L’art de la manipulation politique numérique

Il y avait longtemps que je n’avais pas eu l’occasion de faire une étude de cas sur le sujet. Nous avons tous pu constater que depuis 1 bon mois, l’UMP dépensait des sommes assez faramineuses pour permettre à son candidat sortant d’une part de passer sous silence la montagne d’erreurs et de résultats catastrophiques de son mandat et d’autre part d’atteindre le Graal sondagier supposé lui permettre de rattraper le retard accumulé sur François Hollande et l’empêcher d’être avalé par Marine LePen.

Le dernier meeting de Villepinte a en effet coûté aux alentours de 3  millions d’euros (sur un budget maximal au premier tour de 16,8 millions d’euros, soit 20%), ce qui fait cher de la journée…

Le point de départ de notre analyse est un coup classique en matière de sondage lié à un grand meeting, à savoir le faire au bon moment. En 2007, l’ump avait commandé un sondage juste avant le meeting d’investiture de la candidate socialiste, ce qui correspondait à une période où ses intentions de vote baissaient, le meeting devant stopper cette baisse. Mais, timing futé, le résultat de sondage obtenu avant le meeting fut publié juste après, faisant croire à un mauvais impact de l’événement.

La manip se répète aujourd’hui d’une façon un peu différente puisque l’objectif visé est de présenter comme une victoire décisive le croisement des courbes d’intention de vote au 1er tour (enfin d’un seul sondage en l’occurrence). Depuis plusieurs semaines, NS et FH ont un score proche, avec un léger avantage à François Hollande (ce qui au passage n’a aucun précédent dans la Vème République pour un candidat socialiste). L’UMP s’est donc débrouillé pour mettre en avant un sondage effectué juste après le meeting de Villepinte qui fut un extraordinairement coûteux exercice de communication. Objectif sondagier atteint mais l’opération ne pourra certes pas être refaite 2 fois et le risque est grand pour la droite de voir les choses s’arrêter là, voir être infirmées par les futurs sondages, à commencer par le « rolling ifop – Ficucial – Paris Match« … d’aujourd’hui :

Visitez le QG de François Hollande Visitez le QG de Nicolas Sarkozy Visitez le QG de Marine Le Pen Visitez le QG de François Bayrou Visitez le QG de Jean-Luc Melenchon

    FH : 28.5%        NS : 28%       MLP : 16.5%      FB : 12%       J-LM : 9.5%

L’Ifop publie donc 2 sondages contradictoires le même jour alors que la Sofres annonce… une chute de 2 points de Sarkozy !

Et le numérique dans tout cela me direz-vous ? Ces derniers temps, on constate une augmentation de la présence des petites mains sur les blogs, ce qui n’est pas étonnant. Mais il y a mieux. Avez-vous entendu parler de l’institut électionscope ? En fait d’institut, on trouve surtout un site internet (mal fichu d’ailleurs) dont les archives remontent toutes au… 17/02/2012 (toutes publiées à la même date très récente, certaines pages du site remontent cependant à 2011). Ce site n’a pas de mentions légales et semble être dirigé en tout et pour tout par deux personnes qui sont par ailleurs très actives sur internet et sur les ondes, la radio d’opinion BFM Business en tête. Et que nous dit cet institut ? Que leurs dernières analyses montrent que Nicolas Sarkozy va gagner, c’est sûr, leur simulation politico-économique (?) le démontre. J’ai bien cherché la description de leur méthodologie, leurs hypothèses, leur modèle de simulation, que nenni, il faut nous contenter de quelques tableaux de chiffres, des courbes ou leur écrire ce qui est une façon de procéder un peu étrange et méthodologiquement peu scientifique. Difficile d’y voir définitivement malice, mais clairement, si on ne creuse pas la question, la reprise d’éléments ponctuels hors contexte et la répétition à haute dose de ce genre d’affirmation peut passer pour une vérité ce qui arrangerait bien les affaires très mal engagées de l’UMP…

Résumons. Pour une bonne manipulation d’opinion il faut :

  • des sous (beaucoup si on est vraiment dans les choux)
  • un gros meeting relayé largement par les médias (d’où l’intérêt d’y avoir des amis)
  • l’art du bon timing dans la publication de sondage
  • un argument d’autorité comme une étude non ou difficilement vérifiable issue d’un site internet que vous baptisez institut (augmentation de l’argument d’autorité) et qui vous permet de renforcer l’effet sondage en faisant croire que c’était écrit, inévitable, etc…
  • en utilisant massivement les médias numériques (facile, rapide et assez peu coûteux)
  • et… ne pas vous faire prendre par la patrouille !

Conclusion

Comme je le répète souvent, les sondages ne sont pas en eux-même bidonnés, mais le diable se cache généralement dans leur timing, leur construction et la capacité à imposer une interprétation. Internet est à la fois un canal de liberté, d’émancipation, d’information, mais aussi de coercition et de formatage des esprits et du jugement. Ne tenez pour vrai que ce que vous pouvez vérifier ou à défaut recouper.

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