Le temps de l’e-militant

L’ifop a publié il y a quelques temps une étude sur la campagne électoral sur le net pour la présidentielle 2007 (échantillon de 1004 internautes représentatifs, enquête réalisée entre le 23 et le 26 octobre 2006).

Les résultats

Deux tiers des internautes se disent intéressés par l’e-campagne, mais près de la moitié s’en disent non satisfaits (46% contre 27% de satisfaits). Cette (in)satisfaction est très inégale en fonction des préférences politiques. Les internautes socialistes s’estimant eux satisfaits à 46%.
On peut tenter ici une analyse. L’approche UMP de l’e-campagne a été plutôt encadrée (kit internet de campagne, portails, … par exemple) alors que l’approche au PS (hors Désir d’avenir peut-être) a été beaucoup plus autonome et permettant des créations spontanées pour un événement (DSK à la Rochelle) ou originales ( Vlog politique, la web TV de DSK).
Une première hypothèse pourrait être de dire que les internautes acteurs ressentent une plus grande satisfaction que les internautes colleurs d’affiche, voir trolls.

Ph. RIS

Aller sur le site d’un parti n’intéresse jamais 64% des internautes, visionner une interview politique jamais à 70%, visiter un blog politique encore moins à 72%. Quand aux argumentaires et autres tracts, 78% n’en veulent vraiment pas !
De façon lapidaire, on peut constater que sur le web, on aime discuter politique mais pas dans un cadre politique avec des politiques ! La liberté de ton est recherchée sur les blogs politiques (56%) ainsi que les infos inédites (42%).

40% des internautes utilisent le web comme source d’information politique, mais vont chercher cette info principalement sur les sites institutionnels de la presse écrite ou radio. Internet semble donc réaliser une synthèse entre facilité d’accès, disponibilité lorsque le besoin se fait ressentir et pérennité (mémoire).

La confiance dans ce qui est diffusé par le web semble faible 21%, la télévision étant privilégiée. Ce résultat me semble surprenant et à contre-courant du fantasme très répandu “on nous ment, la vérité est ailleurs”. A voir…

Le web semble un moyen de se réapproprier sa citoyenneté : 46% des internautes disent avoir une activité politique par ce moyen, mais ce citoyen est plutôt un homme qui a passé la trentaine, éduqué (61% ont au minimum le bac), et plutôt à gauche.

Conclusion

Internet élargit l’agora politique et comble une partie du fossé entre l’élu et l’électeur, probablement parce que le citoyen peut se réapproprier une partie du débat politique en se transformant en militant. Une partie de ces e-militants se sont effectivement mués en militants au sein des grands partis, mais il n’est pas sûr que les deux populations se fondent totalement l’une dans l’autre.
– pour des raisons de temps : une simple réunion dans le monde « solide » nécessite des heures alors qu’un échange sur internet touche beaucoup plus de monde en beaucoup moins de temps
– pour des raisons de psychologie : tous les citoyens ne sont pas des orateurs d’exception, des extravertis prêts à sillonner tous les marchés de France
– pour des raisons de liberté : il y a un gouffre entre la formation et l’encadrement militant au sein d’un parti et la liberté quasi totale de l’internaute.

Enfin, si le web donne un nouveau souffle à l’expression citoyenne, elle ne permet pas encore de guérir les maux de notre démocratie, et elle n’est pas majoritaire, c’est à dire capable à lui seul de faire basculer une élection (par contre, internet a sans doute joué un grand rôle pour l’organisation et le déroulement des primaires PS) :
– les classes habituellement défavorisées restent pour l’instant coincées sur le login d’accès à l’agora
– on voit déjà poindre des possibilités de manipulation hoax, marketing viral politique, invasion de trolls, spam, …)
– le web n’a pas encore assez de force pour contrecarrer fortement les manipulations classiques, mais il a un incontestable rôle d’éducation et de vigilence.

Arrêt de l’aventure

Rien n’y a fait, le marketing a été plus fort que la réflexion et la conviction, cette fois encore. Les militants socialistes ont choisi le changement dans la continuité : une candidate énarque qui succède à un candidat énarque pour éventuellement être présidente à la place d’un président énarque. Changement dans la continuité de l’organisation du PS aussi puisque presque tous les barons du socialisme et l’appareil s’étaient rangés derrière “la favorite des sondages”. Changement dans la continuité enfin, par la faiblesse d’un programme qui se résume à prendre ses distances avec le “livre rose du PS” et à compiler les doléances en affirmant sans rire qu’il s’agit d’écouter le peuple où chaque citoyen est expert.

Où cela mènera-t-il ? On le verra bien dans les prochains mois. En attendant, les candidats de droite ne cachent pas leur satisfaction de voir la plus à droite des candidates de gauche être désignée, et les potentiels alliés de gauche se montrent quant à eux fort prudents, sinon circonspects. Un résultat cependant est acquis après cette désignation : l’espoir d’autres débats contradictoires sur les idées s’est envolé. Effort inutile lorsque le résultat peut aussi bien être fixé par sondage, sondages qui ont finalement bien mesuré les résultats de la campagne marketing, tout en l’amplifiant puisque ce marketing se nourrissait lui-même des sondages. Une sorte de machine infernale auto-alimentée en quelque sorte. Les directeurs de campagne sont désormais prévenus : l’acte de mesurer par le sondage influe directement, et principalement, sur les résultats ultérieurs. C’est presque de la politique quantique !

En attendant, la république va toujours aussi mal, la bascule démographique s’accélère, les cours de l’énergie subissent de fortes variations, et le climat exprime sa colère par des tempêtes et des innondations. Je me demande si nous avons déjà eu dans notre histoire des époques aussi peu spirituelles et autant attachées au conservatisme ?

Bilan avant l'élan

A quelques jours du vote des militants au 1er tour des primaires du PS, on peut déjà tirer certaines conclusions.

Malgré quelques lamentables essais de torpillage de ces primaires, en dépit des sondages plus ou moins orientés et des manipulations marketings, ces débats ont eu lieu, ils ont été d’une bonne tenue et ils ont effectivement fait apparaître les différences entre les candidats, tant sur le style, la méthode et la vision de ce que doit être la France.
Bilan des débats non télévisés : égalité au nombre de gagnants, ce qui est normal vu que chaque débat non télévisé l’a été dans des conditions qui ont alternativement avantagé chacun des candidats. MSR a cependant été plus souvent “perdante”.
Bilan des débats télés : deux débats en faveur de DSK, un légèrement pour LF.

Le vrai résultat est finalement illustré par les débats télés et deux alternatives politiques se sont faites jour : soit on garde les idées socialistes “classiques”, soit on innove et on s’adapte à la nouvelle ère en inventant avec volonté et enthousiasme un avenir social démocrate. La troisième candidature apparaissant définitivement comme celle de l’émotion et du refus, avec des points étrangement communs au TCE : la raison sait que ce n’est pas la meilleure solution, si ce n’est la pire (d’où les étonnants appels à la rescousse d’un DSK premier ministre), mais l’émotion et le déni du changement ouvrent une fois encore la voie de la tentation destructrice.
Les commentateurs politiques nous annoncent que, finalement, ces débats n’ont pas beaucoup fait “bouger les lignes”. Ont-ils raison ou pas ? Doit-on attendre le résultat du vote pour le savoir ? En fait, il existe pas mal d’éléments qui semblent indiquer que ces “lignes” ont profondément évolué.

D’abord des éléments indirects comme le fait qu’aujourd’hui, la perspective d’un second tour est envisagée par tous, alors qu’il y a encore un mois, ce n’était qu’une hypothèse technique. Il y a ensuite les fameux sondages. J’ai largement combattu les conclusions de ces sondages et les manipulations qui y étaient généralement attachées : trop d’incertitudes méthodologiques, des extrapolations très hasardeuses à partir des résultats. Les sondages mesurent objectivement la notoriété (le buzz) et de façon indicative une tendance : ces deux aspects sont des éléments acceptables de réflexion. En aucun cas, ces sondages ne sont en mesure de prédire à eux seuls le résultat des primaires.
Et aujourd’hui, où en est-on ?
Laurent Fabius a une notoriété inférieure à ce que représentait son courant au dernier congrès mais il est en légère progression.
Dominique Strauss-Kahn a vu sa notoriété se rapprocher sensiblement de celle de MSR, sur un rythme rapide et continu, au point de la rejoindre pour certains sondages et de la dépasser largement sur internet.
Enfin, Marie-Ségolène Royal, elle, est en chute importante sur ces dernières semaines.
Faible dynamique positive pour LF, bonne dynamique positive pour DSK, forte dynamique négative pour MSR.

Si ces tendances sont exactes, les primaires devraient donner un second tour, et il n’est pas sûr que MSR arrive devant DSK au premier tour. Par ailleurs, si les sondages avaient été entachés d’un trop fort niveau d’erreur (impossible de sonder les militants et pas de référence pour faire des ajustements), il est même possible que Laurent Fabius soit au-delà de ce qui est mesuré et passe lui aussi devant MSR. Ce dernier point est cependant très spéculatif.
Dernier élément de tendance : je mesure depuis des mois la notoriété des candidats sur internet et dans les articles de presse. Or, sur google, on constate un effondrement de la notoriété de Royal ces dernières semaines. Et chose étonnante, cet effondrement est parallèle à l’effondrement de la notoriété de… Nicolas Sarkozy.

Popularite de DSK

Déni soit qui mal y pense…

L’élection 2007 sera sur bien des points profondément différente des trois précédentes, au minimum.

Différente parce qu’à l’exception de Jean Le Pen (c’est son vrai nom) et à moins d’une improbable résurrection de J. Chirac, nous en aurons fini avec la classe politique qui s’agrippait au pupitre depuis 40 ans. On peut parier sans grand risque que le futur président sera cinquantenaire, ce qui est aujourd’hui synonyme de jeunot…

Différente surtout parce que pour la première fois depuis plus de trente ans, nous n’avons pas le choix de l’immobilisme.
J’ai déjà exposé à plusieurs reprises les bouleversements structurels qui, quoi qu’il arrive et quel que soit le président de 2007, feront entrer la France dans le XXIème siècle avec force, sinon fracas. Fracas du choc énergétique induit par la fin, non pas des réserves de pétrole, mais d’un marché un minimum gérable (plus qu’une hausse continue, il faut s’attendre à des pics spéculatifs suivis d’effondrements puis de remontées tout aussi imprévisibles et spectaculaires, de plus en plus fortes, de plus en plus rapides). Et à la différence des précédents chocs, celui-ci aura un caractère définitif. Tout programme politique ignorant ou faisant mine d’ignorer ce problème pourra sans aucun doute être identifié comme inique ou mensonger.

La première rupture énergétique (1973) avait eu pour conséquence de nous plonger dans plusieurs décennies de chômage massif. Aujourd’hui, la nature de notre dépendance énergétique a profondément changé et la technologie est à même de pallier beaucoup des inconvénients d’un pétrole cher ; la France s’est dotée d’une énorme capacité d’énergie non pétrolière, les TIC permettent si nécessaire de s’affranchir des besoins de transport et les énergies palliatives ne demandent qu’à trouver une ouverture pour prendre le relais.
Mais si une rupture énergétique bien gérée ne devrait normalement pas induire de violentes conséquences sociales, la démographie, elle, s’en charge. La génération des papy boomers avait revendiqué avec force sa volonté de prendre à leur compte la France de leur parent pour la “libéraliser”.

L’heure de la retraite annonçant celle de l’inventaire, ils sont hélas face à un triste bilan. La France de leur jeunesse revendicative était celle des trente glorieuses, faite d’une prospérité et d’un bonheur conformiste certes, mais prospérité tout de même. La France qu’ils laissent est celle d’une prospérité menacée à la fois par les dettes sur laquelle elle a été bâtie, mais aussi par la destruction du contrat intergénérationnel. Leurs petits enfants acceptent de moins en moins ce que leurs enfants ont accepté, et on ne peut que les comprendre.
Ce changement est lui aussi inévitable : un des plus puissants verrous social va sauter, quoi qu’il arrive, mais il me semble probable qu’une source de déni du changement soit là.

Ce basculement inévitable entraîne fatalement la prise de conscience d’un bilan peu flatteur et il est psychologiquement facile alors de dire que l’on désire ce changement et de le refuser en choisissant un conservateur ou une conservatrice : le changement oui, mais pas “comme cela”, pas “pour nous”. Les institutions sont à l’agonie, mais elles sont garantes de notre système social. La France est endettée mais les retraites non financées ont été gagées sur une dette supplémentaire à venir. L’ère du pétrole s’achève mais rares sont ceux qui acceptent dès aujourd’hui de rouler avec des performances et un confort moindre.
Face à ces contradictions, nombreux sont les candidats du dénis : quoi de mieux qu’un énarque pour être sur de prolonger l’agonie de la Vème république ? Quoi de mieux que de dénoncer des éléments extérieurs tels la mondialisation pour faire l’impasse sur des problèmes qui ne concernent que nous (les retraites et la dette) ? Quoi de plus efficace pour affronter une nouvelle que le recours aux vieilles recettes ou à l’opposé à des galimatias débridés picorés çà et là dans la littérature et enrobsé par une bouffée d’émotions d’autant plus vive qu’on sait parfaitement que cela ne tient pas la route.

Et la raison, que dit-elle ? Si nous continuons à accumuler des dettes, nous prendrons le même chemin que l’Argentine il y a quelques années.
Si nous n’anticipons pas la fin du pétrole, beaucoup d’entre nous irons à pied.
Si nous ne restaurons pas des institutions saines, nous basculerons dans l’anarchie puis la dictature. Et si nous n’anticipons pas rapidement la rupture climatique, c’en sera fini d’une nation plus que millénaire. Oui, une élection bien différente en vérité. Heureusement, je suis d’une nature optimiste.

Tripode

Les primaires du PS se révèlent finalement surprenantes. Parties sur un très mauvais parfum de manipulations médiatiques (matraquage journalistique, sondages aux questions orientées de façon à donner le sens du vent, fausses pudeurs et vrai opportunisme), on arrive après 9 mois d’une course qui se voyait solitaire et un petit mois d’agitation collective frénétique, à accoucher de trois candidatures campées sur des axes marqués et bien différents. La cacophonie avait été promise, des cris et des déchirements annoncés ; au final nous voyons se profiler un débat policé avec des candidatures claires.

Quelle est la situation aujourd’hui ?

La première candidate à s’être lancée s’est depuis longtemps placée sur le registre de l’émotion, voire de l’affect populiste. Partie après les fureur des émeutes des banlieues et ayant profité de la stupeur politique qui s’en est suivie, elle s’est construite une image de proximité rassurante (rêvez et désirez un avenir sur fond de ciel bleu chers électeurs), ce qui est une belle ironie vu que la dame cultive la distance en pure énarque qui a bien du mal à se débarrasser de ses attitudes d’institutrice bourgeoise et autoritaire. Cette attitude est tout à fait en phase avec un modèle d’ordre très militaire profondément ancré dans son référentiel mental. Il est par ailleurs faux de dire que la dame n’a pas d’idées ; ses idées conservatrices (focalisées sur l’ordre, le travail, la famille, l’autorité) sont simplement en déphasage avec les idéaux du PS (la réforme, le dialogue social, les actions pour améliorer l’homme et la société, la rendre plus juste et plus égale). Ce positionnement affectif politico-médiatique est en ligne avec le nombre incroyable de votes sanctions qui ont eu lieu depuis 2002 et avec les peurs conservatrices des français.
Représentatif certes, mais il n’apparaît pas bon de l’entretenir et force est de constater qu’aucun de ces votes sanctions n’a abouti à une quelconque amélioration (ce qui est assez logique : voter “contre” ne veut pas dire voter pour un candidat de changement, et ces candidats sont persuadés que les français ne veulent rien changer, donc on ne bouge pas. CQFD). Pire, le plus sévère des votes sanctions, le non au TCE, a abouti à l’arrivée de l’archétype
de l’énarque stérilisateur au poste de premier ministre en la personne de Dominique Gallouzeau de Villepin, accessoirement camarade de promotion de la dame à l’ENA. Cette candidature est dans la stricte continuité de l’énarcratie que nous subissons depuis des années.

Le deuxième candidat est lui représentatif de la gauche conservatrice. Deuxième ironie, ce courant fut un temps suspecté de dérives économiques droitières et son repositionnement à la gauche du PS en laisse plus d’un perplexe. Mais là aussi, cet axe politique est assez représentatif d’une volonté de repli vers les bases idéologiques anciennes pour bon nombre de militants déboussolés par les expériences passées et surtout par un avenir dont on ne sait rien, sauf qu’il promet d’être totalement différent du monde d’aujourd’hui (fin du pétrole, bascule démographique, rupture climatique). Dans ce contexte et dans une France politique qui a perdu ses repères, la gauche de la gauche hésite entre des références pures et dures au marxisme (difficile vu que l’image du barbu allemand a été largement dégradée par celle du petit père des peuples), un conservatisme réactionnaire tourné vers des racines “terriennes” (soyons alter-mondialiste et mangeons bio), ou un communisme à la française en panne de perspectives et de renouvellement (le tee-shirt Che Guevara est toujours plus accrocheur que le “marcel” Marchais relooké en facteur).

Enfin, dernier candidat en lice, Dominique Strauss-Kahn est lui représentatif d’une gauche réformiste sociale démocrate. Troisième ironie de l’affaire, de Delors à Jospin en passant par Rocard, la sociale démocratie largement représentée en Europe et même présentée en modèle (dans les pays scandinaves en particulier), a toujours été en France un objet de curiosité plutôt que la mise en œuvre d’un projet de gouvernement ; il a fallu à Jospin l’incroyable épisode de la dissolution (fruit d’un explosif brain-storming Chirac-D2V) pour arriver par “hasard” à Matignon. Or là aussi, cet axe politique est totalement en phase avec les besoins profonds (sinon impérieux) de réformes et DSK a l’avantage d’offrir la seule candidature fondamentalement réformiste pour ces primaires PS.

Le choix au PS est donc devenu très simple et il est en phase avec trois types d’aspirations : conservatisme populiste, conservatisme historique, réforme sociale démocrate. Et dire qu’on nous a expliqué pendant 10 mois que tout était plié, qu’il n’y avait qu’un seul choix, que le débat, les idées et les projets ne servaient à rien ; dernière ironie de l’ouverture de ces primaires…

Au fait, le tripode est la structure politique la plus instable qui soit…

DSK, un choix citoyen pour 2007

A 38 ans j’ai décidé pour la première fois d’adhérer à un parti politique.
Difficile de dire s’il s’agissait d’une plus grande conscience citoyenne après la naissance de mes filles ou d’une plus grande facilité à sauter le pas grâce au web, toujours est-il que j’ai décidé de passer du statut de râleur au café du commerce à celui de citoyen engagé.

Engagé certes, mais certainement pas entraîné dans un culte de la personnalité ou une illusion collective sans lendemain. La citoyenneté exige la raison, elle implique la critique, aussi bien de ceux qui concourent à une élection, que de soi-même vis à vis de ses choix lors des élections précédentes. Nous avons les élus que nous méritons puisque nous les élisons !

Les choix passés, ce sont ces élections sanctions qui ont à répétition dit non à une classe politique composée d’aristocrates républicains, l’énarcratie, mais qui n’ont abouti qu’à remplacer un de ces aristocrates par d’autres grâce aux manipulations marketing et à la peur du changement, puissant levier aussi vieux que la politique…

Mon choix pour l’élection à venir n’a finalement pas été très difficile. Combien ont clairement désigné le système de pensée de l’ENA comme la cause des maux de notre république déliquescente ? Combien ont gardé une aura de leur passage à un ministère ? Combien ont un bagage intellectuel suffisant pour parler avec les plus grands esprits de ce monde ? Combien ont un engagement militant ayant prouvé leur attachement à une société plus juste ? Combien ont prouvé leur volonté de réforme au lieu de renoncer encore et toujours ? Combien sont capables de diriger le bateau France qui devra fatalement affronter des tempêtes et des cyclones qui s’appellent bascule démographique aves ses impacts sociaux, rupture énergétique avec ses impacts économiques mondiaux, rupture climatique avec ses impacts sur notre survie même ?

J’ai trouvé un nom, un programme, une vision. Ils peuvent être résumés en trois lettres : DSK. Alors voilà, pour que mes filles ne vivent pas, dans quelques années, dans un monde en guerre inter-générationnelle, pour qu’elles aient encore la possibilité de voyager et d’aller voir leurs grand-mères en Bretagne ou Franche-Comté, pour qu’elles n’assistent pas à la fin d’une nation anéantie par un bouleversement climatique non anticipé, j’ai décidé de faire confiance à Dominique Strauss-Kahn.

Vide de sens

J’ai lu à de maintes reprises sur des blogs politiques des commentaires du genre : “les programmes politiques ne servent à rien”, “il faut être naïf pour croire aux idées en politique”, “la vision politique cela n’existe pas”. Il est étrange de constater que ces commentaires définitifs font écho à ceux d’il y a quelques mois qui disaient eux, “la gauche et la droite c’est pareil”, “non à la pensée unique”, “ils gouvernent au jour le jour”. J’ai beaucoup de mal à comprendre comment on peut à la fois être aussi inconstant et incohérent.

Est-ce la faute à une offre insuffisante ? Je ne le crois pas car des hommes politiques tels que F. Bayrou ou D. Strauss-Kahn (pour ne citer qu’un exemple droite / gauche) montrent qu’ils ont des convictions appuyées par une analyse transfomée en vision politique. Tout citoyen pourrait donc juger en fonction de ses convictions et aspirations lequel est le plus porteur de ses espoirs, lequel répond le mieux aux critiques qu’il formulait il y a quelques mois. Mais cela ne se passe pas ainsi. De tels candidats bénéficient généralement d’un certain respect (chose rare en politique), mais le citoyen du café du commerce semble basculer dans un état second stimulé par l’agitation médiatique. On commente la sortie du bain de mer de celui-ci, la couleur du maillot de bain de celle-la, du coup de pagaie de tel autre, du passage chez le disquaire de ce dernier, et l’on s’entredéchire allègrement à coup d’arguments vaporeux sur son président idéal, icône merveilleuse chargée de terrasser les faux dieux représentés par les “autres”. Le plus petit incident, aussi banal soit-il, devient alors la source d’un débat enflammé ou peu de citoyens reculent devant un argument qui en d’autres circonstances serait l’objet d’un éclat de rire salvateur. La bataille devient à la fois crutiale et menée sur du vent.

Le mariage pris aux mots

Signe des temps, après la fête de la musique et celle du cinéma, notre société s’est créée un rendez-vous annuel de plus : une journée identitaire homosexuelle, ou plus précisément pour une certaine variété sexuelle.

Peut-être cette journée serait-elle restée anecdotique si elle n’impliquait pas une évolution des lois, ou plus exactement, une évolution des repères de la société. Et du coup, tout homme ou femme politique s’est senti le devoir d’affirmer sa position, soit ancrée de longue date, soit mue par le besoin d’afficher un visage ouvert à un électorat non négligeable, quitte à faire quelques cabrioles avec la cohérence de ses idées.

Mais au-delà du yaourt politique, quel est le fond de cette évolution ?

D’abord, je crois que l’orientation sexuelle a gagné son droit à l’indifférence, ou est en voie de la gagner. Non pas que les discriminations ou vexations aient disparues, mais simplement qu’elles tendent à être du même (bas) niveau que celui du rejet “ordinaire”, racial, religieux ou ethnique. Stupidité primaire de ceux qui ne supportent pas leurs voisins et trouvent le
premier argument débile pour exprimer leurs frustrations. Passons.

Ce qui est recherché aujourd’hui, c’est une nouvelle reconnaissance sociale du foyer, quel qu’il soit. Et c’est là que les choses deviennent plus compliquées, et intéressantes.

Le PACS avait pour objectif de redéfinir administrativement ce que l’état reconnaissait comme foyer ; la demande est aujourd’hui la reconnaissance sociale de ce même foyer : son fondement, sa symbolique et ses implications.

  • Le fondement, tel qu’il apparaît revendiqué par la communauté homosexuelle et au-delà, est l’amour entre deux être, sans considération du sexe. Il faut être deux, s’aimer de façon stable et vivre ensemble pour être accepté comme uni. Il faut remarquer au passage que loin d’être progressiste, c’est une conception conservatrice, très romantique XIXème siècle et que le débat évite soigneusement la question de la polygamie ou la polyandrie qui ne sont pourtant pas que des sujets de vaudeville et dont la reconnaissance bouleverserait la société bien au-delà du fait homosexuel…
  • La symbolique est celle de la cérémonie de mariage. Une candidate à la présidentielle s’est étonnée que ce symbole “bourgeois” soit revendiqué comme un signe de progrès social : pourquoi ne pas s’en tenir au PACS ?
    Simple preuve de son incompréhension de la société dans laquelle nous vivons. Le
    PACS, avec son côté exclusivement contractuel et administratif, se rapproche encore plus de l’union bourgeoise (faite pour préserver le capital familial) que le mariage avec son romantisme, sa symbolique amoureuse, sa symbolique républicaine avec la déclaration solennelle du maire en salle des mariages, et ses codes du bonheur (la robe, le bouquet, la fête, etc…).
    Même si tous ces symboles ne peuvent être systématiquement repris pour les unions LGBT, ils sont présents dans les esprits. Aspirer à cela n’a donc rien d’étonnant !

Si l’on s’en tenait là, les choses pourraient être réglées assez facilement. Mais voilà, en commençant mon post, j’ai parlé de foyer, en passant à la symbolique, j’ai écrit mariage. Et si le mariage paraît quelque chose de simple à définir, on s’aperçoit assez vite en confrontant les points de vue, qu’il recouvre des éléments totalement différents selon les personnes : union, patrimoine, sexualité, patronyme, symbole, religion, citoyenneté, loi, enfant, … Et l’élément le plus déterminant est probablement l’enfant car c’est celui qui a le plus d’implications sociales.

L’argument utilisé pour décorréler mariage et enfant est qu’une bonne proportion d’enfants naissent hors mariage ; à partir de là, il en découlerait que l’enfant n’est plus un élément discriminant et que l’on peut utiliser ce mot mariage comme terme générique fondateur du nouveau foyer. Or, même si je n’ai aucune difficulté à donner un droit et une reconnaissance symbolique sociale aux unions LGBT, je refuse que l’on m’ôte ce symbole à moi et à tous ceux pour qui l’enfant est un des piliers de leur union (ce qui au passage n’exclus pas les mariages lesbiens, la dissymétrie est complexe en la matière).

Pour se sortir de cette situation, je crois que retenir les termes d’union civile ou républicaine pour la reconnaissance sociale des unions, quelles qu’elles soient, est un bon compromis, et que le statut des couples “féconds” soit reconnu à travers le mariage comme un élément supplémentaire, souhaité et favorisé par la république car indispensable à la nation. Là serait sans doute l’évolution profonde et sereine.

Finalement, ce problème de société en cache bien deux, biologiquement corrélés : l’union et l’enfant. La société peut évoluer sans problème sur le premier, mais doit protéger le statut du second, aussi bien sur la loi qu’au niveau de la symbolique sociale.

Bouffonnerie

Fin juin, la candidate à la présidentielle Marie-Ségolène Royal s’est faite entartée (avec un fraisier). D’abord, je dois bien avouer avoir mesquinement souri en regardant les images de l’épique escarmouche rochelaise ; le spectateur se laisse facilement aller à rire de ces gamineries surtout lorsqu’elles touchent une icône, qui plus est, politique. Pour justifier son geste (non prémédité selon son auteur Jonathan Joly), ce dernier a déclaré :

Complexée, sourde, hypocrite et démagogue dans sa globalité, la gauche plurielle est portée par un électorat qui tend à sombrer dans la déprime et la désillusion . Et je suis de cet électorat désabusé qui prend aux mots le slogan de “démocratie participative”.
L’entartage est à ce titre une opération qui demande des comptes à la caste politicienne et la désacralise ou s’efforce d’être perçu comme tel.

Marie-Segolène Royal entartée

Passé l’instant de rigolade facile, je me suis fait la réflexion que sans le oueb (je suis tombé par hasard sur la vidéo), je n’aurais peut-être jamais eu vent de l’histoire. Qui plus est, j’ai appris au passage que le ministre de l’intérieur avait subi également le même sort auparavant.

Non seulement ces deux icônes de la politique ont une énorme capacité à occuper le terrain médiatique, mais en plus, elles réussissent manifestement bien à censurer ce qui peut nuire à leur image. Ceci en dit définitivement long sur l’objectivité journalistique (alors que je me souviens avoir vu les entartages de BHL ou de Bill Gates à la télé…). Mais passons sur le triste théatre médiatico-politique.
Le plus important, c’est le fond, du fraisier, de l’affaire et du gouffre. Comment en est-on arrivé à ce point de délabrement pour que la politique ne soit plus qu’une bouffonnerie ? Comment des hommes et des femmes politiques peuvent-ils continuer à croire que faire de la politique c’est faire du marketing vide de contenu, c’est surfer sur l’air du temps sans porter de message, d’idée, de vision ? N’avoir à la télévision qu’une posture, une gestuelle, une image ? Que faut-il encore de plus pour que cela cesse ? Cet épisode a priori si anecdotique (sauf pour les intéressés), en ajout de toutes les dégradations de nos institutions, de notre respectabilité internationale, nous mène au pire des chaos, celui généré par le ridicule, la perte de considération pour notre propre identité. Imaginez-vous un président ou une présidente accueilli(e) à un sommet international et raillé(e) comme un tartuffe entartée ! On nous regardait comme malhonnêtes, incohérents, nous voici maintenant risibles et pathétiques.

A ma liste de critère pour l’élection de 2007, je vais ajouter que le président devra posséder une aura naturelle de respectabilité et d’autorité.

L’envers de la vision future du passé

Connaissez-vous les aymara ? Ce peuple d’Amérique du Sud, outre son goût particulier pour les chapeaux, possède une particularité psycho-linguistique unique :
il rattache le passé à ce qui est vu et le place donc naturellement devant eux, alors que le futur est pour eux situé derrière eux car demeurant invisible.

Evidemment, avec une telle spatialisation du temps, difficile de leur faire croire qu’aller de l’avant est source de progrès et qu’il faille tourner le dos à ses erreurs pour ne plus les commettre.

Et connaissez-vous les français ? Ce peuple d’Europe de l’ouest, outre son goût particulier pour la linguistique,
semble également affecté d’un problème de spatialisation de son destin.
En effet, depuis quelques dizaines d’années, il semble avoir une vision circulaire du passé et de l’avenir.
Analysant leurs problèmes, chacun des français se déclare prêt à aller de l’avant, décidé à quitter leur état, mais, devant passer à l’action, ils en viennent invariablement à réutiliser les mêmes rhétoriques, à voter dans le sens d’un faux changement qui reconduit les mêmes modèles, à voter pour une alternance mais en choisissant ceux qui ne changent rien, ceux qui reconduisent le système et la stagnation qui va avec.

Entre la peur de changer et l’impérative urgence du changement, ce peuple semble pris d’une frénésie d’oscillations qui annule toute possibilité d’avancement.

Changer c’est certes pas aisé, mais une fois reconnue l’impossibilité de ne pas le faire, le mieux est de se décider pour quelqu’un donnant le maximum de garanties pour conduire ce changement. Lorsque l’on ne prend pas le chemin du changement maîtrisé, on se dirige à coup sur vers la rupture subie.

Mais est-ce une question de mauvais choix ou d’absence de choix ?

Si l’on s’en tient à l’offre politique en tant que partis, on peut se dire qu’il s’agit d’une absence de choix puisque cette offre est figée depuis l’alternance miterrandienne, avec un bloc à droite (allié ou pas en fonction des rapports de force) et un bloc à gauche (qui se présente plus systématiquement comme allié mais avec une cohérence peu évidente en général).

Si l’on regarde l’offre en tant que candidats, là on constate que, bien que souvent peut différenciée, nous avons vu passer des candidats “plausibles” avec un bagage intellectuel “différent”. Un choix raisonnable différent nous a été présenté presque à chaque présidentielle. Hélas, ces choix différents n’ont jamais été plébiscités par les français, qu’ils se soient appelés Barre, Rocard ou maintenant Strauss-Kahn. Etrange ce phénomène qui fait que des hommes
indiscutablement reconnus comme compétents et rigoureux n’arrivent pas à briser notre vision circulaire du destin. Etrange cette façon que nous avons d’apprécier le yaourt politique à la place d’une vision constructive de demain. Etrange cette paralysie de l’intelligence et de l’instinct de survie dès que nous nous retrouvons dans un isoloir…