Novembre 2009.
Sartre, il y a longtemps déjà, avait mis en scène la part sombre des idées nobles dans Les mains sales. Le théâtre électronique d’internet est en train de nous en faire une très mauvaise parodie depuis quelques jours. La méthode est insidieuse et lorsque les e-archéologues du futur se replongeront dans la période actuelle en en faisant une analyse statistique sémantique, ils risquent de se prendre en pleine figure une bouffée fort nauséabonde, et qui plus est, estampillée du sceau d’une certaine gauche.
Bien que n’ayant pas franchement le temps de militer sur internet ces derniers temps, je n’ai pas manqué de remarquer la résurgence de propos très borderlines, et de plus en plus souvent très au-delà de la limite. Les deux cibles du moment sont Martine Aubry et Dominique Strauss-Kahn.
Concernant Martine Aubry, le message envoyé par ces snipers est en substance “à mort la salope”, et désolé Martine, je ne caricature même pas les propos de ceux qui veulent faire ton “autopsie” ou qui déclarent sans rougir que “cette imbécile a scellé son destin d’imbécile dans la pierre” (ce seul article servira d’exemple au reste – l’article ayant été supprimé, je mets une copie d’écran de google pour prouver la véracité de mes propos). Je vous laisse quelques instants pour ouvrir la fenêtre et aérer la pièce, la suite est d’un jus encore plus rance…
Concernant DSK, nous avons une invasion septicémique semble-t-il fort coordonnée et liée à l’excellente notoriété de DSK en ce moment. Quel est le message que l’on veut en substance faire passer par cette attaque virale ? Que “DSK [est un] démoniaque libidineux“, “violeur“, un “ultra-libéral membre de bilderberg, aficionado du nouvel ordre mondial, affameur du tiers monde“, un “sioniste” (qui est le mot politiquement correct pour “sale traitre de juif”, faut décoder le message), et sur des aspects amusants à force d’être ridicules et pathétiques, un pion de Sarkozy placé au FMI et un incompétent (pas mal pour quelqu’un qui s’illustre avec brio au FMI, après avoir été le meilleur ministre de l’économie depuis plus de 30 ans).
Mais comble de l’abject, j’ai même dû intervenir auprès du post.fr pour faire retirer un commentaire qui en appelait tout simplement au meurtre, et plus précisément “à faire étriper DSK et prendre Sarkozy avec ses tripes“. Vous pouvez allez vomir et revenir dans 2mn…
Au-delà de la nausée que m’inspirent des propos qui violent à peu près toutes les valeurs qui soutiennent notre combat à gauche (tolérance et respect, ouverture à la diversité, générosité, mais aussi rationalité dans notre démarche idéologique), je perçois ici deux dangers.
D’abord la radicalisation d’un petit groupe qui perd peu à peu pied face à une réalité qui les rejette (en somme, une gauche nébuleuse faite de peurs, de fantasmes et d’illusions). Jour après jour, par un mécanisme lent et sournois, ce groupe utilise des moyens toujours plus extrêmes et nul doute qu’une partie d’entre eux finira effectivement dans des groupes extrémistes violents.
Ensuite un climat général de pertes de valeurs et de repères. Le combat politique a toujours eu un caractère violent, mais il s’agit ici de violences vides de contenu. Le but est de tuer l’ennemi, ici par un mécanisme de calomnies plus ou moins diffuses qui sont censées s’ancrer dans les esprits au fil du temps. Déblatérer sur Martine Aubry, Dominique Strauss-Kahn ou à l’occasion sur tel ou tel autre, n’a aucun impact à court terme puisqu’il n’y a pas d’enjeux immédiats. Pire, cela a toutes les chances de se retourner contre leurs auteurs alors que s’avancent les régionales, élections de listes qui devraient plutôt favoriser l’apaisement. Mais à long terme le but est que la maladie assoupie soit bien installée pour être réveillée au moment opportun.
La raison est en berne et seule l’émotion destructrice est à l’œuvre.
J’exprime mon plus parfait dégoût envers ces pratiques qui n’ont aucune justification morale et qui ne sont que l’expression sale d’une pensée politique sale et inepte. Que l’on conteste les idées ou les outils d’une personnalité politique est chose normale, mais que cette contestation n’ait d’autre motivation que le rejet épidermique, sans autre projet politique que de flinguer tout ce qui peut faire de l’ombre à leurs illusions déliquescentes, est insupportable.
Enfin, pour clore ce post, voici une liste de références et de faits qui permettront à tout un chacun de se faire une opinion sur certains propos fielleux.
- d’abord, peut-être le plus ancien, le hoax “DSK est un traitre sioniste”. Vous trouverez les fadaises de l’histoire ici.
- quelques mots sur la MNEF : DSK a effectué sur plusieurs mois un contrat pour la MNEF facturé environ 600 000 F. Grosse somme a priori pour ceux qui ne connaissent pas le monde du consulting. Mais, à l’époque, un consultant de haut niveau était facturable sans problème à 10 000 F / jour. Donc, ceci représente 60 jours de travail. La justice n’a rien vu à y redire.
- Le procès DSK : Dominique Strauss-Kahn a effectivement été traîné en justice, justice qui non seulement a reconnu très rapidement son innocence, mais a également remonté les bretelles de l’accusation pour avoir présenté un dossier vide. On remarquera qu’à l’époque, DSK a eu une attitude républicaine exemplaire en démissionnant de son poste de ministre pour ne pas porter préjudice à l’État. Tout le monde n’a pas eu depuis un tel comportement exemplaire.
- La cassette Méry. Là on se demande toujours ce qui est reproché à DSK si ce n’est de ne pas en avoir fait un complot pour saper la République.
- Le bobard c’est “Sarkozy qui a nommé DSK au FMI” (avec une version plus cosmique dont la trame est “la CIA a favorisé le choix de Royal contre Sarkozy pour faire élire Sarkozy et en contre-partie DSK a été dédommagé de sa déconvenue avec le FMI” ; billard à 27 bandes…). En ce qui me concerne, j’ai simplement posé la question sur ce qu’il en était à Anne Sinclair qui m’a confirmé s’il en était besoin que c’est bien Juncker qui a proposé DSK et que Sarkozy n’a fait que suivre. Maintenant, si vous avez de meilleures sources, postez-les !
- L’histoire “DSK est un violeur”. Là il s’agit de surfer sur le côté séducteur en buzzant sur une histoire plutôt fumeuse et incohérente. À l’origine, il y a une personne qui dit que DSK a été trop entreprenant contre sa volonté et n’a pas voulu porter plainte par crainte d’attaquer un homme d’État. Cette personne n’a cependant pas craint de s’épancher devant les caméras d’Ardisson et c’est bien ce qui rend l’affaire douteusement glauque : quand on a peur on ne va pas à la télé pour le raconter, et quand on a le courage de dénoncer effectivement ce genre de faits et bien on le fait devant la justice. Courageuse à la télé et lâche avec la justice, voilà qui qualifie le niveau de l’affaire.
- La rengaine, DSK n’est pas à gauche. Là, je ne peux que vous conseiller la lecture de “La Flamme et la Cendre” et m’en tenir à quelques éléments factuels : d’abord les résultats économiques et sociaux lors de son passage à Bercy (à moins que lutter efficacement contre le chômage ne soit pas de gauche), et plus encore, son action dans cet ex-temple de l’ultra-libéralisme, le FMI : apurement de la dette du Libéria, amélioration du statut des “petits” pays au sein du FMI, prêt à taux zéro aux pays pauvres et surtout l’incroyable révolution en marche concernant le contrôle du capitalisme financier. On y ajoutera quelques rappels sur la réalité de l’Ukraine dont la situation est honteusement et cyniquement exploitées par quelques belles âmes.
Voilà pour la petite liste de courses du moment, ne doutons pas qu’on nous en inventera quelques autres. J’ai soumis au jugement du lecteur un certain nombre de liens, à vous de vous faire une idée qui ne soit pas forgée par une opération de manipulation à peine dissimulée mais sur votre propre jugement.
Nous, sociaux-démocrates croyons en la force de la raison, du jugement forgé à partir de faits vérifiables par des esprits libres et émancipés.