Qu’est-ce qu’être « de gauche » ? Mélenchon, Royal et DSK

Pour essayer de contrer l’attente qui monte des Français depuis plusieurs mois déjà, ses adversaires politiques de gauche pensent avoir l’argument imparable qui tue : DSK ne serait pas de gauche (sous-entendu, donc la gauche ne peut pas le choisir et voter pour lui).
Il semble que deux groupes en particulier se soient appropriés cet argument : la gauche que j’appelle radicale dont Jean-Luc Mélenchon semble devoir devenir le héraut, et certains royalistes semblant ne pas accepter la décision de Ségolène Royal de ne pas se présenter contre Dominique Strauss-Kahn en 2012.

Au-delà du positionnement tactique de chacun, il est intéressant de se demander ce qu’est être de gauche avant de jeter l’anathème sur tel ou telle.

Adoptant la méthodologie d’un bon étudiant à l’esprit ouvert, je me suis d’abord intéressé à ce que les autres répondaient à cette épineuse question.

Une étude TNS Sofres de 2005 en France posant à 1000 personnes la question « Pour vous, être de gauche, aujourd’hui, qu’est-ce que c’est, qu’est-ce cela veut dire ? » a montré que :
– 27% des gens de gauche ont répondu : « Le social : “faire du social”, “faire plus de social” »
– 17% des gens de gauche ont répondu : « Le dialogue, l’ouverture, l’écoute : “être à l’écoute des citoyens, des hommes, des individus”, “c’est prévoir, c’est le dialogue” »
– 12% des gens de gauche ont répondu : « L’aide aux plus fragiles : “aider les plus démunis”, “aider le peuple”, “aider les pauvres” »

→ social, dialogue, écoute, prévoir, aider

Du point de vue économique

Être de gauche, c’est être anti-libéral, notion très vague finalement dans l’esprit des gens, mais qui peut se résumer à un refus de la liberté totale du marché, voire pour certains secteurs refuser la marchandisation. Suivant les tendances, cela signifiera refuser une quelconque liberté du marché (gauche révolutionnaire) avec des nuances qui aboutiront à l’autre bout du spectre, à une régulation du marché, régulation déterminée par l’intérêt général (position social-démocrate). Naturellement, pour la gauche révolutionnaire, la social-démocratie sera considérée être à droite (et affublée du doux nom de social-libéralisme).

En ayant une considération particulière vis à vis des plus faibles, la gauche se veut plus morale que la droite dont la finalité économique est d’abord de permettre à l’individu de réussir même si cela signifie que les plus faibles perdent. La révolte contre l’injustice est une attitude classique, la volonté de réforme en est une conséquence. À la notion de justice sociale, la droite répondra plutôt par la notion de charité, acte individuel là encore.

→ agir sur le marché dans le sens de l’intérêt collectif, réformer

Être de droite en matière économique c’est d’abord n’entraver en rien le marché, ni par la réglementation, ni par l’impôt. Le marché doit être « pur », il existe une justice immanente (« la main invisible du marché »).

→ liberté absolue, laisser-faire le marché

Du point de vue « référentiel mental »

A gauche on se réfère à la famille en tant que groupe, au cadre social, à la société citoyenne, l’individu est largement contraint par son environnement. L’individu est d’abord un citoyen qui a des droits et des devoirs vis à vis du groupe.
L’homme de gauche veut agir avec force sur son environnement pour le changer et améliorer le sort de chacun, en particulier des plus faibles.

Du point de vue individuel, le combat de gauche est d’abord celui de l’émancipation et la construction de la possibilité d’un choix libre et éclairé : c’est en ce sens que l’éducation a un sens très important pour l’idéologie de gauche. L’émancipation permet également à l’homme de gauche d’être et d’agir potentiellement en dehors de la décision d’un pouvoir politique.
Cette émancipation permet également à l’homme de gauche de ne pas être contraint par sa naissance. Comme le dit Jean-Luc Mélenchon «On a connu de grands bourgeois de gauche et des prolétaires d’extrême droite. Bien sûr, la condition sociale joue un grand rôle dans la perception de l’existence, mais on ne peut pas réduire un homme à cela. »

→ l’individu se définit par rapport au groupe, émancipation, agir et réformer le groupe

À droite on se réfère à l’individu qui est seul arbitre de ses choix, et au chef (ce qui est un peu paradoxal). Le chef est le représentant de l’ordre : l’ordre, la justice, l’intégration par l’uniformisation des comportements depuis le jeune âge (voir les mouvements scouts par exemple) sont les outils de structuration de la société de droite. L’individu en toute occasion dispose de son libre-arbitre (héritage chrétien), libre arbitre cependant contraint par l’ordre rigide et omniprésent de la société.

→ Le triptyque travail (individu libre de son sort et donc de construire son avenir), famille, patrie (chef, autorité) est un bon résumé du référentiel mental de la droite. Au nom de l’ordre établi, l’homme de droite est plutôt conservateur.

Alors, sont-ils de gauche ?

Jean-Luc Mélenchon Ségolène Royal Dominique Strauss-Kahn
social Élément important du discours Élément important du discours Élément important du discours
Dialogue, écoute Vision musclée du dialogue Vision ambiguë du dialogue Dialogue et contrat sont les outils classiques des sociaux-démocrates
Prévoir La planification était l’outil classique de la gauche « radicale », est-ce toujours le cas ? ? DSK essaye d’introduire un système d’assurance pour gérer les risques de la finance mondiale
Aider / solidarité Élément important du discours Élément important du discours Élément important du discours
agir sur le marché dans le sens de l’intérêt collectif Oui, adepte de l’autorité de l’État Idéologie peu claire : entre blairisme et social-démocratie de l’Europe du Nord Oui, adepte de la régulation qui structure et oriente le marché.
agir et réformer le groupe L’État fort pour réformer la société
Conservateur en matière d’évolution idéologique.
Vision d’un État fort mais décentralisé ?
Conservateur dans certains de ses choix (système présidentiel par exemple).
Prendre les problèmes à l’origine pour changer la donne : politique de la petite enfance. Doctrine du réformisme radical.
l’individu se définit par rapport au groupe oui Confus : DA est un organisme de promotion du chef. oui
émancipation ? Confus : référence à des outils de droite (encadrement militaire) Oui
liberté absolue Refus Refus Refus
laisser-faire le marché Refus Refus Refus
travail Valeur non marquante dans le discours Valeur non marquante dans le discours Valeur non marquante dans le discours
Famille ? Exemple personnel donnant une vision déstructurée de sa conception de la famille. A fini par prendre position pour une évolution du mariage homosexuel. Attaché à la famille et à son évolution (mariage homosexuel)
Ordre / Autorité non Ordre « juste », tribunaux citoyens, autorité du chef non
Le chef vs le groupe Le groupe Le chef Le groupe

Même si mon tableau peut être sujet à caution (nulle doute qu’il sera contesté), on voit tout de même sans ambiguïté que DSK n’a pas grand-chose d’un « homme de droite ».
En fait cette étiquette lui vient très probablement de sa formation d’économiste, d’ex-ministre au Minefi et naturellement directeur du FMI : toutes ces « boîtes » sont étiquetées à droite dans l’imaginaire collectif et finalement, Marx le grand bourgeois théoricien de l’économie pourrait sans doute être taxé d’homme de droite lui aussi…

Sur le fond, le réformisme radical, le contrat négocié, l’attachement au groupe plus qu’à l’individu, l’importance du social dans la vision de l’économie et de la société font de Dominique Strauss-Kahn un homme qui appartient idéologiquement à la gauche, mais à une gauche en évolution, pas à une gauche crispée sur des outils du siècle dernier. Sur les points particuliers de l’ordre (élément principal pour Bourdieu) ou de la vision globale du général à l’individu (élément principal pour Deleuze), DSK apparaît là aussi comme un homme de gauche, largement plus en particulier que Ségolène Royal qui a fait de l’ordre juste son crédo.

Bourdieu : Royal est de droite Deleuze : etre de gauche

Après ce petit comparatif à partir de critères et non d’anathèmes, chacun pourra regarder les campagnes de communication des comités en gauchitude à leur juste valeur. Mais sur le fond, on ne juge pas un homme politique à l’étiquette qu’on lui colle, mais à son parcours, à ses connaissances et compétences avérées, à sa capacité démontrée à avoir amélioré le sort de chacun, à sa bonne volonté, à l’équipe qui l’entoure et enfin à la promesse d’avenir qu’il porte.

_______________________
sources :
Terre Politique
Médiapart
Nouvel Obs
Vidéo de Gilles Deleuze
Débat Moscovici/Mélenchon
Bourdieu

Une réflexion sur « Qu’est-ce qu’être « de gauche » ? Mélenchon, Royal et DSK »

  1. Un texte complémentaire intéressant : http://www.lexpress.fr/actualite/politique/oui-dsk-est-un-vrai-socialiste_989122.html

    extraits :

    « Il est de bon ton d’accuser Dominique Strauss-Kahn de ne pas être socialiste. Pour porter une telle accusation, il faut avoir une vision dépassée du socialisme, celle d’un socialisme dirigiste et étatiste, fondé sur l’envie, où la réduction des inégalités repose sur l’abaissement des riches et non sur l’amélioration du bien-être des pauvres. Le jeune DSK s’est éloigné du PC quand il a découvert l’économie. Le problème de ceux qui se croient plus à gauche que lui, c’est qu’ils continuent à refuser la science économique. »

    « Concrètement, quand DSK ministre des Finances réduisit la taxe professionnelle, la TVA sur le BTP, et privatisa, selon une logique qu’il confirma dans son livre La Flamme et la cendre, en 2002, au sujet d’EDF, il s’inscrivait dans la tradition du socialisme saint-simonien, où l’industrie libre et peu taxée crée la richesse que l’on peut redistribuer. »

    « Quand, en tant que directeur du FMI, il a soutenu les succès récents de l’Afrique pour condamner à la fois les étatismes post-brejnéviens encore présents dans la zone et l’approche trop étroitement comptable des politiques d’ajustement structurel du FMI, il combinait une vision économique et une vision sociale du rôle d’un leader. »

    Jean-Marc Daniel, professeur d’économie à l’ESCP-Europe

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *