Question d’éducation (seconde partie)

Et pour l’école de mon village aujourd’hui ?

Contrairement à l’époque de Jules Ferry, la situation actuelle peut parfaitement être prise en charge au niveau local, puisque les ressources sont déjà universelles et largement gratuites.

Qui sait que l’on peut dores et déjà bénéficier gratuitement des cours des plus prestigieuses universités mondiales via Coursera ? Plus près de nous, Télécom Bretagne met en ligne un certain nombre de cours sous forme numérique.

Certes la majorité de ces cours sont en anglais, ne sont que des transpositions numériques encore basiques, mais ce n’est qu’une question de temps pour que la puissance du numérique fasse dépasser en qualité les cours originaux, pour que plus de cours soient en français. Sans oublier que nous verrons un jour arriver le traducteur universel.

Coursera et Télécom Bretagne nous montrent un chemin possible : la mise à disposition d’un enseignement de très haute qualité n’est pas très compliquée et bien moins chère qu’une université « en dur ». En matière d’éducation numérique, la priorité numéro une des collectivités et d’aller chercher la connaissance locale, toute la connaissance, et de la mettre en forme pour la rendre accessible à tous. Cette mise en forme pourra ensuite être agrégée au niveau national, ou plus exactement, au niveau de la communauté linguistique la plus large (francophonie en l’occurrence).

Si l’accès à la connaissance numérique s’offre à nous, nous ne pourrons en bénéficier pleinement qu’à une seule condition : que nous maîtrisions les principes de base du numérique, que nous en comprenions la logique. Pour faire un parallèle, lorsque nous apprenons à lire nous devons nous approprier l’écrit (les lettres et leur agencement en syllabes puis l’orthographe). Nous devons également nous approprier la grammaire.

Le numérique a son orthographe et sa grammaire. L’enjeu de la bataille est là : qui ne sait lire et écrire, ne peut prendre pleinement sa place dans le monde numérique. Qui ne maîtrise pas les outils et les modèles numériques ne peut accéder pleinement au monde qui se construit. Ceci est vrai pour toutes les générations, toutes les catégories socio-professionnelles, y compris les classes dirigeantes.

La République a su mettre en place des lois, un tissu dense d’enseignement et des « hussards » pour gagner la bataille de l’alphabétisation et de la connaissance pour tous.

La République doit mettre en place des structures similaires pour gagner la bataille de l’alphabétisation numérique. Qui ne sait pas correctement lire ne peut pas accéder à la connaissance d’une bibliothèque.

Question d’éducation (1ère partie)

L’éducation est peut-être l’une des plus belles victoires de la République. Nous avons élevé au rang des grandes valeurs la connaissance. Nous avons imposé l’école pour tous comme un bienfait universel.

Si la profonde révolution numérique amplifie l’élan vers la connaissance, elle va pourtant très probablement remplacer le modèle de l’école de Jules Ferry tel que nous le connaissons par quelque chose qui n’est pas encore clairement défini. Il faut s’attendre à un choc immense, un choc comparable à celui de l’invention de l’écriture par les Sumériens, puis à son « industrialisation » par l’imprimerie. Le numérique est l’équivalent de cette double révolution, mais en un laps de temps incroyablement court, rien de moins.

Dans un premier temps, la numérisation a permis la diffusion universelle de l’information (internet à la fin du XXème siècle).

Dans un deuxième temps, des outils ont permis de structurer ces informations pour permettre cette fois-ci la diffusion universelle de la connaissance (moteur de recherches évolués, wiki, …). À ce stade, la technologie numérique permet « l’externalisation » de notre mémoire et donne à chaque homme un niveau de connaissance (brute) sans équivalent.

Le numérique nous rend plus « savants ».

Nous abordons très probablement actuellement une phase où de nouveaux outils vont abattre les barrières des langues et des handicaps (traducteurs universels des langues, traducteurs son/écrit, …) et nous commençons à entrevoir les outils qui vont « augmenter » nos intelligences (vous demandez le temps qu’il fait à votre ordinateur et il vous conseille de prendre votre parapluie parce votre agenda lui a dit où vous alliez). Cette nouvelle étape permettra une « externalisation » d’une partie complémentaire de nos capacités cognitives.

Le numérique nous rend plus « comprenants ».

Cette série de changements s’accompagne d’un autre élément majeur, à savoir la gratuité in fine de la connaissance, ce qui est en soit à la fois un succès philosophique et un cataclysme économique puisque la connaissance est un élément fondamental de la valeur (s’il n’est pas l’élément fondamental d’une société qui ne serait fondée ni sur la religion, ni la puissance militaire, ni le capitalisme de marché !).

Du point de vue de l’éducation, les conséquences sont majeures. Tout d’abord, la connaissance que l’on met tant de temps à assimiler est maintenant disponible, accessible, gratuite et globalement plus riche et plus fiable et actualisée que ce dont peuvent se souvenir tous les Pic de la Mirandole réunis.

Comment justifier alors des années d’études si le savoir est accessible en quelques secondes ?

L’enseignement devra très probablement s’orienter vers l’enseignement de savoir-faire, l’enseignement de compétences, l’enseignement de la capacité à raisonner, le développement du sens critique, de la compréhension profonde des choses, et ceci dès le plus jeune âge. Mais même ces enseignements là seront en concurrence avec les capacités des outils numériques à venir : comme nous l’avons écrit, le numérique va également externaliser de façon incroyablement efficace certaines de nos capacités cognitives. L’enseignement ne serait dans ce cas nécessaire que pour permettre l’émancipation de l’homme par rapport à sa « greffe numérique ». Mais qui sera prêt à assumer des années d’efforts pour s’émanciper d’une connaissance universelle ?

Une telle évolution peut paraît effrayante et elle l’est. Pourtant elle ne fait que réaliser nos idéaux sur la connaissance universelle apportée à chacune et chacun. Il va falloir s’affranchir de ce paradoxe.

Le refus du malthusianisme ambiant

Je sorts quelques instant de la torpeur estivale pour quelques réflexions sur un sujet  qui me trotte dans la tête depuis un bon petit bout de temps.

Je n’aime pas trop l’atmosphère actuelle, certes parce que les temps sont particulièrement durs et que notre nouveau gouvernement n’a fait qu’entamer son travail de réforme, mais surtout parce qu’elle est animée par un profond mouvement de recul et de repli sur des valeurs passéistes (« c’était mieux avant« ) lorsqu’elles ne sont pas carrément anti-progrès.

Cela prend mille et une formes, mais le débat sur l’économie en est une bonne synthèse. Il me semble que ce débat, qu’il prenne l’angle de la « démondialisation« , de la « décroissance« , ou de la sempiternelle invasion (dont on ne sait plus très bien d’où elle vient d’ailleurs), se nourrit à la fois d’éléments très objectifs (la crise, la perte d’emploi avec les sociétés qui ferment, …), d’éléments plus ou moins philosophiques (l’insatisfaction et le mal-être de la société de consommation) et d’erreurs de compréhension.

L’une des erreurs les plus graves pourrait être lié au constat du monde fini dans lequel les sociétés humaines évoluent. Le XXième siècle a été le siècle où les hommes ont effectivement compris que leurs frontières géographiques ne pouvaient plus être poussées plus loin et qu’en plus, les moyens mis à leur disposition pouvaient parfaitement aboutir à l’épuisement complet des ressources de leurs territoires. De là nait un raccourcis malthusien : si les ressources sont finies dans un espace fini, il faut arrêter de croître, en particulier de façon économique.

Raisonnement simple mais parfaitement faux puisqu’il postule sans le dire que la croissance n’est issue que des biens physiques (matières premières, production agricole, …) alors que la croissance peut aussi se nourrir de l’énergie (dont nous n’avons pas atteint les limites), des services (la « matière première » des sociétés humaines) et de la connaissance (on pourrait ajouter à cette liste la finance, mais malgré la capacité de croissance de ce secteur, les années que nous vivons montrent combien les risques de cette industrie sont mal maîtrisés !).

Chercher à opérer un recul économique malthusien est une position qu’un parti de progrès comme le PS ne peut en aucun cas défendre. Notre combat en la matière doit être d’optimiser et d’équilibrer l’économie liée aux secteurs qui consomment les ressources physiques des écosystèmes et de réorienter l’économie pour développer l’économie de l’énergie, des services et de la connaissance.

Nous devons favoriser tout ce qui permet d’avoir de l’énergie, des services et des connaissances abondants et bon marché. Nous devons le faire avec force, conviction et enthousiasme.

Un monde malthusien est un monde de rareté et de récession, un monde qui ne peut que s’éteindre. Nous n’avons aucune raison d’entrer dans ce monde là, et au contraire, nous devons repartir à la conquête des espaces qui restent infinis et inépuisables et baser nos économies là-dessus. Nous sommes aujourd’hui à un point d’inflexion puisque les modèles marxistes & capitalistes sont arrivés à leur terme, à nous de faire les bons choix pour construire le nouveau monde.

L’identité, la loi, la biométrique et plus encore

Le parlement a adopté début mars une loi sur la nouvelle carte d’identité biométrique, loi qui incluait la création d’un fichier des éléments biométriques de chacun (taille, couleur des yeux, empreintes digitales et photographie).

Fidèle à son idéologie sécuritaire et contre l’avis de la gauche, ce fichier pourra être utilisé dans le cadre des recherches sur une affaire judiciaire en cours ce qui transforme de facto tous les citoyens disposant de la future carte d’identité en suspect potentiel liés de près ou de loin à n’importe quelle affaire.

Au-delà de cette loi, et sans hélas pouvoir aller trop loin dans la réflexion d’un débat aussi technique, que philosophique ou encore culturel, il me semble nécessaire de réfléchir sur ce qu’est l’identité (au sens de la loi) dans ce monde qui subit une mutation gigantesque.

Jusqu’ici, l’identité d’un individu comme vous et moi, était en synthèse liée à trois choses : sa personne, une mention dans un registre officiel (généralement l’acte de naissance) et un lieu physique où l’état pouvait le trouver en cas de besoin. La nouvelle loi  sur la carte d’identité biométrique avait pour but originel de résoudre le problème de l’usurpation d’identité légale (éviction d’une personne au profit d’une autre pour une identité donnée).

Oui et alors me direz-vous ? Et bien je vous dirai tout de go que cette notion d’identité est aujourd’hui totalement obsolète et que cette obsolescence découle directement de l’entrée de notre société dans l’ère de l’information numérique.

Dans le monde numérique, il faut d’abord comprendre que les propriétés de l’identité numérique et physique sont différentes.

D’abord, une personne numérique peut mourir et naître plusieurs fois (avec la charge émotionnelle afférente). La mort numérique est parfois utilisée par certaines vedettes du show biz pour défendre telle ou telle cause (ou juste à des fins marketing personnelles).

La notion d’individu numérique n’a par ailleurs pas réellement de sens, car une personne physique peut avoir plusieurs identités numériques distinctes (sans pour autant être schizophrène). Inversement, une identité numérique peut être liée à plusieurs acteurs physiques, peut-être transmise d’un acteur  physique à un autre, peut survire au-delà de la mort d’un acteur physique.

Une identité numérique a des caractères d’ubiquité, une présence qui n’est pas synchrone avec son pendant physique (vous me lisez alors je je ne suis peut-être pas connecté, certains automates numériques peuvent répondre à ma place).

Tout ceci n’est pas qu’un jeu intellectuel et il serait très hasardeux de considérer que notre définition actuelle de l’identité physique est « supérieure » à l’identité numérique. Ce que chacun laisse paraître à travers son identité numérique a autant de valeur que son identité du monde physique, sinon plus. Elle peut être totalement irréelle certes (« le prince des elfes ») mais aussi bien plus profonde et réelle que ce qui peut transparaître de nos interactions du monde physique. Le numérique transcende les distorsions de notre physique, de notre couleur de peau, de notre timbre de voix, mais aussi des étiquettes culturelles qui nous ont été collées par notre histoire et nos activités.

Enfin, la loi a tout intérêt à s’intéresser de façon précise et pertinente à cette aspect numérique, car le monde numérique a au moins un point en commun avec le monde physique, à savoir la capacité et l’envie de certains de porter préjudice aux autres. Il est nécessaire de réfléchir à ce qu’est la loi est la justice dans cet univers étrange et déstabilisant.

L’identité numérique doit être comprise, pensée, intégrée à la loi de notre société. Mais c’est un monde radicalement nouveau, un choc aussi puissant que celui qu’un aveugle pourrait avoir en acquérant la capacité de voir. Un vaste chantier pour notre futur gouvernement et surtout pour ses futurs législateurs.

La Réunion : après l’indignation, la rébellion

En pleine campagne présidentielle, Nicolas le bafouilleur du Fouquet’s enchaîne déclamations et incantations à qui veut l’entendre. Mais entre deux annonces contradictoires, il ne dit rien des émeutes qui se déroulent depuis plusieurs jours à La Réunion.

La crise économique est évidemment à l’origine de ce mouvement social, mais contrairement à la métropole, le mouvement est en train de prendre une tournure dramatique. Claude Guéant, fidèle serviteur de la sarkozye, voudrait nous faire croire qu’il ne s’agit là que d’un mouvement de quelques jeunes, s’insurgeant contre des violences «absolument inacceptables», violences qui ne «vont pas permettre de régler les problèmes». Sans blague…


Il est légitime de se demander pourquoi à La Réunion les conséquences de la crise sont arrivées à un niveau inacceptables, et pas sur le continent.

Il y a plusieurs raisons à cela. La crise est d’abord plus aiguë pour les départements et territoires d’outre-mer car du fait de leur isolement maritime, la vie est déjà habituellement plus chère, la République ayant toujours échoué à résoudre cet aspect économique particulier. Et naturellement, les conséquences de l’incurie de 10 années de gouvernement UMP dont 5 particulièrement catastrophiques sont ressenties de façon beaucoup plus dures : le taux de chômage élevé devient explosif (28.9% contre 9% en métropole, et en particulier un taux ahurissant de 53.5% pour les 15-24 ans !), la vie qui était difficile devient alors dramatique (taux de pauvreté de 49% à La Réunion contre 13% en métropole). Pendant que Nicolas Sarkozy bat la campagne en jouant l’illusionniste, sa politique a tout simplement fait entrer ce territoire français dans ce que l’on appelait jadis le tiers monde.

Un dernier élément aggrave la situation réunionnaise, à savoir le fait que la population est jeune (34.4% ont moins de 20 ans), et ce qui pour une société est une formidable promesse d’avenir et un atout économique, est ici un honteux gâchis explosif.

Je ne fais pas partie de ceux qui chantent à tout vent leur amour de la révolution, mais je sais parfaitement voir et comprendre les situations où entre le désespoir et la révolte, les citoyens qui refusent la fatalité et le joug du renoncement créent des barricades et y mettent le feu.

La situation réunionnaise peut-elle s’étendre ? Sans aucun doute. D’abord bien sûr aux territoires dont la situation économique et sociale et très proche de celle de La Réunion, mais également en métropole si la situation devait continuer à s’aggraver. Je l’ai écrit depuis maintenant plus d’un an : ce que l’on a vu en Tunisie, puis en Égypte, puis en Libye, puis en Syrie, ce que l’on voit par épisodes en Grèce, ne sont pas des éléments isolés de quelques États « exotiques ». Ces situations ont en commun des éléments démographiques, des éléments économiques et des éléments liés à la libéralisation des moyens de communication et d’association numériques. La démocratie retarde l’expression violente des peuples car elle porte en son sein la promesse de l’expression de chacun et chacune. Mais en Grèce l’Europe se comporte comme un colonisateur qui refuse l’expression populaire lorsqu’elle ne va pas dans son sens. C’est suicidaire et criminel.

Quant à la France, le cri « dégage » se fait de plus en plus fort, et s’il est envoyé aujourd’hui à l’endroit de celui qui a plongé notre pays dans le puits sans fond de ses erreurs, il est également envoyé comme un rappel impérieux à François Hollande et au PS. Nous ne sommes pas là pour gagner par défaut, mais bien pour redonner à la jeunesse un avenir, à l’économie sa vitalité, à la France sa place et son honneur. Pas une voix ne manquera, mais pas un candidat de notre camp ne doit manquer !

Le numérique pour tous dans Cap Finistère

En recevant mon Cap Finistère ce matin, j’ai été ravi d’y trouver la thématique du numérique en première page (il faut parfois peu de choses pour se sentir moins seul !). Je me suis donc plongé avec gourmandise dans le long article de la couverture et du petit encart sur ACTA qui est une tentative réactionnaire et liberticide de contrôle des échanges d’informations.

L’article de Cap Finistère met en avant l’ambitieux plan de déploiement d’un réseau de communication haut débit, plan stratégique voulu et en bonne partie financé par la région Bretagne (avec l’aide de l’État et de l’Europe). Particulièrement exigeant sur le sujet, je me permets tout de même d’adresser quelques remarques sur la stratégie numérique de la région Bretagne.

Il faut bien comprendre que c’est un ici projet d’infrastructure, ce qui est très bien et en l’occurrence dans la mission qu’ont reçu les élus bretons. Mais l’outil, aussi puissant soit-il, ne suffira pas à relever les défis imposés par la société et l’économie numériques. Si je devais prendre un exemple pour illustrer le problème, c’est un peu comme si l’on décidait de construire des autoroutes alors que beaucoup de gens ne savaient pas que l’on peut se déplacer autrement qu’à pied.

Le défi majeur n’est pas celui de l’outil, mais bien dans un premier temps celui de l’usage et ensuite celui du modèle (de société ou économique). Un réseau haut-débit est fantastique pour effacer définitivement l’aspect péninsule géographique de la Bretagne car le numérique connecte chacun au monde avec une facilité et une rapidité déconcertante. Cela ouvre des perspectives culturelles, politiques, économiques fantastiques… à condition de savoir comment faire. Le taux d’informatisation des TPE/PME françaises (et la Bretagne ne fait pas exception, voir cette étude de l’INSEE) est très faible en comparaison des autres pays européens. Ce n’est pas en branchant de gros tuyaux aux entreprises qu’elles seront à même de faire évoluer leur modèles d’affaires.

Part des sociétés ayant un site web en janvier 2010 – sources INSEE

Il faudra aussi traiter les problèmes légaux avec plus d’acuité que ceux qui se sont égarés avec HADOPI ou ACTA.

Il est donc impératif de prolonger cet effort remarquable de déploiement d’un réseau à haut débit par une politique d’alphabétisation numérique. Les citoyens, les acteurs économiques ou politiques, maîtrisent généralement mal les outils NTIC, très peu les usages et encore plus rarement la culture numériques. Au défit de l’infrastructure il faut donc ajouter celui de l’instruction : la gauche en particulier, doit être en mesure de former et de déployer de nouveaux hussards de la République numérique, car nous n’avons pas affaire à une simple évolution technologique, mais bel et bien à la redéfinition complète de qui nous sommes, de nos relations au sein de la société, de nos modèles économiques et culturels. C’est un des quatre défis majeurs de ce début de millénaire.

Mega Upload et mega problème posé par l’économie numérique

Même si vous n’y connaissez rien, si vous n’avez pas entendu parler du site méga upload aujourd’hui c’est très probablement que vous êtes très vieux et connecté à aucun média, qu’il soit numérique ou vieille technologie. Figurez-vous que l’affaire a même réussi à tirer notre pourtant peu numérique président de son lit pour faire un communiqué AFP au contenu quelque peu surréaliste.

Mais ce qui m’intéresse dans cette affaire, ce n’est pas tant le buzz mis en scène par le FBI et ses relais médiatiques, mais bien tous les problèmes soulevés par les usages numériques face aux États et à nos lois.

D’abord, si seuls quelques acteurs ont été arrêtés ou sont sous le coup d’un mandat international d’arrestation, il faut savoir que, rien que pour ce site, ce sont en fait plus de 150 millions de personnes qui sont impactées de près ou de loin avec cette affaire, dont à peu près 5 millions de Français. Tous ne se livraient pas à des actes illégaux, mais même en prenant l’hypothèse basse que seulement la moitié des utilisateurs succombaient peu ou prou à la tentation, cela devrait faire tout de même beaucoup, beaucoup de monde à poursuivre si c’est de justice que l’on parle. Pire que cela, dans un pays démocratique, il est bon de se souvenir que

« Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. » — Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Article 3 

Oups, un usage aussi massif d’un média « illégal » pose une question fondamentale de droit et l’action d’une police étrangère appuyée par un communiqué vespéral n’y répond que fort imparfaitement…

Autre élément dérangeant dans cette affaire, c’est que l’arrêt brutal de service est transfrontalier et impacte directement des consommateurs dont l’honnêteté et le comportement n’est pas mis en doute. Que penseriez-vous si demain le FBI arrêtait la distribution d’électricité en France en mettant en avant le fait que des groupes mafieux utilisent cette électricité de façon illégale et que la direction d’EDF le sait parfaitement et peut parfaitement en identifier certains ?

Oups, « Tuez-les tous dieu reconnaîtra les siens » ne fait pas partie du droit français, et sans préjuger de la pertinence de l’action de police et du jugement final, il y a là une ingérence policière étrangère fort dérangeante avec des conséquences personnelles ou économiques qui restent à évaluer…

Autre élément de fond, qui est celui de la notion de propriété avec la révolution numérique en court. Une des conséquences possibles de cette numérisation, est la disparition de la nue-propriété puisque l’usage et le fruit, avec le numérique, sont de moins en moins liés à l’aspect matériel des choses. C’est ici un des aspects du problème. On met en avant la notion de propriété intellectuelle (des artistes en l’occurrence), alors que le problème est en fait un problème d’obsolescence de l’industrie de distribution des œuvres. Les artistes sont toujours propriétaires de leurs droits intellectuels et certains ont parfaitement compris comment valoriser financièrement ces droits dans un modèle économique numérique. Mais, hélas pour elles, les compagnies de distribution n’ont que très peu de place dans ce nouveau monde numérique et font jouer au maximum la coercition des anciennes lois. Il faut donc effectivement retravailler les lois sur la propriété, mais les penser en fonction du nouveau monde et des nouveaux usages, et non des vieilles lois et des vieux modèles économiques. Le code de la route est établi en fonction des automobiles, pas des diligences…

L’affaire FBI vs Mega Upload pose donc un problème de démocratie (qui est à l’origine des lois ?), un problème d’ingérence policière étrangère dans un pays souverain (le FBI n’est pas la police de la planète), un problème de modèle économique (comment aider la création artistique à avoir des revenus dans un monde numérique ?), un problème de définition de la propriété (quel est le sens de la nue-propriété lorsque le support physique n’existe pas ? Que devient la propriété intellectuelle lorsque l’information numérique a par nature une propriété d’ubiquité multiforme ?).

Voilà quelques uns des vrais problèmes posés par cette affaire, et j’en connais un qui aurait mieux fait de dormir cette nuit au lieu d’applaudir benoîtement. La nuit est mauvaise conseillère en matière de communication, cela se confirme.