Il m’est arrivé un truc pas banal. Je somnolais dernièrement dans mon jardin, bercé par la brise d’été et, peut-être suite à une conséquence inattendue du changement climatique ou alors simplement à cause d’une perturbation cosmo-tellurique dont les terres bretonnes ont le secret, j’ai eu l’impression de soudainement me retrouver en un tout autre lieu, en un tout autre temps.
Imaginez mon étonnement : revêtu d’une sorte de toge de lin, je me retrouvais à participer à une docte assemblée où siégeaient des hommes à la capillarité très frisotante. Je compris bien vite qu’il s’agissait d’une réunion du PS (Parti Sumérien) qui se penchait sur un sujet fort déconcertant.
Un orateur qui semblait passablement agité s’adressait à l’assemblée et à son radieux président Gilgamesh (on parlait alors plutôt de roi de la cité, mi-homme mi-dieu…). Il tentait de défendre une idée totalement nouvelle, à savoir l’utilisation de symboles en forme de bâtonnet pour stocker de l’information dans l’argile.
C’est merveilleux disait-il, la connaissance ne sera plus tributaire de la fiabilité de la mémoire des hommes, on pourra la graver dans l’argile, la dupliquer et ainsi propager le savoir au plus grand nombre. Jamais l’homme n’aura été aussi savant dans toute son histoire ! On pourrait même oser imaginer des lieux où serait déposé cette fantastique somme de savoir. Et je rêve du jour où en plus d’accéder à la connaissance, un outil nous aidera à mieux réfléchir !
Mieux encore, on pourra stocker tellement d’informations, que nous serons en mesure d’élargir notre vision du temps, de développer de façon merveilleuse notre production de poteries et conclure par écrit des accords avec d’autres cités distantes de plusieurs collines !
Nos lois pourront être écrites pour être mieux appliquées en tout lieu, elles seront en détail connues de tous.
Et combien d’autres merveilles seront-elles permises par une telle invention !
J’observais cependant du coin de l’œil une partie de l’assemblée qui ne semblait guère goûter cet enthousiasme.
Fariboles & rêveries de gamin ! répondit un chevelu échevelé. Le savoir ne peut et ne doit être conservé que dans l’esprit des érudits de la cité.
L’outil ne peut supplanter l’homme, il en est ainsi depuis l’origine des temps.
Et qu’arriverait-il si chacun devenait savant et était libéré des saines contraintes du labeur ? Car nulle doute que votre invention en changeant la façon d’échanger et de travailler aurait de graves répercutions sur notre économie et notre société.
Lorsqu’ils sont libérés des contraintes de leurs besoins fondamentaux, lorsqu’ils ont acquis la connaissance, lorsqu’ils peuvent échanger autant qu’ils le veulent, les peuples rejettent l’ordre établi pour en demander un meilleur.
Hérésie, blasphème, qu’on lui coupe la tête !
C’est alors qu’une prune trop mure m’est tombée sur le nez et m’a sorti de mon rêve. Après m’être débarbouillé, je me suis précipité sur mon ordinateur pour vous narrer mon aventure.
Ah, n’est-il pas merveilleux de disposer de toutes ces ressources numériques (dont beaucoup sont gratuites ce qui les rend accessibles à tous ?
N’est-il pas extraordinaire d’avoir un moyen de produire et de partager si facilement la connaissance ? Sans compter qu’aujourd’hui, la résolution de nombres de problèmes est devenu facile avec l’aide de l’espace numérique alors qu’ils auraient pu rester insolubles sans !
Quelle chance ont nos enfants de pouvoir se dire que tout le savoir qu’ils n’auront pu acquérir à l’école est à portée de main. Quelles merveilleuses opportunités ont nos entrepreneurs de voir s’ouvrir un espace économique au-delà de l’horizon.
Et en plus, contrairement à ma rêvasserie sumérienne, notre élite est maintenant prête à accompagner le changement. Enfin je crois.