Une fois n’est pas coutume, je me repose cette semaine sur un article publié par mon camarade Arthur Colin sur agoravox.  Nous n’avons pas été bon aux élections européennes mais notre combat de  tous les jours continue. Bonne lecture et merci à Arthur.
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Le feuilleton le plus exaltant de l’été : la  reconduction de Barroso dans son fauteuil. Indécision, trahisons,  calculs, incompréhension, et l’Histoire qui se fait à petits pas en  toile de fond. Bien entendu, ceci ne se fait pas aux heures de grande  écoute dans les grands médias : le public a eu sa ration d’Europe  pendant les élections sans doute.
Une des questions chaudes de la précampagne fut la  candidature Rasmussen à la tête de la Commission, en cas de victoire de  la gauche. Daniel Cohn-Bendit pour Europe-Ecologie avait soutenu cette  perspective, et François Bayrou pour le PDE également in fine. Faute  d’accord en son sein (le Portugal, l’Espagne et les Anglais manquant à  l’appel), le PSE avait fait silence sur la question, silence auquel le  PS français avait fait un écho profond. Puis sont tombés les résultats  des élections, et Sauvons l’Europe qui avait préparé une tribune en ce  sens l’a rangée dans ses cartons. De même, les     nombreux sites appelant à son     remplacement ne connaissent plus guère d’activité depuis le scrutin (sauf…).

Barroso, prédésigné par les chefs de gouvernement, avait  donc le champ libre. Restait une question angoissante : devait-il être  désigné tout de suite dans le cadre du Traité de Nice, avec un simple  vote du Parlement le 15 juillet, ou devait-on laisser la Commission  actuelle perdurer le temps que rentre en force le Traité de Lisbonne, et  faire sanctionner dans un débat par le Parlement le renouvellement du maoiste portugais en  octobre ? Barroso lui-même faisait campagne activement pour la première  option, allant jusqu’à théoriser en essence de l’Union européenne la  méthode du compromis, ce qui signifiait que les affrontements politiques  devaient être cantonnés au Parlement mais ne pas déborder au sein de la  Commission. La clarté du résultat électoral a pourtant semblé déblayer  cette question, restreignant l’effet pratique attaché à la possibilité  de choix du Parlement, et Barroso a pu se permettre de réitérer sa  position lors de sa désignation, excluant l’affrontement politique de la  Commission – c’est-à-dire de la conception de la politique européenne.

Une candidature Rasmussen demanderait en effet l’union  de tous les socialistes et des forces de gauche, le soutien de tout  l’ALDE et une neutralité des souverainistes. Autant dire que Barroso  disposait d’une base très favorable pour constituer sa majorité. Il lui  suffisait, comme dans tout dispositif parlementaire classique, de  s’attacher les éléments les plus faibles de toute autre coalition  potentielle. Les socialistes Espagnols, Portugais et Grands Bretons,  après leur première prise de position en sa faveur, pouvaient  difficilement se rétracter sans mettre en péril les relations de leurs  pays avec la future commission. Rasmussen s’est donc de fait retiré de  la course en publiant une tribune reconnaissant – et déplorant – la victoire de la droite.
Une candidature centriste devenait alors plus  dangereuse. On se remettait à parler de Guy Verhofstadt, mais surtout le  PDE avait sorti le nom de Mario Monti du chapeau. Celui-ci s’était  alors fendu d’une longue     interview dans le Monde,  pour expliquer que bien sur il n’était candidat à rien, mais que son  opinion détachée des choses de ce monde était que l’Europe devait  rééquilibrer sa politique vers le social et que si le Président de la  Commission doit refléter l’équilibre du Parlement (un centriste, par  exemple ?), il n’en va pas de même des autres membres. Pour conjurer le  danger, Barroso proposa informellement de nommer Graham Watson à la tête  du Parlement européen, ce qui était de nature à enlever les hésitations  de l’ALDE.
L’affaire étant pliée, Barroso s’est offert le luxe de  s’essuyer les pieds sur le Parlement, de se faire prédésigner par les  chefs d’Etat et d’oublier Graham Watson pour laisser le PPE et  l’APSD(PE) conclure un accord technique sur une présidence tournante du  Parlement (Jerzy Buzek pour les premiers, Martin Schulz pour les  seconds).

Cependant, la nomination de Guy Verhofstadt à la tête du  groupe ALDE, et à l’unanimité, a changé quelque peu la donne. Barroso  lui avait été préféré en 2004 après un veto de Tony Blair, qui le  jugeait trop fédéraliste. Le titre de son dernier livre est : « Sortir  de la crise : comment l’Europe peut sauver le monde », tout un  programme ! S’ensuit un fort débat au sein de l’ALDE, pour savoir si la  nomination de Barroso doit être validée le 15 juillet, ou plutôt en  octobre (les français poussent beaucoup pour la seconde solution). Faute  d’accord, Guy Verhofstadt a obtenu l’unanimité sur le compromis  suivant, pour sauver l’influence politique du Parlement : les  gouvernements doivent désigner officiellement leur candidat, et plus  seulement le prédésigner, un mémorandum de l’ALDE lui sera adressé sur  une feuille de route pour sortir de la crise (on peut appeler ça un  programme de gouvernement) et Barroso devra produire son propre  mémorandum pour discussion au Parlement. A défaut, l’ALDE refusera une  nomination le 15 juillet. Or répondre à ces conditions dans les quinze  jours est bien évidemment impossible et la question se trouve ainsi  tranchée en fait, et une majorité négative ALDE / EE / APSD / GUE est  apparue pour empêcher la désignation de Barroso en juillet.
Peu commenté en tant que tel, cet évènement a eu en  pratique un impact considérable sur l’équilibre des institutions, et le  modèle politique de l’Union a irrémédiablement changé. La question de la  désignation du Président de la Commission a irrigué toute la campagne  au niveau des responsables politiques (mais pas pour le bon peuple), et  Barroso a été contraint de prendre avec les députés des contacts qui  ressemblent à s’y méprendre à ceux d’un premier ministre potentiel  cherchant à se constituer une majorité dans un parlement incertain.  Lisbonne n’est pas encore entré en vigueur, mais dans l’esprit des  politiques européens il est sans doute déjà dépassé par une réelle  conscience de majorité parlementaire et de responsabilité ministérielle,  même si celle-ci n’est pas encore explicitement énoncée. La  prédésignation officieuse de Barroso n’est pas un diktat des  gouvernements, c’est simplement la conséquence tirée de la situation  sortie des urnes.
Barroso a donc préparé pendant l’été un programme de gouvernement à présenter début septembre aux groupes politiques, dans lequel il  renie en grande partie ses positions de campagne, notamment sur le rôle  du Parlement européen et surtout sur l’accroissement de la régulation  financière qu’il répudiait encore il y’a trois mois à peine. Passant sur  son bilan et cherchant le consensus le plus large possible, il propose  ainsi une Europe plus libérale, plus sociale (et plus individuelle) et  plus verte, régulant mieux les secteurs clés mais diminuant la  contrainte bureaucratique, accroissant l’intervention européenne pour  sortir de la crise, mais sans augmenter ses pouvoirs, ses compétences ni  son budget. La qualité de ce document a produit le consensus inverse,  au point que le nom de François Fillon a commencé à se répandre  sérieusement au sein du PPE.
Il s’est lancé dans une série de grands oraux devant  chaque groupe politique, l’accueil le plus chaleureux lui ayant été  réservé par les eurosceptiques britanniques. Jean Luc Mélenchon en fait  un compte rendu détaillé pour la GUE. Cet épuisant marathon nous amène au vote d’hier.
Souvenons-nous que l’ALDE avait empêché un vote sur la  reconduction de Barroso en juillet, mais qu’en était-il de la suite ?  Attendrait-on l’entrée en vigueur éventuelle du traité “simplifié” ? Ou  pas ? Ici, un superbe pataquès à compter dans les annales du  parlementarisme. En effet, la conférence des présidents de groupe s’est  réunie le 10 septembre, afin de fixer l’ordre du jour à venir ; chaque  président disposant d’un nombre de voix proportionnel aux membres de son  groupe. Or le “front” anti-Barroso n’a tout simplement pas existé ! Non  pas que certains se soient rendus à sa reconduction, mais simplement  que faute de s’être simplement parlés, leurs initiatives ont été  contradictoires.
Les socialistes, tout d’abord, ont demandé un report du  vote. Pas de majorité. Les verts ensuite, plus fins, ont proposé la  prolongation de la commission actuelle jusqu’à octobre. Pas de majorité.  L’ALDE, plus fin encore, a proposé deux votes successifs, sous le droit  actuel puis le cas échéant sous le traité de Lisbonne. Pas de majorité.  Quant à la GUE (Front de gauche), elle s’est… abstenue !!! Dans la  meilleure tradition de l’antiréformisme, la GUE étant opposée au Traité  de Lisbonne a refusé de sembler l’entériner en demandant qu’il régisse  la désignation du nouveau président de la Commission.
Prévu mercredi 15 septembre, ce vote à la majorité simple ne promet guère de suspense…
Et voilà comment on reprend le même et qu’on recommence.