Presque un an

Francois-HollandeIl y a un an, nous étions dans l’entre deux tours de l’élection présidentielle. Beaucoup de choses ont été faites en un an. Cette semaine a d’ailleurs vu l’aboutissement d’une des grandes réformes sociétales avec le mariage pour tous, et pourtant mon sentiment est que l’essentiel n’a pas encore été atteint.

Les dégâts cumulés de 10 ans de gouvernement de droite et de presque quatre ans de crise financière puis économique n’ont pas été réparés. À peine la dégradation a-t-elle été endiguée. Dans de telles conditions, il n’est pas étonnant que les Français ne se satisfassent pas de l’action gouvernementale.

Que faire alors pour les mois à venir ? Au-delà des incantions plus ou moins intéressées, il semble clair qu’un nouveau train de mesures s’impose, à la fois pour redonner un peu de souffle à des Français dont certains sont à la limite de l’apoplexie mais aussi pour adapter notre pays, enfin, aux bouleversements extraordinairement profonds qui nous touchent. Si nos politiques ont un peu de mal à en comprendre la nature, les difficultés fiscales pourraient bien les amener à sortir des modèles de sciences-po et de l’ENA pour ouvrir les yeux sur le nouveau monde qui se construit sous nos yeux.

Comme je le disais il y a quelques temps, dans une économie de la connaissance, il est inefficace de taxer des biens matériels dont la valeur monétaire chute. Dans une économie dématérialisée, il est inefficace de taxer les flux matériels. Dans une économie basée sur des mécanismes de gratuité, il est inefficace de taxer la valeur ajoutée. Dans une économie où l’on rompt avec le modèle énergétique, il est inefficace à terme de taxer le modèle que l’on abandonne. Dans une économie où l’homme cherche à maîtriser son empreinte sur les écosystèmes il est inefficace de taxer des éléments qui ne prennent pas en compte cette empreinte (si le carbone est un élément de cette empreinte, alors le carbone doit être un coût pour ceux qui le gaspillent et un revenu pour ceux qui en font le meilleur usage). Dans une économie où l’individu acquiert des capacités jusque-là réservées aux producteurs de la vieille économie, il est inefficace de continuer à baser la majorité de ses revenus fiscaux sur un modèle qui s’étiole.

Société et économie de la connaissance, société et économie numérique, société et économie en équilibre avec les écosystèmes, société et économie post-pétrole, société et économie des nouveaux individus et acteurs économiques, rien ne ressemble à ce qu’un gouvernement a pu connaître. Il est temps d’être aussi audacieux en ce domaine que nous l’avons été pour le mariage pour tous.

Courage et tenacité !

marianneJe ressens comme un gros flottement au sein de la classe politique et médiatique française en ce moment, et ceci ne se limite pas au seul parti socialiste en charge de la conduite du bateau.

On s’était presque habitué à l’idée qu’un ex-président de la République puisse être suspecté d’avoir dépassé le cadre de la loi dans l’exercice de ses fonctions, ceci au nom de la zone grise de l’exercice du pouvoir. Si Sartre devait aujourd’hui récrire Les main sales, nulle doute que le fond changerait peu mais que le ressort idéologique serait plus faible, remplacé par une vision un peu vaine du pouvoir.

On s’était presque habitué à l’idée qu’une personnalité politique, ministre ou simple élu moins sous les feux de la rampe, puisse être suspectée d’avoir utilisé sa fonction pour son intérêt très personnel, tissant par la même occasion un réseau de compromissions mutuelles autour d’une bourgeoisie de l’ordinaire corruption, de la richesse d’abord mais surtout des idéaux. Le plus surprenant finalement dans des affaires comme celles de Cahuzac aujourd’hui ou de Woerth hier, n’est pas tant l’idée que ces hommes aient pu choir (ce ne sont que des hommes ! ), mais plutôt qu’ils trouvent presque normal leur comportement et qu’au lieu d’aller se cacher, amplis de honte, au fin fond du monde, ils prétendent à mener la vie qu’ils avaient avant le scandale, comme si de rien n’était.

Ce qui transparait à travers l’affaire Cahuzac, c’est qu’un homme se réclamant des valeurs de gauche est allé chercher un prête-nom du côté du FN (Philippe Peninque) et qu’en conséquence, si le gouvernement PS n’a été que tardivement informé des dessous de l’affaire Cahuzac, le parti d’extrême droite lui l’était dès le début. Quant à la droite, vu qu’elle a disposé pendant 10 ans des moyens d’investigation des services du renseignement intérieur, et surtout qu’elle avait en sa possession le rocambolesque enregistrement à l’origine de l’affaire, on peut avoir un doute légitime sur son niveau d’ignorance sur ce cas. In fine, la question inévitable qui me vient à l’esprit est de savoir si ce n’est pas l’UMP en sous-main qui a « nommé » Cahuzac aux finances après en avoir fait de même à la présidence de la commission des finances, dans le but d’avoir un moyen de contrôle sur les conséquences possibles de potentiels problèmes.

Du coup, dans ce théâtre d’ombres où tout le monde essaie de contrôler tout le monde, on s’était presque habitué à l’idée que le fameux 4ème pouvoir ne fasse des révélations que tout le monde connait déjà et limite son indignation aux indignes déjà condamnés par la vindicte populaire. Médiapart a pu nous en faire douter mais Le Monde cette semaine semble nous avoir « rassuré » avec Offshore Leaks. Ce scandale ayant été révélé au niveau mondial, il était difficile de n’en pas parler. Mais ce qui s’est passé cette semaine est particulièrement édifiant. Alors que les médias suisses, luxembourgeois et surtout belges s’emparaient assez largement de l’affaire, Le Monde s’est contenté de nous livrer le nom d’un proche de la présidence (dont le cas ne semble pas d’ailleurs être frauduleux), d’un mort qui sent bon la finance (Rothschild)  et du patron d’une PME de mode (on se demande bien pour le coup ce qu’il a dû faire pour déplaire…). Pour le reste, on attend toujours et on espère…

Mais le plus grave dans cet autisme moral ambiant, c’est qu’alors que l’État demandait au Monde de fournir des informations, ce dernier s’est drapé dans sa dignité pour refuser au nom de la protection des sources. Sans blague ! Il me semble que dans cet énorme masse de documents, un certain nombre pouvaient sans problème être communiqués sans compromettre les sources. Il me semble aussi que dans une situation où la dette accumulée devient insoutenable et que le montant de la fraude fiscale annuelle est de l’ordre de la moitié du déficit public, la question de sauvegarder (voire de restaurer !) la souveraineté de la République face aux marchés, la question de redonner un sens moral au comportement de chacun face à l’argent, devraient peser un peu plus dans la balance. Or dans l’histoire, j’ai beaucoup de mal à croire à la protection des sources et je suis par contre très tenté de croire à la protection des cibles de ce scandale. J’espère me tromper, les jours à venir nous le diront.

La capacité à supporter l’insupportable a des limites et avec la misère générée par la crise actuelle, ces limites sont atteintes. Ceci est d’autant plus vrai que cette crise a été directement déclenchée par des comportements liés à la cupidité et à une corruption de l’intégrité morale en matière d’argent. Il faut en sortir.

Si les médias historiques ne sont pas en mesure de remplir leur mission de contre-pouvoir, alors les citoyens doivent prendre le relais. La numérisation du monde le permet et l’exemple de wikileaks nous a montré qu’en matière d’information, même les chasses-gardées comme la diplomatie pouvaient faire l’objet de puissantes remise en questions. On peut discuter du bien-fondé de la chose, mais dans le cas qui nous occupe nous sommes arrivé à un tel niveau de dysfonctionnement que l’objection de principe devient secondaire.

Quant à la classe politique, il est illusoire de croire qu’elle s’auto-réformera car aucun système clos n’est en mesure de le faire. Ne militant  pas pour une révolution toujours hasardeuse et douloureuse, je pense qu’un large renouvellement et des réformes structurelles fortes sont des solutions raisonnables et pertinentes. Les pistes sont déjà nombreuses : non cumul des mandats, parité, interdiction effective des conflits d’intérêts, transparence du patrimoine, examen des parcours professionnels, pluralité des profils du personnel politique, retrait provisoire en cas de mise en examen et définitif en cas de condamnation pour délit volontaire ou crime, limitation dans le temps de l’exercice d’un même pouvoir, …

Le gouvernement Ayrault a commencé à travailler sur le sujet. C’est bien mais nous devons le pousser à aller beaucoup plus loin et plus vite. En matière morale, le changement c’est maintenant pour les intentions, mais cela doit être surtout opérationnel dès les prochaines élections en 2014.

L’éclat vacillant de la probité

Quelques jours ont coulé sur l’affaire Cahuzac et l’offshore leaks ce qui permet de passer de la légitime émotion à la nécessaire réflexion.

Sur Cahuzac, tout n’a pas été nécessairement dit ou découvert mais l’essentiel est connu : un homme non intègre a été nommé à une fonction qu’il a sali en même temps qu’il se déshonorait en méprisant de plus tous ceux qui subissent aujourd’hui une effroyable crise économique. Il reste tout de même à savoir comment nous avons pu nous faire « refiler » un homme avec ce profil et si certains architectes de la fraude fiscale n’y ont pas contribué.

L’offshore leaks est encore trop flou pour en tirer des conclusions. Je me méfie pour ma part du côté un peu trop orchestré voire teasing des révélations. Commencer les révélations en mettant en avant un proche de la présidence pour s’apercevoir ensuite que les choses ne semblent pas illégales en ce qui le concerne tient plus des procédures accrocheuses que de la méthodologie journalistique rigoureuse. Distiller ensuite, jour après jour des noms de sociétés ou de personnes tient plus du feuilleton que du journalisme. On attend des faits mis en perspectives par des analyses, pas des effets de manche. On attends aussi des informations sur les sources. Et on se pose également légitimement quelques questions :

  • pourquoi quelques établissements des îles Caïmans et pas ailleurs ?
  • quelle part relève de la fraude fiscale, quelle part relève du blanchiment mafieux ?
  • si le magot représente 1250 milliards d’euro sur ce seul scandale, à combien peut-on estimer l’ensemble de la fraude fiscale mondiale ? 600 Md€ en France semble un montant un peu faible si 50Md€ sont identifiés aux seules îles Caïmans. Puisque les Français qui paient honnêtement leurs impôts sont au maximum des efforts qu’ils peuvent consentir, je pense qu’il y a là plus qu’une piste de solution à nos problèmes financiers.

Je vois aussi dans l’offshore leaks un autre élément radicalement nouveau lié à la numérisation du monde. D’abord, sans un travail initial de numérisation (fait par qui ?) il n’aurait probablement pas été possible de transmettre une information qui, si elle avait été envoyée sur un support papier, aurait nécessité plusieurs camion(s). Ensuite, un autre point remarquable est la révélation mondiale du scandale, là aussi rendue possible par l’hyper-connectivité numérique. Dans ce nouveau monde qui se construit, il est beaucoup plus facile de capter l’information privée voire secrète et de la diffuser à une échelle maximale avec des moyens même réduits. Les sphères privées, professionnelles ou personnelles, se réduisent à très grande vitesse sans qu’il soit réellement possible de le contrôler. Ceux qui n’ont rien à se reprocher ne pourront que le regretter pour leur pudeur, mais ceux qui sont sortis des clous doivent maintenant savoir qu’ils ont du souci à se faire. Il ne reste plus dans leur cas qu’à passer des révélations aux condamnations.

PericlesReste enfin à réfléchir sur ce que le Parti Socialiste doit faire dans cette affaire. S’indigner, oui évidemment. Mais aussi aller au bout de l’indignation en agissant, et partout où c’est possible, en devançant l’évolution de la loi. Je pense en particulier aux procédures qui plus que jamais doivent permettre aux citoyens de contrôler que les candidats qui se présentent devant eux sont effectivement intègres, sont ceux qu’ils prétendent être. Nous n’attendons pas des saints pour diriger nos villes, pour participer aux assemblées locales ou nationales, mais si quelqu’un se présente en prétendant être ce qu’il n’est pas, alors cela doit pouvoir être connu.

J’appelle mon parti à s’engager sur cette démarche sans attendre qu’une loi soit votée. Et je les mets en garde sur la tentation d’essayer d’y échapper : le monde qui se construit ne laissera à terme aucun autre choix que celui de l’exposition publique totale des acteurs politiques. Vouloir y échapper revient à se condamner à court ou moyen terme. J’appelle également mon parti à prolonger le travail de rencontre avec les Français (les ateliers du changement) avec une thématique sur les outils pratiques à mettre en œuvre pour contrôler la probité des acteurs politiques. Nous n’avons pas seulement besoin de leur vote une fois de temps en temps, nous avons besoin de leur soutien et surtout sur les changements à apporter, de leur aide. C’est parce qu’ils reconstruirons avec nous de nouveaux outils et une nouvelle façon de faire de la politique, que la politique retrouvera l’éclat qui éclaire et construit l’avenir.

 

Furax !

coupe-du-monde-2010Les cloches ont fait entendre le son fêlé de la cupidité ce week-end ! Noël Le Graët, le patron du foot français semblait satisfait d’annoncer que la taxe exceptionnelle à 75% ne toucherait pas les clubs de foot, parce que, dixit, ce sont des PME. C’est l’excuse minable du jour qui nous permet immédiatement de conclure que personne ne paiera cette taxe, à moins d’être un citoyen particulièrement exemplaire, puisqu’on a maintenant le mode d’emploi pour y échapper : il suffit de couper le salaire concerné en deux morceaux, une partie sous les 1 millions d’euros payé par la société concernée et une autre payée la holding ou toute autre structure qui est une PME !

À l’heure où l’on est obligé d’augmenter les prélèvements sur les retraites, ce tacle de footballeux est particulièrement détestable. Pour mémoire, dans l’échelle des salaires :

On a également osé nous ressortir l’excuse déjà largement utilisée pour les grands patrons et les traders, à savoir celui des talents à rémunérer dans un marché mondialisé. On a vu ce que valaient ces talents avec la crise financière, on se souvient de la coupe du monde 2010, mais pour ajouter des éléments factuels, le taux d’imposition des clubs de foot :

  • est de 50% en GB (non progressif en plus)
  • 47,5% en Allemagne
  • 46,7% en France
  • et 45% en Espagne, pays particulièrement exemplaire en matière économique sans doute !

Tout cela est particulièrement lamentable. Si ceux qui le peuvent ne veulent pas contribuer au sauvetage de leur pays, dont acte qu’ils gardent leur argent et s’en fasse un matelas ! Mais qu’ils l’assument et en contre-partie, je propose que les aides de l’État et des collectivités ne soient plus attribuées aux clubs de ligue 1 mais réorientées vers les quartiers et les jeunes, et qu’en plus on fasse payer à ces clubs le vrai coût des services et équipements publics.

Quant à cette saison de football, je retiendrai que le petit club de Sochaux a battu les luxueux clubs du PSG, OL et OM et que le petit poucet Plabennec a fait un parcours exemplaire en coupe de France, ce qui apporte plus de bonheur à tout un chacun que les caprices nourris de cupidité.

 

Dura Lex, Sed Lex

Dura-LexDrôle de semaine en vérité que celle que nous venons de vivre. Après la démission mardi de Jérôme Cahuzac suite à l’ouverture d’une instruction judiciaire à son encore, c’était jeudi soir au tour de Nicolas Sarkozy d’être mis en examen cette fois pour abus de faiblesse à l’encontre de la milliardaire Liliane Bettencourt, dans le cadre d’une affaire de financement de sa campagne électorale.

Bien que concomitants et de nature judiciaire, les deux événements ne sont pas de la même portée.

L’affaire Cahuzac est détestable parce qu’elle ramène une fois encore le soupçon sur le personnel politique, et pas de chance sur ce coup là, sur une personnalité de gauche. Ceci étant dit, quel que soit leur engagement, les politiques ne sont a priori ni plus intègres ni plus pourris que le commun des mortels, ils doivent seulement faire face à plus d’occasions de se perdre alors qu’on attend d’eux plus de probité. Que la faute soit réelle ou non, la justice tranchera. Si au moins une chose positive doit être retenue de cet épisode, c’est que l’instruction judiciaire n’a semble-t-il pas subie d’entraves et que le principe qui veut qu’une personnalité politique démissionne de sa charge lorsqu’il est mis en examen, a été appliqué sans retard (ce qui n’était plus le cas avec le gouvernement précédent). Jérôme Cahuzac est maintenant redevenu un justiciable comme les autres, s’il est innocenté alors il aura tout loisir de revenir devant les électeurs, et dans le cas contraire il n’aura plus qu’à se faire oublier. Dura Lex, Sed Lex.

imagesL’affaire Sarkozy est d’une nature qui me semble différente. Contrairement aux accusations précédentes qui portent en synthèse sur une potentielle immoralité et une avidité financière personnelle, les accusations contre Nicolas Sarkozy ont la double particularité de porter sur la possible manipulation d’une personne fragile et le détournement de la loi dans un but politique (les élections). En plus, l’accusation porte contre un ex président qui pouvait toujours prétendre à exercer un rôle (sans oublier un siège son conseil constitutionnel). Le précédent de Jacques Chirac existe, mais sa condamnation soldait une faute en qualité de maire de Paris et n’a eut finalement aucune conséquence politique. Là aussi, si l’on doit retenir une chose positive, c’est que la justice passe, et qu’elle passe même dans des délais qui ont un sens. Il reste à espérer que Nicolas Sarkozy se considère comme un justiciable comme les autres et qu’une fois l’émotion passée, ses amis politiques auront la sagesse de ne pas s’emparer du sujet pour monter une mauvaise mayonnaise qui n’a aucune chance de prendre. Si la justice reconnaît une faute, Nicolas Sarkozy sera condamné et il n’aura plus qu’à se faire oublier, dans le cas contraire il pourra être innocenté et retrouvera sa place à l’UMP. Dura Lex, Sed Lex.

Démission de Jérôme Cahuzac

Vers 19h, la présidence de la République a diffusé le communiqué suivant :

elysee_completLe président de la République a mis fin aux fonctions de M. Jérôme CAHUZAC, ministre délégué auprès du ministre de l’économie et des finances, chargé du budget, à sa demande.

Sur proposition du Premier ministre, il a nommé M. Bernard CAZENEUVE ministre délégué auprès du ministre de l’économie et des finances, chargé du budget.

Sur proposition du Premier ministre, le président de la République a mis fin aux fonctions de M. Thierry REPENTIN, ministre délégué auprès du ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chargé de la formation professionnelle et de l’apprentissage. Il a nommé M. Thierry REPENTIN ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes.

Ceci fait naturellement suite à l’information judiciaire ouverte contre lui dans la journée.

Ceci n’est naturellement pas un moment agréable mais il démontre au moins une volonté de droiture et de transparence dans la conduite des affaires de l’État lorsque ce genre de problème se pose.

Ceci est également en phase avec ce que j’écrivais en juin 2012 :

(…) les éléments présentés actuellement ne sont pas assez crédibles pour qu’il se mette en retrait du gouvernement, mais que si d’autres éléments, probants cette fois, devaient apparaître, alors il devrait le faire (…)

Jérôme Cahuzac a maintenant toute liberté pour se défendre, et le gouvernement peut continuer son action sans être entravé par des suspicions. Aujourd’hui, la bonne décision a été appliquée selon un bon principe.

Pourquoi les ordinateurs de Bercy donnent probablement une mauvaise estimation de la richesse

smithwon011frontispiece J’ai dernièrement publié un article sur Le Cercle des Échos traitant d’un aspect très particulier de l’économie numérique, à savoir un probable début de décorrélation entre la valeur monétaire des services numériques et leur valeur intrinsèque, à savoir la richesse qu’ils apportent à ceux qui l’utilisent.

Nous, comme les entreprises, utilisons tous les jours de tels services, et de façon de plus en plus  importante : du simple service de mail qui nous permet de communiquer chaque jour sans payer quoi que ce soit pour nos envois (même pas l’équivalent d’un timbre), aux bases de données planétaires qui nous apportent un niveau de connaissance incroyable sans avoir à débourser ne serait-ce que l’équivalent d’un abonnement à la bibliothèque municipale, jusqu’à des services comme la publicité numérique par exemple qui nous permettent de récupérer de l’argent sonnant et trébuchant. Et il ne s’agit là que de services peu évolués.

La baisse drastique des coûts et la (vraie) gratuité sont deux des caractéristiques remarquables de l’économie numérique. On constate donc d’un côté une augmentation forte et continue de services numériques qui d’une façon ou d’une autre nous apportent de vrais éléments de richesse, et de l’autre une absence de valeur monétaire. Dans le milieu professionnel ceci est encore accentué par le fait que ces services numériques remplacent la vieille et coûteuse informatique.

euroOr si l’on a d’un côté une augmentation de la richesse et de l’autre aucune valorisation financière, il n’y a qu’un pas pour arriver à la conclusion que les calculs de PIB (entre autres) ne reflètent plus la réalité.

La question est ensuite de savoir si cette richesse monétairement invisible est marginale ou pas. L’économie des services numérique en ligne en France pèse environ 1 milliard d’euros et les mécanismes de cette économie utilisent presque systématiquement une entrée de gamme gratuite. On peut en conclure que non, la richesse invisible n’est pas marginale, et qu’en plus elle croît très rapidement.

Une autre question est de savoir si cette richesse invisible est de l’ordre du nécessaire ou du superflu, c’est à dire si cela nous aide à satisfaire tout ou partie de nos besoins « fondamentaux » ou si c’est une richesse dont nous pourrions facilement nous passer même si elle satisfait nos égos ou nos caprices. Il me semble que c’est les deux à la fois. Si on pourrait aisément remplacer tous les services du type loisir par exemple, les services apportés par les services de partage, ceux qui évitent des dépenses de transport ou qui nous apportent une information utile, sont eux de l’ordre du nécessaire. Pour ne prendre qu’un exemple, ne pas être obligé d’avoir sa propre voiture car on peut aisément s’en sortir avec les services de co-voiturage représente clairement une richesse invisible de plusieurs milliers d’euros par an.

220px-René_ThomSans doute comprenez-nous mieux maintenant ma question sur la probable mauvaise estimation de la richesse française. Combien de points de croissance représente cette richesse invisible ? N’est-t-on pas entré dans une période d’inflexion où pour reprendre la théorie des catastrophe de René Thom, les modèles d’évaluation de la richesse d’avant sont incapables d’estimer la richesse réelle du monde d’après puisque les modèles ont changé ?

En tout état de cause, la création d’une richesse invisible du point de vue monétaire est un constat. Cette richesse croît et n’entre pas dans les statistiques. Ce qui a une première conséquence heureuse : notre situation économique est probablement meilleure que ce qu’indiquent les statistiques ! Mais cela doit aussi inciter nos élus a accélérer l’incorporation des mécanismes de l’économie numérique dans leur façon de comprendre les problèmes. Il faut que l’action publique promeuve l’alphabétisation numérique pour que tous les citoyens accèdent à cette richesse invisible. Au-delà, il faut commencer à penser les services publiques de façon à incorporer les mécanismes de gratuité du numérique en lieu et place des coûts de l’ancienne économie. Dans le monde de la connaissance et de la connectivité qui se construit actuellement, un service public est probablement une richesse, plus un coût.

Comment s’accorder sur la façon d’être d’accord (ou pas)

emploiL’accord sur la compétitivité emploi signé en janvier dernier arrive au parlement, ce qui génère des remous à gauche. L’objet de ce post n’est pas d’en discuter sur le fond, cela me semble un peu technique pour m’y aventurer dans un post internet, mais de prendre un peu de recul par rapport à ce que les réactions autour de cet accord révèlent.

Tout d’abord, il s’agit d’un compromis, ce qui signifie que les différentes parties concèdent des choses pour en obtenir d’autres. En soit c’est inhabituel dans un pays où la façon normale de « discuter » est de montrer ses muscles et ensuite de ne pas hésiter à s’en servir. C’est aussi en franche rupture par rapport aux dernières années où l’UMP considérait le dialogue social comme un show dont la conclusion était écrite par avance par le gouvernement. La vraie négociation et le compromis me semblent une bonne façon de faire, le chemin raisonnable entre le diktat et la révolution.

Le compromis est-il bon ? Équilibré ? Ceux qui le contestent ne le pensent pas mais les arguments qu’ils avancent sont au minimum excessifs (fin du CDI, machine à fabriquer du chômage, précarisation accrue des femmes, ..). Or ce qui est excessif a une furieuse tendance à être vain et à ôter toute crédibilité à une cause même lorsqu’elle pourrait être juste.

Le compromis est-il légitime ? C’est un point d’argumentation que j’ai entendu dernièrement : les signataires du compromis ne seraient pas représentatifs d’une majorité de salariés. La légitimité syndicale est un terrain glissant que mes camarades feraient bien de pratiquer avec prudence. Nous savons parfaitement que les organismes paritaires ont beaucoup de mal à trouver un mécanisme qui permet d’avoir des représentants effectivement représentatifs du monde du travail. Ceci vaut d’ailleurs aussi bien pour les salariés, les indépendants et les dirigeants. Bonnes ou mauvaises, les règles sont ce qu’elles sont, on peut discuter pour en changer, mais en attendant on les applique.

Un compromis entre organisations sociales & patronales peut-il avoir force de loi ? En effet, la question se pose car on demande aux parlementaires d’accepter l’accord en l’état et de ne pas le modifier. Voilà une vraie question de fond, une vraie réflexion à avoir sur le fonctionnement de notre République. Dans les discussions en cours sur l’acte III de la décentralisation, on se pose la question du rééquilibrage des pouvoirs, de la manière de prendre une décision au bon niveau de compétence et de connaissance. Mais n’est-ce pas ce qui est tenté ici ? Les députés ont-ils une compétence et une connaissance supérieure du monde du travail à celles des organisations syndicales & patronales ? Y-a-t-il un sens à demander à ces organisations de se mettre d’accord sur des textes si ces textes sont détricotés ensuite ? A contrario, la force du suffrage universelle qui soutient l’action des députés n’est-elle contrariée si les députés ne servent que de chambre d’enregistrement ? Il me semble qu’il manque un principe clair de fonctionnement dans cette histoire : le parlement doit fixer le cadre de la loi, et dans ce cadre, les acteurs sociaux doivent avoir la place pour trouver des compromis. Peut-être est-ce le cas, mais l’image renvoyée par les échanges autour de l’accord compétitivité emploi n’est pas la bonne.

La crise actuelle est la conséquence d’un dysfonctionnement profond de la finance, une perte de repères et de contrôle. Mais si la crise dure, c’est parce nous ne sommes pas structurellement prêts à rebondir, à relancer la machine, à recréer des emplois. Une évolution est nécessaire et elle ne peut pas être cosmétique. Cet accord a été établi pour aller dans ce sens. Je défends le chemin du compromis, de la négociation apaisée. Pour cela il faut changer à la fois les mœurs, les usages et peut-être améliorer le cadre législatif pour que chacun ait un cadre clair d’action. Même si tout n’est pas parfait actuellement, loin de là, le gouvernement Ayrault engage des moyens qui rompent avec le passé, qui ouvrent la discussion, qui donnent un autre horizon que « on n’y peut rien ». Ce sera long et difficile, mais en attendant je ne vois aucune raison de croire que cela échouera et qu’il faut faire chauffer les chaudrons de la révolution. La gauche doit savoir être vigilante, comme avec le mariage pour tous hier, ou encore avec le non-cumul des mandats aujourd’hui, mais elle doit aussi mettre toute son énergie pour faire avancer le pédalo…

La République 2.0 et l’acte III de la décentralisation

Marylise-LebranchuLa réforme sur la décentralisation portée par Marylise Lebranchu continue à avancer à petits pas, mais à avancer. L’idée générale (qu’on me pardonne le raccourci trop synthétique) et de rééquilibrer les pouvoirs et compétences entre les différentes collectivités et institutions de la République, conseils régionaux, conseils généraux (désormais appelé conseils départementaux),  EPCI, communes, communautés de communes, métropoles, …

Il me semble que sur le fond, c’est une excellente chose et que cette orientation est en phase avec les attentes de l’époque et des évolutions de la société. Je ne suis pour ma part ni jacobin ni indépendantiste et je suis convaincu que la République se porte bien lorsque ses citoyens ont le sentiments que les décisions et leur application sont faites au bon niveau de connaissance et d’écoute de leur vie. Il faut trouver le meilleur équilibre entre la vision et les grandes orientations politiques sans lesquelles rien n’est possible et la vie quotidienne de chacun sans quoi rien n’a de sens.

Je dois pourtant confesser un certain malaise avec les discussions en court. Le fond des travaux n’est pas en cause mais ces travaux prennent à mon sens beaucoup trop la forme d’une discussion, d’un échange, d’une négociation entre élus, ou plus exactement entre techniciens de l’action publique. Si cela devait effectivement être le cas, je craints fort que non seulement les citoyens ne nous donneront pas un satisfecit pour cette réforme pourtant majeure, mais qu’en plus ils nous reprocheront d’avoir élargi le fossé entre l’élu et le citoyen.

La réponse qui est généralement donnée lorsqu’on dit que le citoyen n’est pas suffisamment impliqué dans l’action politique, est que ce citoyen ne prend que rarement ses responsabilités lorsqu’on lui demande de se manifester. Il est  exact que très peu d’entre nous ont, ne serait-ce qu’une fois, assisté à un conseil municipal par exemple et que nous ne nous précipitons pas aux réunions d’information sur l’action publique. A contrario, les primaires socialistes ou encore plus récemment les ateliers du changements PS ont montré l’appétence et l’intérêt des gens pour la politique.

Ce paradoxe me semble pouvoir être expliqué de la façon suivante : les Français s’intéressent à la politique, ils veulent tisser un lien fort avec leurs élus, ils veulent pouvoir exprimer leurs attentes, leurs espoirs ou leur déception, mais ils ne se sentent pas, avec raison, compétents pour prendre et assumer des décisions dont beaucoup d’éléments leur échappent. Alors à quoi bon ? Et c’est pourquoi les expériences de démocratie participative ont généralement des succès d’estime mais ne débouchent pas sur des actions de fond. Mais cela ne veut pas dire que les citoyens sont hors jeux ! Ce qui marche très bien, c’est lorsque ces personnes ont l’occasion d’agir, de s’impliquer. Faites une réunion locale sur la prise en charge de la misère et vous n’aurez sans doute pas un grand succès. Pourtant, si vous cherchez des gens impliqués dans des associations comme les restos du cœur, vous n’aurez pas de mal à en trouver (surtout en Finistère). Si la démocratie participative est une idée qui fonctionne mal, la démocratie coopérative est elle une réalité de tous les jours !

Et c’est sur cette démocratie coopérative que nous pouvons avoir l’espoir de réconcilier la réforme de l’acte III de la décentralisation avec les citoyens. Ouvrons dans la loi la possibilité d’expérimenter la délégation d’un certain nombre réflexions et de mise en œuvre de l’action publique. Que les élus fassent leur travail de contrôle, accompagnent la réflexion, mais qu’ils donnent la possibilité aux associations de citoyens de s’impliquer dans la mise en œuvre. Pour réaliser cette jonction entre les élus et les citoyens, il ne manque qu’un instrument puissant de coordination. Or un tel instrument existe : aujourd’hui, on sait mettre en œuvre des plateformes numériques qui permettent de co-construire des choses et de les mettre en œuvre en commun. Dans le domaine privé, des sociétés comme Local Motors (États-Unis) ou encore My Major Company (France) ont révolutionné les modèles économiques en impliquant le consommateur dans la conception & la vente de produits. L’acte III de la décentralisation doit permettre de changer le modèle politique en impliquant le citoyen dans la discussion et la mise en œuvre de l’action publique.

Il faut ouvrir ce champ expérimental, ce sera le premier pas vers la République 2.0, une République où la démocratie ne s’exprime pas qu’une ou deux fois par ans, où le citoyen n’est pas que le spectateur de notre destin collectif. L’action publique doit pouvoir être assumée par tout citoyen qui le souhaite, dans le cadre normal de l’action politique locale. Osons !