L’homme est la mesure de toute chose


La pensée complète de Protagoras étant d’ailleurs «L’homme est la mesure de toute chose : de celles qui sont, du fait qu’elles sont ; de celles qui ne sont pas, du fait qu’elles ne sont pas». Je crois qu’il aurait bien des sujets de réflexion à propos de l’effervescence mêlant les délires et fantasmes de ces deux dernières semaines.

Est-ce l’image (fut-elle volée) qui est devenue la mesure des choses ?

Est-ce la capacité à générer du marketing viral à partir de cette image qui est sur le point de devenir un message politique ?

 

En elle-même l’image en question (la Porsche) répond aux éléments symboliques de la réussite : la voiture de sport, un couple souriant et dynamique dans une des plus belles capitales du monde.
Mais cette image a été déconstruite : d’abord elle a été fallacieusement enrobée avec le parfum du secret (c’est une image de paparazzi, non « officielle », volée donc plus vraie que vraie, etc). Le secret, fut-il créé par un story telling murement réfléchi, est forcément plus vrai que la vérité dans un monde où depuis X Files on sait que la vérité est ailleurs. Mulder est devenu plus fort que Protagoras !

Puis l’image a été marketée pour répondre à un segment de marché bien précis : les adversaires de DSK à gauche. Les derniers marxistes d’abord et par extension tous ceux qui réduisent la politique à un choix de personne. L’image symbole de réussite a alors été racontée comme l’image de la richesse, l’argent devenant une valeur (négative), la nouvelle mesure de la chose. C’était d’autant plus facile à ancrer dans les esprits que cette mise en scène avait aussi pour but de relativiser l’image bien présente du bling bling qui colle à la peau de Nicolas Sarkozy. Puisque dans son cas, l’argent est affichée comme une valeur, toute personne ayant de l’argent doit forcément partager ces valeurs. Les amis (mêmes valeurs) de mes ennemis (« contre-valeur ») étant mes ennemis, le virus pouvait être libéré ! Voilà au moins un sophisme dont Protagoras aurait pu sourire…

A l’arrivée, internet appuyé (timidement) par quelques média est devenu le lieu d’une caricature de combat politique : l’argent devenant le marqueur universel de l’e-idéologie politique. Le combat n’est plus celui d’un choix entre marxisme, social-démocratie refondée ou libéralisme échevelé (ou autre chose), mais un choix entre ceux qui ont ou pas de l’argent. Étrange combat d’ailleurs où l’on se préserve bien de situer une frontière et où l’on interdit de facto à tout un chacun d’améliorer sa condition sous peine de passer dans le camp honni d’en face.

Et bien je refuse ce diktat du niveau zéro de la pensée. Non l’argent (ou ses supplétifs) n’est pas la mesure de la chose politique et encore moins de toute chose. Les valeurs de mon combat restent celle de la liberté, de la vérité, de la recherche du bonheur et du progrès par la réforme, de l’égalité de la société et de l’équité entre citoyens, de la solidarité qui construit un avenir commun.
Je ne combats pas Nicolas Sarkozy à cause de son compte en banque, mais à cause des dégâts que son comportement de Rastignac a infligé à la fonction présidentielle et à la France. De Gaulle l’économe ne dédaignait pas la DS décapotable car l’image est flatteuse pour la fonction. Pompidou avait sa Porsche et l’on se souvient du chassé croisé entre la XM de Mitterrand et la CX de Chirac. Hélas avec Sarkozy nous sommes passé au yacht de l’homme d’affaires, au clinquant du show biz. La question n’est ici pas celle du coût de ce qui est vu dans l’image, mais du ressenti de chaque Français. On peut être fier de la DS de De Gaulle, on ne voit pas bien comment être fier de l’image de Sarkozy sur le Yacht de quelqu’un qui a des intérêts économiques personnels à l’accueillir. La grande majorité des Français accepterait de passer un week-end au volant d’une voiture de sport, et cette même majorité ne se sentirait pas à sa place sur le bateau d’un riche homme d’affaires (sans d’ailleurs en vouloir à ce dernier, s’il a réussi tant mieux pour lui, mais que l’image du Président des Français ne soit pas ostensiblement liée à des intérêts particuliers).

Je combats aussi la politique UMP pour ses échecs (que cette histoire vient obligeamment remettre au second plan). Croissance, dette, chômage, désespérance, voilà des motifs de combats. Voilà la cible (et que l’on nous évite l’argument de la crise, le mal était déjà là bien avant 2008 : l’ump est au pouvoir depuis presque 10 ans, la crise a bon dos !). Quelques exemples :

La dette française (source wikipedia) :
(c) creative commons : Gedefr pour la version actuelle, MaCRoEco pour la version initiale

Taux de chômage en France (sources Google, données Eurostat) :

PIB en euro courant (sources http://www.france-inflation.com/evolution_pib_france.php)

Évolution de la pauvreté en France (en pourcentage du salaire médian, sources observatoire de la pauvreté) :

On notera l’état de la France lorsque la gauche a cédé le pouvoir à la droite UMP en 2002 et l’état en 2007, juste avant la crise.

Conclusion

Le bruit autour de l’image de Dominique Strauss-Kahn présage mal de l’évolution du débat démocratique sur internet. Les médias traditionnels n’ont pas que des qualités mais ils sont comptables de leurs erreurs et par conséquent les rédactions, même lorsqu’elles sont partisanes, tombent rarement dans la calomnie ou l’hystérie. Il n’en n’est pas de même d’internet ou tout un chacun peut publier et n’a pas forcément le recul et la maturité pour éviter les phénomènes d’auto-intoxication : il est si facile de prendre pour argent comptant quelque chose que l’on voudrait être vrai.

La faute ultime n’est cependant pas celle des quelques individus transformés en activistes aveugles, mais bien celle des groupes constitués qui jouent avec le marketing viral pour répandre rumeurs et calomnies. Le site dskvraifaux.fr a décortiqué l’origine de cette affaire : honte à ceux qui ont tenté de manipuler le débat démocratique ! Pas plus que l’argent, la préservation d’une situation personnelle, fut-elle présidentielle, n’est la mesure de toute chose. Je crois en la démocratie et c’est pourquoi je continuerai à combattre ceux qui veulent la pervertir.

 

 

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Le buzz contre l’information

Semaine instructive. Le monde médiatique a eu cette semaine deux raisons de s’intéresser à Dominique Strauss-Kahn.

La première est bien sûr le « scoop » dont la mèche a été allumée par le sémillant Brice Hortefeux, scoop sous la forme d’une photo de paparazzi montrant Dominique Strauss-Kahn et Anne Sinclair à côté de la Porsche Panaméra d’un proche du couple. Il semble clair que le but de la manip’ était de jouer sur l’image de la richesse censée rendre incompatible tout engagement de gauche, vieux procès fait naguère à Léon Gambetta, Léon Blum, Pierre Mendès France et tant d’autres. L’UMP a allumé la polémique et a vite reçu le renfort d’une certaine gauche décidément obsédée par l’argent en tant que valeur (même si c’est pour eux une valeur négative, cela ne vaut guère mieux que la conception de l’argent en tant que valeur positive).

Mais chose intéressante, si l’histoire a fait beaucoup de bruit, je ne suis pas sûr qu’elle été si négative pour DSK :

  • d’abord parce que les leaders de la gauche ne sont pas tombés dans ce piège déjà mille fois utilisés et certains même telle Ségolène Royal ont appelé leurs militants à ne pas aider l’UMP dans sa tentative de manipulation.
  • ensuite parce que l’UMP s’est trompé de symbole. Certes une Porsche cela évoque la richesse, mais la voiture de sport est d’abord dans l’imaginaire collectif des Français un symbole de réussite, un rêve que l’on peut toucher du doigt car même si rares sont les Français ayant les moyens de ce payer ce genre de bolide, c’est un rêve réalisable le temps d’une ballade. Cette image de DSK est d’abord celle de la réussite et ne remet pas en cause son engagement à gauche.
  • enfin, l’UMP cherchait également à relativiser le bling bling de Nicolas Sarkozy, mais là aussi, c’est à mon sens raté. Ce qui est reproché à Nicolas Sarkozy c’est son amour ostentatoire de la richesse sur des choses qui ne plaisent pas au Français. Une victoire aux élections cela se fête dans la convivialité d’une bonne bouffe entre amis et militants, pas au Fouquet’s. Les montres hors de prix c’est un truc aussi inutilement has been que clinquant. Le salaire que l’on s’augmente de 140% avec nos impôts est un trait de caractère à la Rastignac, sans grandeur. En comparaison, le vroum vroum de cette image de Dominique Strauss-Kahn est certes peu modeste, mais elle est l’image de la réussite sociale d’un couple. Entre le bling bling et le vroum vroum, il me semble que le coeur des Français penchera vers DSK.

Voilà donc pour la première actualité dont tout le monde ou presque a entendu parler. Mais quelle est donc la seconde me direz-vous ?

La seconde est un article du prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz, qui fut un critique plutôt acerbe des institutions comme le FMI. Et que nous dit ce Nobel cette semaine ? Il nous explique comment DSK a changé le FMI en profondeur. Quelques extraits :

« La crise a démontré que des marchés libres et sans entrave ne sont ni efficients, ni stables. De même, ils ne sont pas nécessairement performants pour fixer les prix (voyez la bulle immobilière), y compris les taux de change (…).

L’Islande a démontré que répondre à la crise en imposant des contrôles de capitaux peut aider les petits pays à limiter son impact. Et la politique non conventionnelle de « quantitative easing » (QEII) de la Réserve Fédérale américaine a inévitablement signifié la mort de l’idéologie des marchés sans entrave : l’argent va là où les marchés pensent que les rendements sont les plus élevés. (…).

L’afflux d’argent dans les marchés émergents provoqué par la politique des Etats-Unis a convaincu les ministres des finances et gouverneurs de banque centrale, y compris ceux qui y sont idéologiquement opposés, de la nécessité d’intervenir. (…).

Le FMI a finalement établi un lien entre inégalité et instabilité

(…)

Pour les progressistes, ces réalités épouvantables font partie de la litanie habituelle de frustration et d’outrage justifié. La nouveauté est que le FMI a rejoint le choeur. Pour reprendre les mots par lesquels Strauss-Kahn a conclu son discours devant la Brookings Institution quelques jours avant la réunion récente du Fonds : « En fin de compte, l’emploi et l’équité sont des éléments de stabilité économique et de prospérité, de stabilité politique et de paix. Cela est au coeur du mandat du FMI. Cela doit être placé au coeur de l’agenda politique. »

Strauss-Kahn se révèle être un leader sagace du FMI (…)« 

Ceci me rappelle une autre intervention, celle de Stéphane Hessel au début de l’année dans un entretien à Rue89 :

« Je souhaite qu’aux législatives qui vont suivre l’élection présidentielle de 2012, plusieurs partis de gauche travaillent ensemble : communistes, verts, socialistes, et même des candidats du centre républicain. Mais attention : il ne faut pas qu’ils présentent quatre candidats différents à l’élection présidentielle. Je ne vois que deux candidats possibles en l’état actuel : Martine Aubry et Dominique Strauss-Kahn.

Rue89 : Mais Dominique Strauss-Kahn dirige le FMI, qui fait partie des institutions que vous dénoncez…

DSK a pris le FMI à un moment où il fallait le dénoncer, mais il est en train de le transformer assez utilement. On ne sait pas encore bien tout ce que DSK a fait. Par exemple, le FMI ne fait plus d’ajustements structurels, c’est un progrès.

Personnellement, je préfèrerais Martine Aubry : je la considère comme plus énergiquement de gauche ; mais je sais, pour le connaître, que Strauss-Kahn est aussi un homme de gauche. S’il devient Président, il réformera l’économie française selon les même lignes que celles qu’il a soutenues du temps de Jospin ou de Rocard.

Il y a eu en France une gauche qui a fait des choses, je pense au RMI, à la couverture médicale universelle… Et elle peut en faire demain davantage.« 

Voilà deux actualités de la semaine. Il me semble que l’ordre d’importance n’est pas en phase avec l’intérêt réel et que cela méritait un article pour remettre les choses en perspective.