mais ces travaux prennent à mon sens beaucoup trop la forme d’une discussion, d’un échange, d’une négociation entre élus, ou plus exactement entre techniciens de l’action publique. Si cela devait effectivement être le cas, je craints fort que non seulement les citoyens ne nous donneront pas un satisfecit pour cette réforme pourtant majeure, mais qu’en plus ils nous reprocheront d’avoir élargi le fossé entre l’élu et le citoyen.
La réponse qui est généralement donnée lorsqu’on dit que le citoyen n’est pas suffisamment impliqué dans l’action politique, est que ce citoyen ne prend que rarement ses responsabilités lorsqu’on lui demande de se manifester. Il est exact que très peu d’entre nous ont, ne serait-ce qu’une fois, assisté à un conseil municipal par exemple et que nous ne nous précipitons pas aux réunions d’information sur l’action publique. A contrario, les primaires socialistes ou encore plus récemment les ateliers du changements PS ont montré l’appétence et l’intérêt des gens pour la politique.
Ce paradoxe me semble pouvoir être expliqué de la façon suivante : les Français s’intéressent à la politique, ils veulent tisser un lien fort avec leurs élus, ils veulent pouvoir exprimer leurs attentes, leurs espoirs ou leur déception, mais ils ne se sentent pas, avec raison, compétents pour prendre et assumer des décisions dont beaucoup d’éléments leur échappent. Alors à quoi bon ? Et c’est pourquoi les expériences de démocratie participative ont généralement des succès d’estime mais ne débouchent pas sur des actions de fond. Mais cela ne veut pas dire que les citoyens sont hors jeux ! Ce qui marche très bien, c’est lorsque ces personnes ont l’occasion d’agir, de s’impliquer. Faites une réunion locale sur la prise en charge de la misère et vous n’aurez sans doute pas un grand succès. Pourtant, si vous cherchez des gens impliqués dans des associations comme les restos du cœur, vous n’aurez pas de mal à en trouver (surtout en Finistère). Si la démocratie participative est une idée qui fonctionne mal, la démocratie coopérative est elle une réalité de tous les jours !
Et c’est sur cette démocratie coopérative que nous pouvons avoir l’espoir de réconcilier la réforme de l’acte III de la décentralisation avec les citoyens. Ouvrons dans la loi la possibilité d’expérimenter la délégation d’un certain nombre réflexions et de mise en œuvre de l’action publique. Que les élus fassent leur travail de contrôle, accompagnent la réflexion, mais qu’ils donnent la possibilité aux associations de citoyens de s’impliquer dans la mise en œuvre. Pour réaliser cette jonction entre les élus et les citoyens, il ne manque qu’un instrument puissant de coordination. Or un tel instrument existe : aujourd’hui, on sait mettre en œuvre des plateformes numériques qui permettent de co-construire des choses et de les mettre en œuvre en commun. Dans le domaine privé, des sociétés comme Local Motors (États-Unis) ou encore My Major Company (France) ont révolutionné les modèles économiques en impliquant le consommateur dans la conception & la vente de produits. L’acte III de la décentralisation doit permettre de changer le modèle politique en impliquant le citoyen dans la discussion et la mise en œuvre de l’action publique.
Il faut ouvrir ce champ expérimental, ce sera le premier pas vers la République 2.0, une République où la démocratie ne s’exprime pas qu’une ou deux fois par ans, où le citoyen n’est pas que le spectateur de notre destin collectif. L’action publique doit pouvoir être assumée par tout citoyen qui le souhaite, dans le cadre normal de l’action politique locale. Osons !
Quelques éléments de réflexion sur le mode de scrutin binomial paritaire introduit par la future loi. Ce type de scrutin présente décidément des cas d’anomalies fort gênantes.
Prenons le cas d’une assemblée à 20 sièges, 2 listes et un scrutin serré de 50%/50% avec une majorité d’une voix.
Dans un scrutin normal, on aurait une assemblée avec 9 sièges à l’opposition et 11 à la majorité, soit 50% – 1 siège = 45% / 50% + 1 siège = 55%. Normal et représentatif de la volonté des électeurs.
Dans un scrutin binomial, c’est très différent puisque l’écart serait mécaniquement amplifié : 4 binômes (8 sièges) iraient à l’opposition et 6 binômes (12 sièges) iraient à la majorité, soit un résultat de 40% / 60%.
Dans une situation de victoire un peu marquée (60% + 1 vote) on arriverait à une répartition de 30% pour l’opposition et 70% pour la majorité. Par sûr que cet « écrasement de l’opposition » soit bon pour le débat démocratique.
Problème suivant, que se passe-t-il si un siège doit être remis en jeu dans une élection partielle ?
Deux cas : le binôme est solidaire et 2 sièges sont alors à pouvoir, où le binôme n’est pas solidaire et 1 siège est à pouvoir.
Binôme solidaire : un siège est à pouvoir pour incapacité de l’élu(e), l’autre le devient par démission pour appliquer la solidarité. Lors de l’élection, la majorité peut changer si les électeurs le veulent, rien à dire, on se retrouve avec une assemblée à 40%/60% comme lors du 1er vote.
Binôme non solidaire : un siège est à pouvoir pour incapacité de l’élu(e), mais l’autre n’est pas obligé de démissionner. Cette fois, lors de l’élection la majorité ne changera pas et dans le cas pris ici, on se retrouve avec une assemblée à 50%/50% si la voix qui donne la majorité se reporte cette fois sur l’opposition ! Un même nombre de voix pour 2 scrutins mais 2 résultats très différents !
La seule solution est donc de rendre quoi qu’il arrive le binôme solidaire.
Je ne suis pas sûr d’aimer cette idée de binôme…
Le 28 février dernier, le conseil constitutionnel a retoqué la proposition d’avoir une présidence paritaire des groupes de l’Assemblée Nationale.
La motivation du point 4 est intéressante : « 4. Considérant qu’en vertu de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La loi est l’expression de la volonté générale. **Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants**, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » ; qu’aux termes du premier alinéa de l’article 3 de la Constitution : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants » ; que ces dispositions imposent le respect de l’égalité entre les groupes parlementaires ; «