La Réunion : après l’indignation, la rébellion

En pleine campagne présidentielle, Nicolas le bafouilleur du Fouquet’s enchaîne déclamations et incantations à qui veut l’entendre. Mais entre deux annonces contradictoires, il ne dit rien des émeutes qui se déroulent depuis plusieurs jours à La Réunion.

La crise économique est évidemment à l’origine de ce mouvement social, mais contrairement à la métropole, le mouvement est en train de prendre une tournure dramatique. Claude Guéant, fidèle serviteur de la sarkozye, voudrait nous faire croire qu’il ne s’agit là que d’un mouvement de quelques jeunes, s’insurgeant contre des violences «absolument inacceptables», violences qui ne «vont pas permettre de régler les problèmes». Sans blague…


Il est légitime de se demander pourquoi à La Réunion les conséquences de la crise sont arrivées à un niveau inacceptables, et pas sur le continent.

Il y a plusieurs raisons à cela. La crise est d’abord plus aiguë pour les départements et territoires d’outre-mer car du fait de leur isolement maritime, la vie est déjà habituellement plus chère, la République ayant toujours échoué à résoudre cet aspect économique particulier. Et naturellement, les conséquences de l’incurie de 10 années de gouvernement UMP dont 5 particulièrement catastrophiques sont ressenties de façon beaucoup plus dures : le taux de chômage élevé devient explosif (28.9% contre 9% en métropole, et en particulier un taux ahurissant de 53.5% pour les 15-24 ans !), la vie qui était difficile devient alors dramatique (taux de pauvreté de 49% à La Réunion contre 13% en métropole). Pendant que Nicolas Sarkozy bat la campagne en jouant l’illusionniste, sa politique a tout simplement fait entrer ce territoire français dans ce que l’on appelait jadis le tiers monde.

Un dernier élément aggrave la situation réunionnaise, à savoir le fait que la population est jeune (34.4% ont moins de 20 ans), et ce qui pour une société est une formidable promesse d’avenir et un atout économique, est ici un honteux gâchis explosif.

Je ne fais pas partie de ceux qui chantent à tout vent leur amour de la révolution, mais je sais parfaitement voir et comprendre les situations où entre le désespoir et la révolte, les citoyens qui refusent la fatalité et le joug du renoncement créent des barricades et y mettent le feu.

La situation réunionnaise peut-elle s’étendre ? Sans aucun doute. D’abord bien sûr aux territoires dont la situation économique et sociale et très proche de celle de La Réunion, mais également en métropole si la situation devait continuer à s’aggraver. Je l’ai écrit depuis maintenant plus d’un an : ce que l’on a vu en Tunisie, puis en Égypte, puis en Libye, puis en Syrie, ce que l’on voit par épisodes en Grèce, ne sont pas des éléments isolés de quelques États « exotiques ». Ces situations ont en commun des éléments démographiques, des éléments économiques et des éléments liés à la libéralisation des moyens de communication et d’association numériques. La démocratie retarde l’expression violente des peuples car elle porte en son sein la promesse de l’expression de chacun et chacune. Mais en Grèce l’Europe se comporte comme un colonisateur qui refuse l’expression populaire lorsqu’elle ne va pas dans son sens. C’est suicidaire et criminel.

Quant à la France, le cri « dégage » se fait de plus en plus fort, et s’il est envoyé aujourd’hui à l’endroit de celui qui a plongé notre pays dans le puits sans fond de ses erreurs, il est également envoyé comme un rappel impérieux à François Hollande et au PS. Nous ne sommes pas là pour gagner par défaut, mais bien pour redonner à la jeunesse un avenir, à l’économie sa vitalité, à la France sa place et son honneur. Pas une voix ne manquera, mais pas un candidat de notre camp ne doit manquer !

Le numérique pour tous dans Cap Finistère

En recevant mon Cap Finistère ce matin, j’ai été ravi d’y trouver la thématique du numérique en première page (il faut parfois peu de choses pour se sentir moins seul !). Je me suis donc plongé avec gourmandise dans le long article de la couverture et du petit encart sur ACTA qui est une tentative réactionnaire et liberticide de contrôle des échanges d’informations.

L’article de Cap Finistère met en avant l’ambitieux plan de déploiement d’un réseau de communication haut débit, plan stratégique voulu et en bonne partie financé par la région Bretagne (avec l’aide de l’État et de l’Europe). Particulièrement exigeant sur le sujet, je me permets tout de même d’adresser quelques remarques sur la stratégie numérique de la région Bretagne.

Il faut bien comprendre que c’est un ici projet d’infrastructure, ce qui est très bien et en l’occurrence dans la mission qu’ont reçu les élus bretons. Mais l’outil, aussi puissant soit-il, ne suffira pas à relever les défis imposés par la société et l’économie numériques. Si je devais prendre un exemple pour illustrer le problème, c’est un peu comme si l’on décidait de construire des autoroutes alors que beaucoup de gens ne savaient pas que l’on peut se déplacer autrement qu’à pied.

Le défi majeur n’est pas celui de l’outil, mais bien dans un premier temps celui de l’usage et ensuite celui du modèle (de société ou économique). Un réseau haut-débit est fantastique pour effacer définitivement l’aspect péninsule géographique de la Bretagne car le numérique connecte chacun au monde avec une facilité et une rapidité déconcertante. Cela ouvre des perspectives culturelles, politiques, économiques fantastiques… à condition de savoir comment faire. Le taux d’informatisation des TPE/PME françaises (et la Bretagne ne fait pas exception, voir cette étude de l’INSEE) est très faible en comparaison des autres pays européens. Ce n’est pas en branchant de gros tuyaux aux entreprises qu’elles seront à même de faire évoluer leur modèles d’affaires.

Part des sociétés ayant un site web en janvier 2010 – sources INSEE

Il faudra aussi traiter les problèmes légaux avec plus d’acuité que ceux qui se sont égarés avec HADOPI ou ACTA.

Il est donc impératif de prolonger cet effort remarquable de déploiement d’un réseau à haut débit par une politique d’alphabétisation numérique. Les citoyens, les acteurs économiques ou politiques, maîtrisent généralement mal les outils NTIC, très peu les usages et encore plus rarement la culture numériques. Au défit de l’infrastructure il faut donc ajouter celui de l’instruction : la gauche en particulier, doit être en mesure de former et de déployer de nouveaux hussards de la République numérique, car nous n’avons pas affaire à une simple évolution technologique, mais bel et bien à la redéfinition complète de qui nous sommes, de nos relations au sein de la société, de nos modèles économiques et culturels. C’est un des quatre défis majeurs de ce début de millénaire.

Guerres de civilisations : piège à cons !

Je ne souhaitais pas particulièrement faire un post sur la nième stupidité provocatrice de Guéant en matière de fantasme de domination d’un peuple sur les autres. Mais bon, puisque cela s’emballe un peu dans le plat de choucroute sarkozyste, je m’y colle (je m’interroge au passage pour savoir si la choucroute est, du point de vue civilisateur, supérieure au Kig ar Farz ou au Potjevleesch).

D’abord, nous avons tous compris que cette saillie avait deux buts : absorber une partie du discours de LePen fille et couvrir médiatiquement les nouveaux résultats économiques catastrophiques du commerce extérieur.

On connaissait « la droite c’est la dette », « la droite c’est le chômage », « la droite c’est l’insécurité », on a maintenant aussi la preuve que « la droite c’est le déficit commercial » (on notera sur le graphique ci-contre, qu’en 2002 lorsque nous avons donné les clés de la maison France, nous étions positifs). On comprend que Sarkozy hésite à être officiellement candidat…

Mais revenons à nos moutons civilisateurs et de façon concrète. Après tout, madame Michu tentée de voter pour l’icône présentable du FN, ou aux législatives pour un(e) brave candidat(e) UMP local(e), peut s’interroger au moment de servir le pot au feu (version relativiste des plats sus-nommés en introduction) si les civilisations, ou plutôt la nôtre, ou plutôt la sienne, est oui ou non supérieure aux autres, ce qui serait fort réconfortant à l’heure où le bateau coule. Quant à sombrer, autant que ce soit dans le luxueux Titanique que sur un boat people !

Et soyons encore plus précis. Moi qui habite au bout du bout de la Bretagne, je m’interroge avec angoisse pour savoir où classer la civilisation Celtes par rapport aux autres (pour les lecteurs moins supérieurs à madame Michu, le raisonnement est applicable en remplaçant Celtes par Occitans, Bourguignons, Savoyards, Flamands, Créoles, etc, et même plus anciens si vous le voulez). Or donc, quid des Celtes ? Sont-ils plus supérieurs que les autres ? Affectivement, pour madame Michu, forcément puisque c’est une part de son identité culturelle, et sans doute cache-t-elle sous son col un triskel aux vertus magiques. Bon point pour le tribun Guéant qui touche ainsi madame Michu alors que ces fichus socialos ne sauraient pas lui parler. Oui, mais l’angoisse ne saisit-elle pas madame Michu entre l’os à moelle et le far aux pruneaux (d’Agen) : les Celtes avaient une culture plutôt orale et n’étaient pas de grands bâtisseurs contrairement à ces Africains qui ont bâti des pyramides ou ces Indochinois qui ont bâti des temples dans la jungle. Or la supériorité dans l’esprit guéanesque se mesure aussi à la hauteur des édifices édifiés (sans talonnette) et à la longueur des étagères de bibliothèques (latines ou helléniques si possible). Elle se mesure aux guerres gagnées, elle se mesure a ce qui a été (r)écrits dans les livres d’histoire (avec l’appui de lois mémorielles si nécessaire). Finalement, dans cette mauvaise soupe culturelle promue par l’UMP, la supériorité est relative au jugement du pouvoir en place avec pour seul critère l’utilisation vicieuse de l’émotion des gens et leur ignorance plus ou moins grande des cultures montrées du doigt (car en fait de civilisation, c’est plutôt de culture qu’il s’agit).

Allez demander aux candidats à la députation qui vont sillonner les circonscriptions en quoi la culture/civilisation locale est supérieure ou pas à celles d’à côté. Ce devrait être intéressant et vous pourrez mesurer au passage la profondeur de leur propre culture et l’horizon des valeurs qu’ils défendent. Je défends aux côtés de mes camarades socialistes une vision universaliste (et pas relativiste monsieur Guéant, quelle inculture !) de nos valeurs. Permettez-moi ici de rappeler l’article II de la déclaration de principes du parti socialiste :

Article 2

L’égalité est au cœur de notre idéal. Cette quête n’a de sens que par et pour les libertés. Égalité et Liberté sont indissociables. Aux injustices et aux violences du monde, l’idée socialiste oppose un engagement pour une humanité libre, juste, solidaire et respectueuse de la nature. Elle porte un message universel, dès lors qu’il s’agit de défendre les droits fondamentaux de chacun et de tous. Pour les socialistes, ces objectifs ne peuvent être atteints à partir du fonctionnement spontané de l’économie et de la société.
La redistribution permanente des ressources et des richesses est nécessaire pour donner une réalité à l’égalité des droits, offrir à chacun les chances de conduire sa vie, et réduire les écarts de conditions.

Les cultures sont diverses et nous les respectons car nous respectons chacun et chacune. Mais les valeurs portées par les dirigeants ou les leaders politiques ne sont pas équivalentes et, politiquement, nous en combattons certaines. Même si avec l’exemple de Nicolas Sarkozy et de ses soutiens nous pourrions en douter, la grandeur d’un peuple ne se mesure pas à l’aune de ses dirigeants. L’inculture d’un dirigeant ne dit rien de la richesse de son peuple. Les échecs d’un président ne disent rien des ambitions, de la créativité, de l’envie d’aller de l’avant des citoyens. Le combat de la gauche en général et des socialistes en particulier est de diffuser la connaissance, de défendre des valeurs que nous considérons universelles, de permettre l’émancipation des hommes et des femmes pour leur permettre d’être des citoyens responsables et décisionnaires de leur avenir.

Il n’y a pas de races ou de civilisations supérieures, mais il y a des idées qui décidément doivent être combattues sans relâche.

Mega Upload et mega problème posé par l’économie numérique

Même si vous n’y connaissez rien, si vous n’avez pas entendu parler du site méga upload aujourd’hui c’est très probablement que vous êtes très vieux et connecté à aucun média, qu’il soit numérique ou vieille technologie. Figurez-vous que l’affaire a même réussi à tirer notre pourtant peu numérique président de son lit pour faire un communiqué AFP au contenu quelque peu surréaliste.

Mais ce qui m’intéresse dans cette affaire, ce n’est pas tant le buzz mis en scène par le FBI et ses relais médiatiques, mais bien tous les problèmes soulevés par les usages numériques face aux États et à nos lois.

D’abord, si seuls quelques acteurs ont été arrêtés ou sont sous le coup d’un mandat international d’arrestation, il faut savoir que, rien que pour ce site, ce sont en fait plus de 150 millions de personnes qui sont impactées de près ou de loin avec cette affaire, dont à peu près 5 millions de Français. Tous ne se livraient pas à des actes illégaux, mais même en prenant l’hypothèse basse que seulement la moitié des utilisateurs succombaient peu ou prou à la tentation, cela devrait faire tout de même beaucoup, beaucoup de monde à poursuivre si c’est de justice que l’on parle. Pire que cela, dans un pays démocratique, il est bon de se souvenir que

« Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. » — Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Article 3 

Oups, un usage aussi massif d’un média « illégal » pose une question fondamentale de droit et l’action d’une police étrangère appuyée par un communiqué vespéral n’y répond que fort imparfaitement…

Autre élément dérangeant dans cette affaire, c’est que l’arrêt brutal de service est transfrontalier et impacte directement des consommateurs dont l’honnêteté et le comportement n’est pas mis en doute. Que penseriez-vous si demain le FBI arrêtait la distribution d’électricité en France en mettant en avant le fait que des groupes mafieux utilisent cette électricité de façon illégale et que la direction d’EDF le sait parfaitement et peut parfaitement en identifier certains ?

Oups, « Tuez-les tous dieu reconnaîtra les siens » ne fait pas partie du droit français, et sans préjuger de la pertinence de l’action de police et du jugement final, il y a là une ingérence policière étrangère fort dérangeante avec des conséquences personnelles ou économiques qui restent à évaluer…

Autre élément de fond, qui est celui de la notion de propriété avec la révolution numérique en court. Une des conséquences possibles de cette numérisation, est la disparition de la nue-propriété puisque l’usage et le fruit, avec le numérique, sont de moins en moins liés à l’aspect matériel des choses. C’est ici un des aspects du problème. On met en avant la notion de propriété intellectuelle (des artistes en l’occurrence), alors que le problème est en fait un problème d’obsolescence de l’industrie de distribution des œuvres. Les artistes sont toujours propriétaires de leurs droits intellectuels et certains ont parfaitement compris comment valoriser financièrement ces droits dans un modèle économique numérique. Mais, hélas pour elles, les compagnies de distribution n’ont que très peu de place dans ce nouveau monde numérique et font jouer au maximum la coercition des anciennes lois. Il faut donc effectivement retravailler les lois sur la propriété, mais les penser en fonction du nouveau monde et des nouveaux usages, et non des vieilles lois et des vieux modèles économiques. Le code de la route est établi en fonction des automobiles, pas des diligences…

L’affaire FBI vs Mega Upload pose donc un problème de démocratie (qui est à l’origine des lois ?), un problème d’ingérence policière étrangère dans un pays souverain (le FBI n’est pas la police de la planète), un problème de modèle économique (comment aider la création artistique à avoir des revenus dans un monde numérique ?), un problème de définition de la propriété (quel est le sens de la nue-propriété lorsque le support physique n’existe pas ? Que devient la propriété intellectuelle lorsque l’information numérique a par nature une propriété d’ubiquité multiforme ?).

Voilà quelques uns des vrais problèmes posés par cette affaire, et j’en connais un qui aurait mieux fait de dormir cette nuit au lieu d’applaudir benoîtement. La nuit est mauvaise conseillère en matière de communication, cela se confirme.

Économie : s’indigner certes, mais agir surtout

Le texte ci-dessous est le résumé d’un texte plus long que vous trouverez en [ cliquant ici ].

Bonne lecture (et que ceux qui le souhaitent n’hésitent pas à venir discuter sur facebook).
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Sauve-qui-peut
L’idéologie communiste a touché son terme avec l’effondrement du mur de Berlin. L’idéologie purement libérale a touché le sien avec l’effondrement de Lehman Brothers. Depuis les décideurs politiques ou économiques s’agitent en tous sens à la recherche d’un nouveau phare capable de les guider dans leurs décisions. La tentation du replis sur soi est-elle la solution ? Comment se guérir du dysfonctionnement de l’outil financier sans entraîner un effondrement total du système ? Comment restaurer la justice en punissant sans vindicte ceux qui ont eu un comportement délibérément pathogène voire délictueux vis-à-vis des peuples ?

Et in fine, quelles seront les bases d’une nouvelle économie au service des peuples, une économie à même de prendre en compte les défis climatiques, énergétiques, numériques et socio-démographiques ?

 

Protection ou protectionnisme ?

Personne ne peut construire quelque chose à long terme dans une anxiété et une peur constante du lendemain. Nous devons être rassurés sur la capacité de nous relever en cas d’erreur ou de chute. Aujourd’hui, les citoyens sont mis dans la situation de funambules accrochés à un fil usé dont la rupture ne fait guère de doute. Sous eux l’inconnu.

Il ne fait guère de doute non plus que nous ne pouvons pas à court terme garantir un niveau de protection au niveau de ce que nous avons pu avoir il y a dix ans.
Je crois que nous pouvons remplacer une partie de l’argent que nous n’avons plus par des systèmes de solidarité directe qui ont largement montré leur valeur en d’autres temps. C’est déjà ce que font nombre d’associations et, en attendant de recouvrer son autonomie, l’État doit acter de son indigence et utiliser les moyens qui lui restent pour faciliter et contrôler l’organisation locale de la protection de tous.

De manière plus globale, certains plaident pour la ghettoïsation de notre économie. Cette pensée est issue d’un ancrage dans un monde où la frontière était physique et tangible, où ce que l’on produisait était d’abord matériel. Mais aujourd’hui, les NTIC ont remplacé les frontières géographiques par des frontières linguistiques ou technologies. Ces mêmes moyens de communication apportent des services marchands et la possibilité d’acquérir où bon nous semble sur la planète les biens que l’ont veut. Monter des frontières douanières avait un sens dans l’ancien monde non connecté, pas dans le nôtre.

Les règles d’une nouvelle économie
Si une nouvelle économie devait nous sortir de notre situation, peut-on en tracer quelques contours qui permettent au moins de réfléchir de façon nouvelle (désolé, je n’ai pas la prétention de pouvoir donner la solution à nos problèmes).

Des briques de qualités à faible coût

La première idée est de chercher les briques de base qui servent à construire cette économie et de contrôler au maximum leur coût et leur qualité. A minima, ces briques me semblent être :

  • l’énergie
  • l’information
  • les moyens permettant d’échanger les biens et services (en simplifié l’argent).

L’état doit donc agir et être en mesure de garantir que ces éléments seront toujours abondants et libres d’accès au tarif le plus bas possible. Des nationalisations sont nécessaires. Hors de ces éléments, la production et le commerce de biens et de services doivent se développer au sein d’un marché libre mais aux règles clairement établies et équitables.

Une économie associant biens, services et numérique

La deuxième idée part d’un double constat.

Le prix des biens physiques a décru de façon fantastique grâce aux caractéristiques du commerce mondialisé.
Le deuxième constat est qu’en économie numérique ce processus de baisse des coûts s’accentue jusqu’à introduire une entrée de gamme totalement et réellement gratuite (modèle dit freemium).

Ce double constat état fait, il est possible de construire une deuxième règle : l’économie que nous devons construire doit être une économie qui associe un ou plusieurs biens matériels à un service, le tout étant fortement lié à des mécanismes d’économie numérique (dont le freemium). Ce modèle économique a été baptisé « économie quaternaire » par Michèle Debonneuil je l’étends un peu ici en y accrochant des mécanismes d’économie numérique.
Une telle économie présente de très gros avantages :

  • elle continue d’utiliser les bénéfices apportés par la mondialisation, à savoir produire des biens de consommation à bas coût
  • elle associe des éléments non délocalisables à valeur ajoutée, à savoir la production de services
  • si en plus on réussit à introduire une entrée gratuite avec un modèle freemium, alors c’est l’économie marchande elle-même qui gère directement le problème de la pauvreté d’une partie de la société.

Faisabilité
La réalisation de la première règle ne dépend que de la volonté politique. La réalisation de la seconde est plus complexe car elle nécessite la participation d’entrepreneurs dont la culture est pour la grande majorité très éloignée d’un tel univers. Il en est de-même d’ailleurs pour la majorité des politiques.
Nous devons entrer dans un nouveau monde avec de nouvelles règles qui ne sont pas celles de l’ancien monde. C’est une opération intellectuellement et opérationnellement complexe, ce n’est ni naturel ni inné, cela s’apprend et doit être accompagné.

 

Conclusion

Il faut acter de la mort des modèles économiques et sociaux qui ont prévalu jusqu’au début de ce troisième millénaire.

Il est nécessaire et impératif que les États répondent au besoin de sécurité et de protection économique et sociale des citoyens mais, au moins temporairement suite à la faillite de l’ancien système financier, il faut réorganiser le système actuel vers plus de solidarité et d’entre-aide directe et moins d’allocation financière. L’État doit jouer un rôle plein et entier dans ce nouveau système et ne pas se retrancher derrière la charité privée.

Le recours au protectionnisme ou au malthusianisme économique n’a pas de sens.

Une nouvelle économie numérique peut être bâtie en alliant le volontarisme étatique et l’esprit entrepreneurial privé. Cette économie doit s’appuyer sur des briques fondamentales dont la qualité est garantie par le service public et le coût le plus faible possible : énergie, information et système financier.
Cette nouvelles économie numérique associe des biens à bas coût à des services à valeur ajoutée, le tout rendu cohérent et économiquement viable grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC).

Le passage à une telle économie doit être accéléré en déployant un plan d’alphabétisation numérique ambitieux.

Peplum contre Fin du monde

J’ai relevé deux évènements marquants cette semaine. L’un est d’importance planétaire, l’autre ressemble fort à un montage de mauvais film.

Le fait qui me semble le plus important, c’est le nouveau rapport du GIEC dont le niveau de constat alarmiste s’est élevé d’un cran. Jusqu’ici, nous pouvions espérer limiter la casse climatique par une gestion rigoureuse de nos émissions de gaz à effet de sert. Il n’en sera rien et la limite d’une élévation moyenne de température de 2°C ne tient plus, nous nous dirigeons droit vers 4°C. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Voici quelques vidéos extraits d’une émission de ARTE en août 2008 :

Vu son importance, cette nouvelle aura dû faire la une de tous les médias et devenir rapidement le sujet dont les politiques devaient débattre. Le PS a sur le sujet une position qui n’est pas celle de la droite mais qui n’est pas non plus celle des écologistes. Nous pouvons et nous devons agir directement sur le climat et pas seulement nous contenter de « moins polluer » et de laisser faire mère nature. Mais qui l’a entendu ?

Au lieu de cela, nous avons eu droit à un mauvais show qui aurait pu être issu d’un péplum de Cinnecita. Nicolas Sarkozy à Toulon voulait que revienne à nos mémoires ce qu’il considère comme un grand discours, celui de 2008 où il dénonçait urbi et orbi l’inanité de la finance mondiale. Depuis, infiniment plus d’eau que de décisions utiles ont coulé sous les ponts et le mauvais remake sur fond de campagne électorale qui s’annonce aura au mieux convaincu les lecteurs du Figaro, et encore ce n’est pas sûr.

Pendant du discours sakozyste, Angela Merkel est elle aussi montée à la tribune. Le message n’est pas exactement le même mais essaie globalement d’aller dans le même sens. Ce qui diffère le plus, c’est la position relative des deux dirigeants. D’un côte le président de la « bonne et de la mauvaise dette » qui a échoué sur absolument tout ce qu’il a entrepris au point de se renier et de devoir annuler des lois qu’il avait présentées comme irréversibles, de l’autre une dirigeante qui ne recueille pas forcément un soutien sans faille dans son pays, mais qui a au moins à son actif un pays dont la solidité économique lui permet d’avoir le verbe haut et d’imposer ses vues. Dire qu’en 2000 avec le gouvernement socialiste la situation était exactement inverse ! Le procès en impérialisme version néo-bismarkisme est cependant tout à fait excessif à mon sens. Contrairement à la situation de Napoléon III avec qui Nicolas Sarkozy fait écho aujourd’hui, il n’y a pas de piège de l’Allemagne pour assoir sa domination. Nous sommes faibles et l’Allemagne forte parce que depuis 10 ans ils ont fait de bons choix (merci d’ailleurs aux sociaux démocrates de Schröder) et nous de mauvais (aucun merci à donner aux libéraux de l’UMP). Sur ce point, je trouve le discours de Merkel  particulièrement respectueux de notre souveraineté.

Ces deux discours ont leur importance, mais ils ne peuvent nous satisfaire. D’abord parce que les choix avancés sont très techniques, liés à un monde qui a montré tout le mépris qu’il portait aux peuples, ce que nous voyons d’ailleurs en filigrane lorsqu’on nous explique que nous allons converger vers une intégration budgétaire. Sans doute est-ce censé, et on peut donner quitus aux Allemands de savoir ce qu’il faut faire en matière de rigueur (contrairement à l’UMP qui n’a en 10 ans juré que par la dette), le problème étant que l’on refuse aux peuples un autre choix que l’accord définit par l’Allemagne. Pas sûr que cela se passe bien…

La question de la dette européenne est une question de banqueroute ou de non banqueroute. C’est une question de technicien qui ne doit pas occulter le libre choix des peuples, c’est surtout une question qui mériterait qu’elle ne soit pas dévoyée par le candidat Sarkozy au profit d’une mauvaise dramatisation.

La question du climat est une question de survie des peuples. Il est urgent de s’en emparer, avec gravité et responsabilité. L’objectif n’est pas de provoquer la panique, mais de se choisir en connaissance de cause des hommes et des femmes politiques qui comprennent profondément cette question et ses enjeux et qui sont prêts à se battre pour l’intérêt collectif. Manifestement la droite ne nous propose pas cela, alors que je sais que la gauche a en son sein des hommes et des femmes de cette qualité.

 

L’économie numérique : à la fois une chance et un danger mortel

Vous avez sans doute entendu parler ces derniers jours de la triste annonce de la liquidation du journal de petites annonces Paru Vendu. Ce journal de 1650 salariés qui était leader sur son marché des petites annonces gratuites, était apprécié de ses lecteurs et s’était développé depuis des années sur un modèle économique qui a longtemps fait son succès. Pourtant, malgré ses atouts, malgré la qualité et l’engagement de son personnel, la liquidation a été prononcée.

Pourquoi ?

La première explication donnée par l’administratrice judiciaire est conjoncturelle : la crise a largement fait diminuer les ressources publicitaires qui, dans ce modèle de gratuité journalistique, est un élément fondamental. C’est un argument important, pourtant, il me semble que crise ou pas crise, ce modèle économique n’aurait à terme pas tenu.

En effet, la seconde explication avancée est l’émergence d’autres sociétés travaillant sur un modèle d’économie numérique (comme le bon coin). La semaine dernière, je faisais référence dans un post à une conférence de Michel Serres sur le thème de « l’homme a changé », mais il n’y a pas que l’homme qui soit en train de changer. La mutation numérique de l’économie est en marche, et à marche extrêmement rapide. Le problème est que cette mutation est en grande partie silencieuse jusqu’au moment où un concurrent venu de nulle part explose votre marché (et votre entreprise par la même occasion). Cette rapidité et cette efficacité sont directement rendues possibles grâce aux nouvelles règles économiques issues de l’économie numérique. La mondialisation elle-même ne serait sans doute pas aussi marquée sans le numérique. C’est un changement profond, irrésistible auquel les entreprises et les gouvernements sont extrêmement mal préparés (lorsqu’ils ne sont pas tout bonnement inconscients de ce changement autre que par des signes qu’ils ne savent pas interpréter).

La numérisation de nos vies et de l’économie est à la fois une menace mortelle mais aussi une formidable opportunité pour nos sociétés qui sont arrivées au bout du modèle de la révolution industrielle et qui doivent se réinventer. Mais s’approprier ce modèle passe par une prise de conscience et de connaissance qui me semblent encore extrêmement éloignées de nos décideurs. Qu’on en juge par la mine déconfite des dirigeants au somment du G20, qui donnent pour certain l’impression d’être à la limite de la crise de nerf ou de la dépression. Ce monde est mort. Bonne nouvelle, nous avons les moyens d’inventer le nouveau, les outils et les conditions sont là, allons-y avec force et détermination. Le temps n’est plus au gestionnaire de patrimoine, il est au bâtisseur d’avenir.

Connecto, ergo sum

Que les puristes me pardonnent ce latinisme de cuisine qui me permet d’introduire un post sur un sujet qui me préoccupe depuis longtemps, mais dont je n’arrivais pas à exprimer la substantifique moelle.

Ce sujet, assez important pour que je le place à côté des trois défis que je juge les plus critiques pour notre avenir (rupture climatique, rupture énergétique et bascule démographique) est celui de la dématérialisation, ou dit autrement de la transformation de notre monde en monde numérique. Que le monde devienne chaque jour un peu plus numérique est un constat que tout un chacun a fait et peut encore faire à chaque instant (la preuve vous êtes en train de me lire). De part mes activités professionnelles, je sais pertinemment que la compréhension de ce qui se passe est très inégale et très imparfaite, et j’ai pu mesurer dernièrement l’étendue de cette imperfection lorsque les représentants des candidats à la primaires socialistes sont venus nous expliquer la vision politique des différents concurrents. Parmi eux il y avait en particulier Axel Kahn que j’ai interpelé sur ce thème du numérique justement. Peut-être sa réponse aurait-elle méritée d’être précisée, mais ce qui m’a stupéfait ce jour-là, c’est que même pour lui le défit de la numérisation du monde était surtout la résultante d’un changement d’outils que nous devions nous approprier, et guère plus.

Or j’affirme avec force qu’il s’agit infiniment plus que d’un problème d’outils, voire même d’usage : c’est entre autre un séisme philosophique radical, une explosion de nos certitudes qui peut se résumer ainsi :

Tout individu normalement constitué a au moins trois certitudes philosophiques sur la vie, la mort et ce qu’il est :

  • à moins d’un accident, nous sommes construits pour prolonger le souffle de vie que nous avons nous-même reçu
  • nous sommes mortels
  • nous existons en tant qu’individu pensant (cogito ergo sum, je pense donc je suis)

La numérisation du monde ne change pas fondamentalement la première affirmation (qui est par contre perturbée par la médecine, la génétique et la loi : que l’on se rappelle qu’une personne peut aujourd’hui être liée à trois mères et deux pères).

La numérisation du monde change par contre totalement notre rapport à la mort : il est possible (voire de plus en plus certain) de continuer à exister numériquement en tant qu’individu numérique agissant après sa mort physique, il est possible de naître, de mourir et de ressusciter numériquement avec le même niveau de charge émotionnelle que dans la vie physique.

Enfin, l’individu numérique peut parfaitement avoir plusieurs identités et existences distinctes (sans être pour autant schizophrène), et contrairement au monde physique, l’individu numérique n’existe que par les canaux numériques qui le relient aux autres êtres numériques. L’être physique individualisé se distingue dans le monde numérique d’un être numérique multiple doué d’ubiquité qui n’existe que par ses relations avec les autres.

Alors non, le problème numérique ne se résume pas à un problème d’appropriation des outils. J’espère en avoir donné ici l’intuition via trois affirmations d’ordre philosophique, mais cela aurait pu être tout aussi bien un questionnement éthique, légal, sociologique, économique ou encore politique. Qui peut porter ce questionnement à la connaissance des décideurs de ce monde ? Quelles réponses satisfaisantes donner ?

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Sources de réflexions :

La justice n’est pas un instrument de mort

L’exécution de Troy Davis cette nuit est une barbarie.

Je ne sais pas s’il était coupable ou finalement innocent, je ne sais pas s’il était un homme aimé de sa famille et de ses proches, je ne sais pas grand chose de lui si ce n’est qu’il a été exécuté au nom de la logique implacable d’un système judiciaire qui n’arrive pas à prendre en compte ni les contradictions de la société américaine, ni l’élévation morale que représente le dépassement du sentiment de vengeance au profit d’un idéal collectif.

Je ne jetterai pas la pierre à tout un peuple pour ne pas encore avoir réussi à progresser significativement vers cet idéal, nous même avons pris notre temps, malgré notre héritage philosophique et révolutionnaire, au point d’avoir attendu 1981 que Robert Badinder monte à la tribune de l’assemblée nationale pour faire passer cet idéal dans la loi, et encore ce fut difficile tant la plus grande réforme du XXème siècle portée par la gauche fut contestée ! Mais cette nuit la barbarie organisée a couvert d’une tache de sang supplémentaire la marche vers le progrès, vers un futur meilleur de la société américaine, et au-delà de l’humanité.

Jaurès naguère écrivait que « La peine de mort est contraire à ce que l’humanité depuis deux mille ans a pensé de plus haut et rêve de plus noble. Elle est contraire à la fois à l’esprit du christianisme et à l’esprit de la Révolution« . Pour Troy Davis, la peine de mort a dénié tout espoir de justice à travers l’application aveugle de lois qui couvrent en fait une volonté plus ou moins collective de vengeance, lorsque ce ne sont pas de bas instincts.

Bien sûr que certains crimes sont horribles. Bien sûr que certains criminels sont inexcusables et irrécupérables. Bien sûr qu’à titre individuel nous ne pouvons pas affirmer que nous ne tuerions pas nous aussi l’auteur d’une abomination qui viendrait à nous frapper. Mais la Justice n’est pas l’œuvre d’un individu, elle ne sert pas la réparation du préjudice d’un seul ni même de quelques uns. Elle doit réparer autant que faire se peut, mais elle doit surtout guider les Hommes sur un chemin de progrès, et au sein d’un procès, un progrès pour le coupable, la victime et la société.

La peine de mort fait disparaître le coupable, parfois aussi un innocent, elle ne répare rien pour la victime, et transforme la société en meurtrier.