Il y a 6 mois déjà, j’écrivais « Aujourd’hui, je suis plus que circonspect vis-à-vis du principe des primaires, pour une raison technique : dans un tel scrutin il est impossible de garantir l’équité de la campagne, comment alors donner une légitimité au vote si ce n’est l’acceptation mathématique d’un vote structurellement biaisé ? ». Bartolone actualise cette réflexion avec un biais particulier : parmi les candidats susceptibles de l’emporter, un seul se présentera par accord tacite ou explicite avec les autres.
Est-ce logique ? Dans la logique du vieux PS, absolument. Après deux défaites qui n’auraient pas dû avoir lieu, il est absolument normal que la « machine PS » cherche et trouve la meilleure façon de gagner le prochain scrutin, et la meilleure façon est de ne pas créer une lutte suicidaire d’investiture.
Est-ce démocratique ? Non, puisque techniquement nous n’aurons d’autre vrai choix que de voter pour le seul gagnant possible.
Est-ce insupportable ? Ceux qui ne se reconnaîtront pas dans la tendance du vainqueur diront que oui, en sachant qu’ils auraient dit le contraire si le choix avait été différent, ou encore qu’ils l’ont très bien supporté dans le passé.
Est-ce une violation de nos idéaux ? Non, un parti n’est qu’un outil pour atteindre nos idéaux, ce n’est pas un idéal en lui-même. Cet outil passe tour à tour entre des mains qui ont des intérêts particuliers, et parfois ces mains s’égarent. Le secrétariat actuel n’est sans doute même pas le plus mauvais que le PS ait connu, mais il est dans une situation très particulière qui lie la promesse d’un triomphe électoral en 2012 et l’acte de décès du vieux PS. La réforme radicale ne peut pas venir de la direction ; comme je l’ai écrit, « Si changer est généralement une nécessité, c’est très rarement un choix pour chacun d’entre nous. Cela est encore plus vrai pour une organisation ou dans notre cas, un parti politique. Les groupes constitués fonctionnent selon des règles tacites ou explicites qui les stabilisent, qui les font avancer et leur évite d’exploser. La stabilité d’un groupe, bonne ou mauvaise, résulte d’une alchimie entre la volonté d’être ensemble et la réalité de forces antagonistes qui se neutralisent, se stabilisent de façon généralement non consciente, sur un équilibre aussi stable que possible. »
Finalement la situation est simple : si le PS perd 2012, de toute façon c’en sera fini. Pour gagner, la direction et nombre de cadres pensent, raisonnablement, qu’il faut supprimer tout risque préalable, donc éviter que les primaires augmentent les tensions actuelles jusqu’à l’explosion ; ils suppriment de fait le problème de choix démocratique au profit d’un choix rationnel (aptitude, expérience, image, consensus national – en espérant que le candidat ait effectivement ce profil) pour les trois tours (primaires, 1er tour, 2ème tour). Mais en faisant cela, la direction touche au paroxysme du problème du PS : pour sauver le PS, le parti doit biaiser le choix démocratique. C’est logique, c’est rationnel, c’est même peut-être souhaitable, mais ce sauvetage est aussi en lui-même l’acte de décès du vieux PS : logique jusqu’à l’absurde, sans échappatoire possible.
Le ps actuel ne peux structurellement pas faire ce qu’on attend de lui c’est-à-dire une élection ouverte et equitable. Il faut donc le changer. Mais si on le change maintenant on risque de perdre l’élection puis le parti. Ceci dit, ce n’est pas la première fois que le problème se pose : après chaque élection perdue, on évoque une rénovation nécessaire, rénovation vite oubliée car il faut gagner l’élection suivante avant de rénover…
Il me semble qu’en conséquence, la question posée aux primaires n’est plus de choisir notre candidat (à la rigueur de lui donner l’onction formelle – l’élection de confirmation de Bartolone/Fabius), mais sans-doute faut-il aussi saisir l’opportunité d’exiger la refondation avant l’élection, avant une élection que nous pouvons gagner. Nous avons l’opportunité de débattre sur les fondations de la renaissance du PS, renaissance qui sera rendue possible par l’élection d’un président socialiste. Ces primaires seront moins des primaires que la convocation des États généraux du socialisme, voire de la gauche qui a elle-même à se redéfinir.
Le futur président aura pour mission de sortir la France de la crise et de refonder la République largement liquidée par Nicolas Sarkozy.
Cette dynamique présidentielle doit également permettre de redéfinir ce qu’est la gauche et de refonder le parti socialiste sur des bases qui éliminent les incohérences à la fois idéologiques et de fonctionnement, et trace un nouvel horizon tenant compte des défis qui se posent à nous autant que de l’évolution profonde de la société.
Ne nous trompons pas de combat : la situation actuelle est la conséquence directe d’éléments structurels, ce n’est pas un problème de personne. Il me semble qu’en l’état actuel, aucune primaire telle que nous le rêvons n’est en mesure d’être mise en place, mais ce qui va être mis en place peut permettre de redéfinir les futures règles de la vie démocratique du parti.
Nous voulons que le prochain président soit socialiste, il le sera. Mais ce président sera sans parti si le vieux PS avait l’illusion de survivre à l’élection, il sera au contraire infiniment plus fort avec un PS refondé.